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RD Congo

«Au Congo, on parle de désert sanitaire»

Témoignages 
Sylvie Thomas - Chef de mission adjointe
Sylvie Thomas est Chef de mission adjointe en République démocratique du Congo (RDC) depuis octobre 2016. Elle témoigne.

    Quel est le contexte en RDC?

    Le contexte du Congo est très particulier. D’un point de vue politique, la population est dans l’attente d’une échéance électorale: le pouvoir et l’opposition cogèrent le pays durant la transition, entre la fin du mandat du président Joseph Kabila, le 20 décembre 2016 et l'élection de son successeur, fin 2017. Il règne donc une instabilité grandissante. La RDC est un pays extrêmement pauvre ou toute une partie de la population est exclue du système de soins car elle n’a pas les moyens financiers de se faire soigner.

    Les tensions inter-ethniques et communautaires ajoutent à ce contexte une atmosphère de violence et de conflits. Historiquement on entend souvent parler du Nord-Kivu où la situation avait dégénéré en conflits armés, mais la problématique est aujourd’hui plus étendue et quasi permanente au Congo. Des milices se constituent et représentent les intérêts d’un groupe. Des villages sont brûlés, des personnes sont tuées, et quand ces clashs se produisent, généralement, la population se déplace et retourne vers les lieux où sa communauté est majoritaire.

    Le contexte est donc composé d’un mélange entre une situation politique floue et des difficultés intercommunautaires persistantes, qui génèrent des conflits et des déplacements et rendent la population plus vulnérable. C’est elle qui paye le prix de toute cette confusion.

    Quels sont les besoins de la population ?

    Les besoins sont énormes, en matière de soins de santé primaire comme secondaire. Le système est déficient : les hôpitaux ne fonctionnent pas ou peu et les soins sont chers. Au Congo, on parle de désert sanitaire. Le tout est d’identifier les zones où les populations sont les plus vulnérables et les besoins les plus aigus. Nous essayons de répondre aux problématiques données à un moment T, au travers d’une réponse extrêmement flexible.

    Le tout est d’identifier les zones où les populations sont les plus vulnérables et les besoins les plus aigus.

    On compte un grand nombre d’épidémies, par exemple : la rougeole, le choléra, le paludisme, etc. Ces pathologies font beaucoup de décès chez les moins de cinq ans du fait du manque d’accès aux soins. Nous intervenons ponctuellement pour répondre aux épidémies et continuons à faire des vaccinations préventives.

    Quel est ton rôle et quels sont les challenges auxquels tu fais face au quotidien ?

    Je suis Chef de mission adjointe, basée à Goma, au plus près des projets. Mon rôle est d’être en appui des projets en première ligne. Nous avons fait le choix de travailler avec des employés du ministère pour assurer la pérennité de nos actions sur place. Nos équipes accompagnent donc techniquement et financièrement les équipes du ministère de la Santé. Je suis là pour les appuyer, notamment lorsqu’il faut négocier avec les différents acteurs politiques, mais aussi avec les ONG afin d’identifier les lacunes et les réponses insuffisantes à certaines pathologies. Il y a tout un volet d’exploration pour identifier les problèmes le plus tôt possible. Je sers également d’appui à la construction des projets.

    Au Congo, on trouve de vraies compétences : infirmiers, médecins, logisticiens, etc.

    Nous n’avons pas choisi la solution de facilité en travaillant avec le ministère de la Santé. Aujourd’hui, dans la vision que nous avons de la situation sanitaire de ces régions, il apparaît que des structures existent et vont perdurer même après notre départ. Le but est d’accompagner ces structures pour qu’elles se renforcent. Au Congo, on trouve de vraies compétences : infirmiers, médecins, logisticiens, etc. L’autre challenge, c’est que le Congo et le Nord-Kivu sont soumis, depuis dix ans, à des tensions inter-ethniques, qui prennent en otage les populations dans une instabilité chronique. Et sur ce point, nous n’avons que peu d’influence.

    Quelle est la problématique majeure de MSF dans le pays ?

    Les premières difficultés auxquelles sont confrontées les personnes déplacées, ce sont des problématiques de nutrition. À Bamboo, alors même qu’il y avait des acteurs présents et prêts à intervenir dans la zone, aucun d’eux n’avait de financement pour la nutrition. La nutrition coûte cher et demande une logistique très importante. On utilise le Plumpy nut, mais il en faut en grandes quantités puisque cela nécessite des durées de prise en charge d’un mois voire plus. Il faut également un suivi, des cohortes sont accompagnées dans leur traitement durant des semaines.

    Ce sont des zones où la malnutrition revient régulièrement, il suffit que les conflits reprennent et  la problématique se renforce. Il faut aujourd’hui anticiper ce genre de phénomènes.

    Les bailleurs semblent moins s’intéresser à ce volet-là. Pourtant, cette malnutrition est chronique. Ce sont des zones où la malnutrition revient régulièrement, il suffit que les conflits reprennent et  la problématique se renforce. Il faut aujourd’hui anticiper ce genre de phénomènes.

    Un moment à partager ?

    Il y a des anecdotes amusantes et d’autres franchement tristes. Par exemple lors de la mission exploratoire à Bamboo, nous avons visité le camp principal de Bamboo qui abrite près de 1 500 ménages. Pendant la visite, nous avons vu un homme âgé de 50 ans, assis devant sa hutte en paille. J’étais accompagnée d’un médecin congolais qui a tout de suite vu qu’il n’allait pas bien, qui est allé le voir et a constaté qu’il était en situation d’anémie sévère. Il devait être transféré immédiatement à l’hôpital. En matière d’urgence médicale, nous ne faisons pas de distinction d’âge.

    Dix minutes après, alors que nous nous dirigions vers la voiture, l’homme est décédé. Il n’a pas supporté le déplacement. C’était trop tard. Ça fait un choc, cela me rappelle la notion de « tomber comme des mouches »…  

    *Image principale : le chirurgien Isaac Bahati Chuma et son équipe consultent un patient à l'hôpital général de Mweso, à la frontière entre les territoires de Masisi et Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu en RDC. © Gwenn Dubourthoumieu