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Balkans, Serbie

«Certaines expériences resteront profondément gravées dans mon esprit»

Témoignages 
Jovana Arsenijević - Assistante chef de mission MSF

    Jovana Arsenijević, assistante chef de mission MSF en Serbie, témoigne des évolutions rencontrées au quotidien dans son travail auprès des migrants dans son pays d’origine.

    Quel est le contexte migratoire en Serbie et à Belgrade ? Comment la situation a-t-elle évolué depuis que MSF a commencé à travailler en Serbie, il y a deux ans ?

    Le contexte migratoire en Serbie est extrêmement dynamique et d’une prévisibilité à court terme, c’est pourquoi les activités de MSF ont été flexibles et fortement mobiles. MSF a lancé la mission en Serbie en 2014 afin de soutenir les migrants et les réfugiés qui traversaient les Balkans pour atteindre l'Europe occidentale. À l'époque, MSF était la seule organisation humanitaire fournissant un soutien aux migrants en transit. Lors des flux migratoires de fin 2015 et début 2016, MSF a fourni des soins médicaux et psychologiques ; distribué des produits de première nécessité ; construit des abris d'urgence pour l’hiver ; assuré la gestion de l’eau, de l'assainissement et des déchets et transféré dans ses cliniques des personnes extrêmement vulnérables.

    Après la signature de l'accord UE-Turquie et avec la fermeture de la route des Balkans en mars 2016, MSF a continué de fournir des soins en santé primaires et mentale aux migrants résidant hors du système d'accueil officiel en Serbie, principalement dans le centre de Belgrade et dans les zones de transit le long de la frontière serbo-hongroise. Pendant l’hiver 2016, MSF a apporté son soutien au gouvernement serbe pour l'amélioration des conditions de vie et afin d'évacuer 2 000 hommes qui résidaient dans des conditions de vie indignes avec des températures avoisinant les -17 degrés. Cette année, MSF a mis en place une clinique fixe à Belgrade, mais a conservé ses capacités mobiles afin de pouvoir répondre rapidement aux besoins médicaux et humanitaires si nécessaire.

    Quels sont les principaux problèmes au niveau médical et humanitaire ?

    Actuellement, les patients de MSF sont principalement des migrants de sexe masculin qui se déplacent seuls, qui disposent d’un accès limité ou inexistant aux soins de santé, et dont la majorité sont des mineurs non accompagnés. Les pathologies médicales les plus courantes sont les maladies de peau, les infections des voies respiratoires et les maladies gastro-intestinales.

    Dans les cliniques de santé mentale, les symptômes les plus fréquents sont l'anxiété, les réactions de stress post-traumatique et la dépression.

    Dans les cliniques de santé mentale, les symptômes les plus fréquents sont l'anxiété, les réactions de stress post-traumatique et la dépression. Les conditions de vie sont extrêmement difficiles, plus particulièrement dans les carcasses de trains abandonnés ou les hangars désafectés, où ils n’ont aucun accès aux installations d’eau, d’assainissement et d’hygiène. S’ajoute à cela le désespoir de devoir poursuivre le déplacement vers leur pays de destination, aggravant leur état de santé physique et mental.

    En outre, en raison des fermetures des frontières, ces personnes recourent à des réseaux de passeurs plus dangereux, plus denses et plus onéreux, exposant ainsi leur santé et leur sécurité à des risques accrus. Les tentatives de passage par la Croatie et la Hongrie sont considérées comme extrêmement dangereuses et se soldent fréquemment par des refoulements violents vers la Serbie, avec notamment de violents passages à tabac, des morsures de chiens et des humiliations. Les réfugiés sont confrontés aux conséquences extrêmes des politiques migratoires militarisées ainsi qu’à la montée de la xénophobie. Ceux qui sont piégés le long des Balkans sont toujours en danger et sont parfois battus par des passeurs ou par des gardes-frontières et, dans le pire des cas, y perdent la vie.

    Quel est ton rôle et les principaux défis auxquels tu es confrontée ?

    Je travaille pour le département des opérations à la coordination, à Belgrade (Serbie), pour la mission d’aide aux migrants mise en place par MSF dans les Balkans du Nord. Mon rôle est de soutenir les opérations dans le cadre de cette mission, mais aussi d'autres départements tels que ceux de la médecine, de la logistique et de l'approvisionnement. Je participe également à plusieurs études de recherche opérationnelle avec LuxOR au Luxembourg. Le principal défi, mais c’est aussi ce qui rend mon travail intéressant, c'est le contexte migratoire en constante évolution dans ce pays et dans cette région. Par conséquent, la mobilité, la flexibilité et l'adaptabilité des opérations de MSF évoluent et changent constamment aux besoins sur le terrain.

    Quel est ton sentiment personnel sur cette situation dans ton propre pays ?

    À la fin de l'hiver, la situation en Serbie continue d'être inquiétante et ne présente toujours pas de solutions claires. Plus de 8 000 personnes sont bloquées dans le pays, dont plus de 6 000 vivent dans des camps, toujours surpeuplés, laissant près de 3 000 mineurs déscolarisés et souffrant d'épisodes de violence croissants.

    En dehors des camps, 1 200 personnes vivent en petits groupes. Environ 1 000 personnes vivent dans des carcasses de trains abandonnés ou des hangars désafectés à Belgrade, tandis que 100 à 200 personnes sont bloquées aux frontières hongroise et croate, dispersées dans de nombreuses « jungles » qui sont régulièrement attaquées par la police.

    La situation à la frontière est très différente car les autorités ne tolèrent pas toujours le soutien apporté spontanément à ces personnes, notamment aux migrants sans papiers.

    Alors qu'à Belgrade, de nombreux bénévoles continuent d'être actifs, la situation à la frontière est très différente car les autorités ne tolèrent pas toujours le soutien apporté spontanément à ces personnes, notamment aux migrants sans papiers. Avec l'afflux de migrants qui se poursuit, la tendance actuelle est à une réduction des sorties et à un inversement des flux provoqué par les refoulements effectués depuis les pays voisins ; on prévoit donc une augmentation continue du nombre de migrants en Serbie. Que ce soit dans les camps ou à l'extérieur, il n'y a pas d'alternatives réelles.

    Une anecdote à partager ?

    Bien que notre travail ait tendance à être triste et extrêmement bouleversant, il arrive que des expériences uniques restent profondément gravées dans nos esprits, des expériences qui font que le travail effectué sur le terrain par MSF est différent et spécial.

    Ainsi, il y a environ un an, nous menions une mission d'exploration à la frontière serbo-bulgare. Nous roulions dans les bois depuis plusieurs jours afin de localiser les endroits où les migrants passaient d'un pays à l'autre et d'adapter notre stratégie en conséquence. Dans une zone particulière, extrêmement isolée et dépourvue de réseau téléphonique, sur la radio du véhicule, nous avons soudainement entendu une migrante appeler à l'aide en disant : « S'il vous plaît aidez-nous, nous sommes bloqués ici depuis 14 jours, des femmes et des enfants sans eau ni nourriture ». À l'époque, nous étions quatre dans la voiture, deux expatriés MSF extrêmement expérimentés, moi-même, avec une expérience encore relativement limitée, ainsi qu’un autre expatrié effectuant sa première mission.

    Une anecdote à partager ?

    Les deux expatriés expérimentés ont déclaré qu'il était fortement improbable que des migrants puissent envoyer un message radio et utiliser la même fréquence que celle de notre véhicule et que, même s'ils y parvenaient, il était pratiquement impossible de les trouver dans des bois aussi denses et étendus. Ils ont donc recommandé de continuer à rouler. Cependant, le premier missionnaire et moi-même avons insisté pour rester là-bas tant que nous n'aurions pas localisé ces migrants en détresse qui appelaient à l’aide, et nous avons commencé à élaborer des théories sur la façon de les retrouver. Après plus d'une heure de conflit avec les expatriés expérimentés et une profonde déception de notre part, nous avons accepté de reprendre la route.

    Plusieurs heures plus tard, et quelques centaines de kilomètres plus loin, nous avons entendu la même femme répéter la même phrase à la radio.

    Plusieurs heures plus tard, et quelques centaines de kilomètres plus loin, nous avons entendu la même femme répéter la même phrase à la radio. À ce moment, il était clair pour nous tous que le signal radio ne pouvait pas avoir une telle portée. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous avons réalisé que le premier missionnaire, en branchant son téléphone pour le recharger, avait automatiquement mis en lecture un témoignage enregistré un an plus tôt !

    Ce jour-là, à partir de cette fameuse expérience, nous avons appris que même si nous aidons des milliers de migrants en détresse chaque année, parfois notre désir d'aider les gens est si puissant que nous nous mettons à poursuivre des fantômes, mais aussi que nous devons nous appuyer sur l'expérience de nos collègues expérimentés de MSF.

    * Image principale : environ 1 000 personnes vivent dans des carcasses de trains abandonnés et des hangars désafectés à Belgrade. © Miodrag Ćakić
     

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    A crisis of protection and safe passage