«Il fallait qu’on parte. Nous n’avions pas le choix», raconte Kareema. «À la fin, nous mangions de l’herbe». La nièce de Kareema, quatre ans, est assise près d’elle, avec une robe rose, et écoute attentivement. Kareema est l’une des milliers de personnes qui ont risqué leur vie, ces derniers mois, pour fuir Mossoul-Ouest.
La partie ouest de la ville, située sur la rive droite du Tigre, a été en proie à de violents combats depuis que les forces irakiennes y sont entrées en février dernier pour la reprendre au groupe État islamique. Kareema vit maintenant à Mossoul-Est chez un parent qui travaille dans l’hôpital d’Al Tahil que MSF a ouvert en mars pour prendre en charge les urgences médicales et chirurgicales.
Kareema était enseignante tandis que son mari, Saïd, travaillait de temps à autre comme ouvrier. Aujourd’hui l’idée d’un emploi, de n’importe quel emploi, ressemble à un rêve pour Kareema et pour beaucoup d’autres Mossouliotes. Ces derniers mois, il n’était question que de survivre, par tous les moyens.
Que ce soit une roquette tirée par l’armée ou une bombe lâchée par l’EI, on avait toujours l’impression que cela allait nous tomber sur la tête.
«La violence des combats a rendu pour nous la situation intenable à Mossoul-Ouest, raconte Saïd. Que ce soit une roquette tirée par l’armée ou une bombe lâchée par l’EI, on avait toujours l’impression que cela allait nous tomber sur la tête.» Cela n’a pas été facile de fuir. Au début, Kareema et Saïd ont juste réussi à parcourir quelques kilomètres pour rejoindre un autre quartier de Mossoul-Ouest. Ils y ont temporairement trouvé refuge car moins d’un mois plus tard, ce quartier s’est retrouvé happé aussi dans le conflit. Ils sont restés là 24 jours jusqu’à ce qu’ils ne puissent faire autre chose que repartir.
Après s’être cachés quelques jours dans un abri de fortune, ils sont partis un matin tôt, à pied, et ont enfin réussi à atteindre une zone sûre à l’écart des combats. Après leur arrivée dans un camp pour les personnes déplacées, ils ont été séparés : Kareema a été envoyée dans le secteur du camp réservé aux femmes et aux enfants et Saïd dans la partie réservée aux hommes. Mais 12 heures plus tard, ils se sont retrouvés et ont été autorisés à aller dans la maison d’un de leurs parents à Mossoul-Est. Leur calvaire était enfin terminé.
L’histoire de Kareema et de Saïd n’a rien d’exceptionnel. Depuis que je suis arrivé à l’hôpital d’Al Tahil pour MSF il y a trois mois, j’ai entendu d'autres histoires similaires. Plusieurs de nos patients viennent de Mossoul-Ouest. Assez souvent, la première chose qu’ils font en arrivant à Mossoul-Est est de chercher un endroit pour se faire soigner. Certains ont des blessures qui n’ont pas été traitées ou se sont infectées, d’autres souffrent de blessures par éclats.
Nos patients sont ceux qui ont eu la chance de réussir à fuir, mais il reste à Mossoul-Ouest quelque 100 000 personnes, coincées dans un quartier de la vieille ville faisant à peine quelques kilomètres carrés, où la nourriture et l'eau manquent, tout comme les médicaments les plus élémentaires. Hassan, un ancien vétérinaire, a fui Mossoul-Ouest fin avril avec sa femme Mayssam et leurs trois filles : Jouri, Ghazial et Arij.
Même avec de l’argent, il n’y avait plus rien à acheter.
Chaque matin, Mayssam prenait la seule casserole qu’elle avait et faisait cuire de la sauce tomate diluée dans un reste d’huile qu’ils avaient. «C’était la dernière bouteille d’huile que nous avions et je savais que je ne pourrai pas en acheter une autre. Un litre d’huile coûtait 1 000 dinars et maintenant cela coûte 30 000 dinars au marché noir. Mais ce n’est même pas le problème. Il n’y en avait plus du tout. Même avec de l’argent, il n’y avait plus rien à acheter.»
Hassan et Mayssam avaient deux bougies pour avoir de la lumière parce que l’électricité avait été coupée depuis longtemps. La famille se blottissait dans une pièce pour utiliser une bougie à la fois et les faire durer le plus longtemps possible. Mais ils ont eu de la chance, ils n’ont jamais eu de gros problèmes de santé. «Si nous en avions eu, nous savons que nous n’aurions pu aller nulle part.»
Toute la population de la zone assiégée dépend de quelques infirmières qui, précise Mayssam, vont d’une maison à l’autre pendant les brefs moments d’accalmie entre les combats, sans matériel et avec un assortiment de médicaments totalement insuffisant.
Maintenant la principale préoccupation d’Hassan concerne les nombreux membres de sa famille qu’il a laissés derrière lui. «Nous avons des oncles, des cousins et des amis là-bas, dit Hassan. Ils sont dans la même situation désespérée que celle dans laquelle nous étions. Pas de nourriture, pas d’eau, pas de médicaments. Nous sommes encore en contact avec eux par téléphone.»
Ce qui est vraiment étonnant, c'est que les deux familles sont bien décidées à retourner dans ce quartier de Mossoul ravagé par la guerre, une fois les combats terminés, alors qu’elles ont parfaitement conscience de ce qu’elles y trouveront. «Nous allons y retourner quand ce sera fini», dit Kareema. «Cela ira une fois que l’eau et l’électricité seront revenus.»
* Image principale : le camp de réfugiés de Chamakor pour les personnes déplacées qui ont fui la violence à Mossoul. © Giulio Piscitelli