La fièvre de Lassa est une fièvre hémorragique qui fait des ravages en Afrique de l’Ouest, et particulièrement au Nigéria, en Sierra Leone, en Guinée, au Libéria ainsi que dans les pays limitrophes. Causée par une infection virale, la fièvre de Lassa est proche de la fièvre Ebola, mais est moins bien connue et comprise que cette dernière. Pouvez-vous nous en dire plus à propos de la fièvre de Lassa au Nigéria ?
En 2018, le Nigéria a connu l’une des pires épidémies de fièvre de Lassa de son histoire. 23 des 36 États que compte le pays ont été touchés. Près de 3 500 suspicions de cas ont été signalées, et 45 professionnels de santé ont été contaminés. 27 % des patients dont le diagnostic a été confirmé sont décédés. La maladie est endémique au Nigéria mais, contrairement aux épidémies plus imprévisibles de fièvre Ebola, des cas de fièvre de Lassa ont été régulièrement observés au cours des dernières années.
La surveillance de la maladie n’étant pas uniforme, les estimations du nombre de cas demeurent imprécises. En outre, il est possible que le schéma saisonnier épidémiologique de la maladie soit en train d'évoluer : en effet, si nous avons assisté en 2018 à un pic du nombre de cas au début de l’année calendaire, la saison a débuté plus tôt cette année. Des patients ont été hospitalisés et plusieurs cas ont été confirmés lors de mon séjour dans l'État d'Ebonyi. Le nombre de cas recensés en 2019 est plus élevé qu’à la même période en 2018, et le ministère de la Santé du Nigéria a déclaré que l’épidémie constituait une urgence sanitaire publique.
Le virus se transmet par contact direct avec les urines ou les excréments des rongeurs du genre mastomys (souris multimammates), ou avec le sang ou les fluides corporels d'un autre malade. Environ 80 % des patients présentent des symptômes modérément graves, ce qui entraîne des erreurs de diagnostic. Ils souffrent souvent de fièvre, de douleurs musculaires et au niveau de la poitrine, de vomissements, de diarrhées, de convulsions et de perte auditive. Un tiers des patients développent une surdité pouvant s’avérer permanente. Certains malades peuvent présenter d’autres symptômes, tels que des saignements importants au niveau du nez, des yeux et de la bouche.
L’une des principales difficultés associées au traitement de la fièvre de Lassa réside dans l’identification et la confirmation du diagnostic : les premiers symptômes s’apparentent en effet à ceux du paludisme, et seuls trois laboratoires sont en mesure de procéder aux analyses nécessaires pour confirmer le diagnostic dans le pays. En outre, aucun vaccin n’est à ce jour disponible, et une instauration tardive du traitement peut engendrer une détérioration de l’état du patient.
MSF s’est associée à l'intervention de lutte contre l’épidémie en mars 2018, et soutient depuis lors le Federal Teaching Hospital d’Abakaliki (FETHA), dans l'État d'Ebonyi, le troisième le plus durement touché du pays. Quelle contribution apporte MSF dans l'État d'Ebonyi ?
Afin d’aider l'État d'Ebonyi à être mieux préparé aux futures épidémies, MSF a amélioré les mesures de prévention et de contrôle de la contamination en vigueur, renouvelé les équipements de protection individuelle, fourni des outils et directives de diagnostic et de prise en charge de la maladie, et diffusé des informations relatives à la fièvre de Lassa au sein des communautés.
La transmission entre individus étant fréquente en milieu hospitalier, les médecins et visiteurs des patients doivent porter des équipements de protection afin d'éviter tout risque d’infection. L’année dernière, deux médecins sont décédés après avoir été en contact avec des patients au sein de l’hôpital FETHA. L’amélioration des mesures de contrôle et de prévention de la contamination – telles que le port d’équipements de protection et les pratiques d’hygiène des mains – permettant d’éviter les risques de transmission au sein des hôpitaux a donc constitué une initiative de sécurité particulièrement importante.
Mais ces tenues de protection ne sont pas pratiques à utiliser : elles sont encombrantes, entravent les mouvements et couvrent l’intégralité du corps, y compris le visage. Les médecins ainsi que les visiteurs sont contraints de porter des masques couvrant leur visage, ce qui empêche les patients d’avoir des interactions directes avec qui que ce soit pendant leur période de confinement dans la zone à haut risque.
Un système de barrières orange a par conséquent été installé afin de diriger les visiteurs et les professionnels de santé au sein de l’hôpital FETHA et de réduire les risques de transmission de la maladie. Tenus à bonne distance et protégés derrière ces barrières orange et des fenêtres, les proches peuvent rendre visite aux malades à l’hôpital sans porter de tenue de protection et sans risquer de contracter la maladie.
Vous étiez également présente dans l'État d'Ebonyi pour contribuer à la collecte de données et à la documentation de la prise en charge clinique. En quoi consistait votre intervention ?
À l’hôpital d’Abakaliki, les informations concernant les patients sont uniquement inscrites dans leur dossier : les médecins les notent sur des pages vierges, mais il n’existe aucun formulaire standard ni aucune base de données permettant de collecter ces données. Par conséquent, elles peuvent disparaître ou ne pas être systématiquement enregistrées, ce qui rend difficile la compilation des données concernant différents patients ainsi que leur analyse, et empêche les chercheurs de tirer des conclusions. Afin de mieux comprendre les facteurs favorisant la maladie et d’améliorer la prise en charge des patients, nous avions besoin de trouver une meilleure manière de collecter les données de façon systématique et opportune, et c’est ce sur quoi nous travaillons.
Nous savons que nous manquons de connaissances concernant l'épidémiologie de la fièvre de Lassa, par exemple quels sont les facteurs qui entrent en jeu dans la transmission de la maladie des rongeurs à l’Homme, ou encore les facteurs comportementaux associés. Ces données sont essentielles pour parvenir à contrôler la maladie.
Vous avez participé aux côtés de plusieurs experts internationaux à la Conférence organisée à Abuja à l’occasion du 50e anniversaire de la découverte de la fièvre de Lassa. La nécessité de disposer d'équipements adaptés, la formation des professionnels de santé et les recherches à venir étaient au cœur des discussions. Quelles mesures devront être adoptées pour réduire la survenue et la propagation des épidémies de fièvre de Lassa au Nigéria ?
Il est indispensable de disposer d’estimations plus précises du véritable nombre de cas au Nigéria, car cela nous permettra de mieux comprendre l’épidémiologie du virus. Il est également très important d’améliorer les outils de diagnostic disponibles, de poursuivre les travaux en vue de développer un vaccin, et de commencer à travailler sur des essais cliniques. Je pense que nous devons continuer à nous focaliser sur l’amélioration de la prise en charge des patients et des conditions de travail des professionnels de santé, comme nous le faisons dans le cadre du projet mené dans l’État d’Ebonyi, où la prévention de la contamination et les mesures de contrôle figuraient en haut de la liste des priorités pour éviter les risques de transmission au sein des hôpitaux. Ces mesures portaient notamment sur la fourniture d'équipements de protection et la construction d’un incinérateur permettant d'éliminer en toute sécurité les déchets contaminés.
En collaboration avec d’autres hôpitaux et des partenaires locaux et internationaux, la première étape du programme de recherche sur la fièvre de Lassa mené dans l’État d’Ebonyi a consisté à lancer une étude visant à identifier quels symptômes cliniques et résultats d’analyses sanguines – évaluant par exemple la fonction hépatique et rénale – sont liés à la survie des patients contaminés. Cette étude devrait fournir des données qui guideront la conception de futurs essais cliniques.
L’unité de recherche opérationnelle LuxOR soutient par ailleurs les recherches des professionnels de santé traitant des malades de la fièvre de Lassa au quotidien. Par exemple, la spécialiste des maladies infectieuses de l’hôpital FETHA participe à une formation intitulée Structured Operational Research Training Initiative (SORT IT, Initiative de formation à la recherche opérationnelle structurée) organisée conjointement par MSF et le Programme spécial de recherche et de formation concernant les maladies tropicales de l’Organisation mondiale de la Santé (WHO/TDR), dans le cadre de laquelle elle mène une analyse rétrospective des cas des malades admis à l’hôpital au cours de l’épidémie de 2018.
