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MSF South Sudan

Soudan du Sud

Vivre en sécurité dans les camps, mais à quel prix?

Vue sur le site de protection des civils (SPC) de Malakal, dans le nord-est du Sud-Soudan. Mars 2019. © Igor Barbero/MSF
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Depuis 2013, quatre millions de personnes ont été déplacées par le conflit au Soudan du Sud. Deux millions d'entre elles ont cherché la sécurité au-delà des frontières, tandis que deux millions sont toujours déplacées à l'intérieur du pays. Les sites de protection des civils (SPC), créés alors pour permettre à la population de se mettre à l’abri des combats, sont aujourd’hui des lieux où il est plus question de survie que de protection. Immersion dans les SPC de Bentiu et Malakal, où les équipes de MSF interviennent.

    En septembre 2018, un nouvel accord de paix prévoyant un partage du pouvoir a été signé à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, par le président Salva Kiir et son opposant, Riek Machar. L’avenir des sites de protection des civils (SPC) est depuis évoqué, ainsi que celui des 180 000 personnes vivant aujourd’hui dans six de ces camps. Bien que les conditions de vie soient très difficiles dans les SPC, pour beaucoup, elles restent préférables à la vie en dehors des camps.

    Quand mon village a été attaqué, beaucoup de personnes ont été séparées et des enfants se sont même retrouvés à s’enfuir avec des familles qu’ils ne connaissaient pas. Tout le monde a fui ou a été tué.
    Teresa, réfugiée dans le camp de Bentiou avec ses 3 enfants

    Des conditions de vie désastreuses

    En face de Teresa, la musique sort d'un haut-parleur attaché à un grillage. L'orateur insuffle du rythme dans le camp. La musique tombe dans les oreilles d'adolescents qui sont peut-être à la recherche d'espoir, ou plus probablement de distraction. Pour les quelques 100 000 personnes vivant dans le SPC de Bentiu, les défis quotidiens sont en effet nombreux : sécurité, nourriture, eau, santé et abri.

    Rassembler autant de personnes au même endroit est dangereux sur le plan sanitaire, surtout lorsque les gens ne sont pas correctement logés et qu’ils s’entassent dans des abris collés les uns aux autres. Si une personne est atteinte de tuberculose sans en connaître les symptômes, elle risque d’infecter les occupants vivant à proximité. Dans le camp, les risques de contamination sont importants.
    Peter, un père de cinq enfants vivant à Bentiu depuis cinq ans, et originaire de la ville voisine de Rubkona

    MSF a demandé à plusieurs reprises que les conditions et les services sur les sites soient améliorés au-delà des niveaux actuels, en particulier en ce qui concerne l'eau et l'assainissement (WASH). Actuellement, le débordement des latrines suinte le long des berges dans une boue épaisse et stagnante. Or les enfants continuent de jouer dans cet environnement contaminé, prenant quotidiennement le risque d'attraper une maladie et de venir renforcer les statistiques alarmantes dans la zone.

    Près de la moitié des patients vus dans le service ambulatoire ou admis à l'hôpital de 160 lits de MSF sur le SPC de Bentiu sont des enfants de moins de cinq ans. Beaucoup souffrent de maladies telles que la diarrhée sévère aiguë, des maladies cutanées et des vers, des maladies qui peuvent pourtant être évitées avec des systèmes d'assainissement améliorés.  

    La sécurité relative à l'intérieur du camp se fait au détriment d'une exposition inutile à des maladies potentiellement mortelles et à des conditions de vie indignes, deux facteurs qui ne devraient pourtant pas motiver la décision d'une personne de rentrer chez elle.

    À l’est de Bentiu, Malakal, capitale de l'État du Nil Supérieur et deuxième ville la plus peuplée avant la guerre, a été lourdement affectée par la guerre. Les destructions y restent visibles : bâtiments en ruines, voitures incendiées et quartiers vides rappellent constamment la violence des combats.

    Les équipes MSF y gèrent un hôpital au sein du SPC, dans lequel 30 000 personnes ont trouvé refuge. « On peut se procurer facilement des graines de sorgho ici, mais on n’a pas l’argent pour les broyer, ni d’eau pour les cuisiner. Il n’y a pas assez d’eau, et nous sommes trop nombreux ici », explique Martha, jeune femme de 27 ans qui vient de l’est de Malakal.

    Exister pour survivre

    Ces camps ont vu le jour pour que les gens puissent survivre à des situations de violence. Plus de cinq ans plus tard, pour certaines personnes, qualifier encore leur existence de simple survie est une pensée déprimante.

    En 2018, 51 personnes ayant tenté de se suicider ont été admises à l’hôpital de MSF dans le camp. Les équipes de MSF ont effectué plus de 2 400 consultations en santé mentale. Certains patients ont été profondément affectés par le niveau de violence extrême du conflit, et ressentent un désespoir exacerbé par leurs conditions de vie actuelles.

    La vie est très dure pour tout le monde, particulièrement pour les femmes. Ces dernières années nous ont tous affectés. Nous avons perdu des proches et tout ce que nous possédions en fuyant. Certains préfèrent se donner la mort plutôt que de continuer à vivre ainsi.
    Achol, une jeune femme âgée de 32 ans vivant dans le SPC de Malakal

    Un contexte instable

    D'après ce que nous disent nos patients, il y a actuellement des mouvements temporaires à l'intérieur et à l'extérieur des deux camps, mais les gens hésitent à déménager en dehors des camps en raison de l'incertitude entourant leur sécurité dans un contexte qui peut changer rapidement.

    « Le moment le plus difficile que j'ai vécu, c'est la première fois que je suis arrivée au SPC. Cela a été aussi très compliqué pour moi lorsque l'enceinte dans laquelle je vis a été attaquée et incendiée en 2016. Mon abri et tout ce qui se trouvait à l'intérieur, y compris mes vêtements, a été détruit », dit Achol, une femme d'Obai, un village sur la rive ouest du Nil, à une heure au sud de Malakal. La sécurité à l'intérieur des sites n'est pas absolue, les vols, les pillages et les violences sexuelles sont autant de préoccupations courantes des résidents. Le risque d'être attaqué est d'autant plus important pour ceux qui ont un emploi ou une source de revenu. 

    Il n'y a pas de sécurité chez nous pour le moment. Nous attendons que la situation se calme avant de rentrer, mais même dans ce cas, il se peut qu'il n'y ait pas les services et moyens de substistance pour que les gens puissent survivre et reprendre leur quotidien dans leur lieu d'origine.
    Un chauffeur MSF, qui depuis son arrivée n'a pas encore quitté le camp, excepté dans une voiture MSF

    « Si la paix s'installe, alors nous partirons. Sinon, mieux vaut rester ici. Toutes les femmes du Soudan du Sud, tous les habitants du Soudan du Sud attendent et espèrent le retour de la paix », conclut Teresa.

    D'ici là, le rythme de la vie dans les camps continue : bavardages, prières, enfants qui jouent, et tous luttent, mais tous résistent - survivant de la manière la plus digne possible, dans certaines des conditions les plus indignes que l'on puisse imaginer.