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Migration. Camps. Moria. Grèce.

Grèce

Cessez vos agissements contre les demandeurs d’asile piégés en Grèce !

Au cours des quatre dernières années, la situation humanitaire des personnes bloquées sur les îles grecques ne s’est pas améliorée, elle s'est aggravée. Lesbos, Grèce, octobre 2018. © Anna Pantelia/MSF
Opinions et débats 
Dr Christos Christou - Président international de MSF
Lettre ouverte du Dr Christos Christou, président international de MSF aux dirigeants européens.

    « Je viens de rentrer des îles grecques : je suis choqué par ce que j'ai vu et par les récits de mes collègues sur le terrain.

    Ils m'ont parlé d'un garçon de 12 ans qui est venu dans notre clinique de Moria, à Lesbos, après s'être mutilé le visage à plusieurs reprises avec un couteau.

    Ils m'ont également raconté l’histoire d’une fillette de 9 ans gravement blessée par l'explosion d'une bombe en Afghanistan. Elle souriait lorsqu’elle est arrivée en Grèce. Mais au fil des mois qu’elle a passés piégée à Lesbos, elle a cessé de parler, de manger et s’est complètement éteinte.

    Ces deux enfants ont survécu à la guerre et aux persécutions, mais des mois passés dans des endroits insalubres comme le camp de Moria ont poussé beaucoup de ces jeunes patients au bord du gouffre, à se faire du mal et à penser au suicide.

    C’est pour ces enfants et pour toutes les personnes que les politiques européennes continuent de piéger dans les îles grecques que je témoigne aujourd'hui.

    Les enfants ne sont pas les seuls à être vulnérables. Les personnes qui ont survécu à la torture sont obligées de partager leur tente avec de parfaits inconnus pendant des mois. À Vathy, sur l’île de Samos, les victimes de violences sexuelles racontent à notre équipe qu'elles ont trop peur de se rendre aux toilettes la nuit. Nombre d'entre elles ne sont pas considérées comme vulnérables par les autorités grecques et leurs besoins disparaissent dans le grand labyrinthe des procédures administratives.

    En 2016, vous avez décidé que contenir ces gens dans ces îles était une mesure nécessaire limitée dans le temps. Nous vous avons mis en garde par rapport aux conséquences humanitaires de l’accord que vous avez conclu avec la Turquie. Nous avons même décidé de ne plus accepter de financements des États membres de l'Union européenne (UE) en signe de protestation. Nous voyons aujourd’hui le résultat de cet accord avec la Turquie : un état d’urgence chronique et un cycle endémique de souffrance humaine.

    Au cours des quatre dernières années, la situation humanitaire ne s’est pas améliorée, elle s'est aggravée.

    Au cours des trois derniers mois seulement, une femme, un enfant et un bébé de neuf mois sont décédés, dans les conditions épouvantables du camp de Moria et à cause du manque de soins adéquats. Ils cherchaient la sécurité en Europe, ils ont trouvé la mort dans un centre d'accueil européen.

    La situation est comparable à celle que nous observons après des catastrophes naturelles ou dans des zones de guerre ailleurs dans le monde. Il est scandaleux de voir ces conditions en Europe – un continent censé être sûr – et de savoir qu'elles résultent de choix politiques délibérés.

    Plutôt que de reconnaître le coût humain de votre approche, vous continuez à demander une mise en œuvre plus ferme de l'accord UE-Turquie. Vous envisagez même des mesures plus radicales, comme les projets récemment annoncés par le gouvernement grec de convertir ces points d’accueil en centres de détention de masse et d’accélérer les expulsions.

    Arrêtez cette folie.

    Après quatre ans, vous devriez avoir compris que les politiques tentant de dissuader les gens de venir en Europe ne feront qu'engendrer davantage de souffrances et de morts.

    Face à la situation chaotique que vous avez créée en Méditerranée, au cycle d'interception en mer, aux actes de torture et aux détentions arbitraires en Libye, ainsi qu’aux refoulements violents dans les Balkans, où des milliers de personnes vivent dans des conditions inhumaines avant l'hiver, les dommages causés par ces politiques sont incommensurables. Et les mêmes mesures de refoulement, de confinement, de détention arbitraire, de discrimination et d’abus se reproduisent de plus en plus à l’échelle mondiale.

    Aucun agenda politique ne peut justifier des mesures qui nuisent délibérément et consciemment aux personnes – ce que nous vous avons dénoncé à plusieurs reprises.

    Arrêtez de l’ignorer, arrêtez de prétendre qu’elles ne font pas de mal.

    En tant que médecin qui représente une organisation humanitaire, je suis choqué de voir que ces souffrances sont normalisées et justifiées par les gouvernements européens, comme s’il s’agissait d’un prix acceptable à payer pour empêcher ces personnes d’entrer en Europe.

    MSF ne peut pas accepter cette déshumanisation flagrante. Peu importe l'aide que nous prodiguons à nos patients, nous devons ensuite les renvoyer dans des conditions qui les rendent malades, conditions que les États européens ont délibérément créées.

    Nos équipes ne peuvent pas faire grand-chose pour mettre fin à ce cycle de souffrance – nous n’avons aucun remède pour cela. La solution est entre les mains des États européens qui doivent trouver la volonté politique d'agir maintenant.

    Cette tragédie humaine doit cesser. Mettez un terme à cette punition collective voulue contre ces personnes en quête de sécurité en Europe. Évacuez d’urgence les personnes les plus vulnérables de ces centres vers des logements sûrs dans d’autres États européens. Mettez fin à la politique de confinement.

    Rompez définitivement le cycle de la souffrance sur les îles grecques.»

    Christos Christou, président international de MSF