K. survivant de torture originaire de Gambie. © Valentina Tamborra
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À Palerme, MSF met en lumière la torture comme réalité structurelle des routes migratoires

Le mercredi 25 juin 2025

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K. a survécu à la torture, à la détention et à la violence. Il est arrivé en Italie dans un état critique après un long périple commencé en Gambie, passant par le Sénégal, le Mali, l’Algérie et la Libye, où il est resté des mois piégé et torturé, transféré de prison en prison. Aujourd’hui, après une greffe du cœur, il construit une nouvelle vie à Palerme, en Italie.

« Je remercie Dieu d’être encore en vie, mais j’ai vu des gens mourir sous mes yeux. Nous avons traversé le désert et la Libye. Dans les prisons libyennes, j’ai vu des personnes se faire tuer, des femmes violées devant moi. En Italie, on m’a donné un autre cœur car le mien ne fonctionnait plus. Il y a encore beaucoup de choses que je ne peux pas faire, mais je suis vivant : je peux travailler, voir de beaux endroits, savourer chaque instant », raconte K., qui suit aujourd’hui un cours de couture, écrit des chansons et espère devenir médiateur interculturel. 

Beaucoup de gens n’ont pas survécu à ce que j’ai vécu. Je mesure maintenant la chance que j’ai eue : je suis vivant. »

K. fait partie des centaines de personnes accompagnées par l’organisation internationale Médecins Sans Frontières (MSF) à travers un projet de réhabilitation pour survivants de la torture à Palerme. La violence intentionnelle, les traitements inhumains et la torture ne sont pas des épisodes isolés le long des routes migratoires — y compris la route méditerranéenne.

Bien qu’interdites en toutes circonstances par le droit international, ces pratiques restent courantes et largement impunies, alimentées par l’absence de voies légales et sûres pour demander protection, ainsi que par des politiques migratoires de plus en plus restrictives.

Le nouveau rapport de MSF, intitulé « Inhuman. Torture along the Mediterranean migration route, and the support of survivors in a fragile system. » (en français "Inhumain. La torture le long de la route migratoire méditerranéenne et le soutien aux survivants dans un système fragile"), publié à l’occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, montre que la torture est un élément structurel et largement répandu tout au long de cette route. Une pratique aux conséquences dévastatrices sur la santé physique et mentale, qui laisse non seulement des marques visibles sur le corps, mais aussi des cicatrices psychologiques profondes, persistantes et invalidantes, affectant souvent tous les aspects de la vie d’une personne — de sa capacité à établir des relations, à poursuivre des objectifs professionnels ou à continuer son développement personnel.

Lire le Rapport

Inhuman: Rapport MSF

La torture, une pratique systémique le long de la route méditerranéenne : plus de 60 % des cas ont eu lieu en Libye.

De janvier 2023 à février 2025, le projet de MSF à Palerme a pris en charge 160 survivants de la torture, majoritairement des hommes (75 %) avec une moyenne d’âge de 25 ans. Dans 82 % des cas, la torture a eu lieu dans des pays de transit, la Libye présentant la plus forte incidence (108 cas), suivie par la Tunisie (41).

Par ailleurs, 36,5 % des épisodes de violence extrême ont eu lieu dans neuf pays considérés comme « sûrs » par le gouvernement italien et la Commission européenne à des fins de rapatriement : l’Algérie, le Bangladesh, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, la Gambie, le Ghana, le Maroc, la Tunisie et le Sénégal.

Les patients ont indiqué que dans plus de 60 % des cas, les tortionnaires étaient des passeurs, tandis que dans 30 % des cas, il s’agissait de représentants des forces de l’ordre. Les épisodes de torture ont souvent eu lieu dans des prisons officielles ou informelles, des centres de détention tenus par des milices, ou juste après des tentatives d’évasion par la mer ayant échoué.

Les femmes, dans leur parcours vers la sécurité en Europe, sont souvent victimes de violences sexuelles et sexistes : 80 % des patientes du projet MSF ont subi ce type de violence, souvent en parallèle d’autres formes de torture, et 70 % ont été victimes de violences sexuelles dans leur pays d’origine.

Les hommes ne sont pas épargnés : certains patients de MSF ont rapporté avoir été eux-mêmes victimes de violences sexuelles ou avoir été forcés d’y assister, perpétrées contre leurs épouses ou leurs sœurs.

Les patients sont invités à représenter les événements de leur vie avec des pierres pour les traumatismes, des fleurs pour les bons souvenirs, et des bougies pour les pertes. 

Des blessures durables : au-delà de la douleur physique

La torture tente d’anéantir l’identité. Le corps se souvient de la douleur. L’esprit y reste prisonnier. Notre travail consiste à reconstruire ce qui a été brisé — aider les gens à se sentir de nouveau humains grâce à un parcours de réhabilitation interdisciplinaire », explique Monica Rugari, psychologue MSF à Palerme.

« Nous commençons le processus thérapeutique en instaurant une relation de confiance — un espace sûr où le patient peut à nouveau se sentir humain, libre de faire ses propres choix. »

Les coups, les flagellations, les brûlures, l’arrachage des ongles, l’électrocution, les violences sexuelles ou la suffocation font partie des pratiques violentes endurées par les patients de MSF.

Les effets de la torture et des mauvais traitements sur les êtres humains sont nombreux et profonds, touchant les dimensions physiques, psychologiques, culturelles et sociales. Ils peuvent laisser des cicatrices visibles et entraîner des affections chroniques et des douleurs persistantes, ou rester invisibles et causer des dommages psychologiques durables.

En effet, au-delà des symptômes physiques (15 % des patients signalent des troubles musculo-squelettiques, 12 % des troubles digestifs, plus de 9 % des symptômes neurologiques), les séquelles les plus durables sont psychologiques : 67 % souffrent de troubles de stress post-traumatique (TSPT), souvent accompagnés d’anxiété, de dépression, de cauchemars, d’un engourdissement émotionnel et d’isolement.

Parmi les survivantes de la torture sexiste, du viol et de l’exploitation sexuelle, les données montrent que les symptômes et troubles gynécologiques sont plus fréquents que d’autres problèmes médicaux, touchant 6 % des patientes, en plus de l’anxiété, de la dépression et du TSPT.

Les patients sont invités à représenter les événements de leur vie avec des pierres pour les traumatismes, des fleurs pour les bons souvenirs, et des bougies pour les pertes.

Reconstruire sa vie et réparer son identité

Malgré les terribles conséquences de la torture, la réhabilitation offre un chemin vers la reconstruction de l’identité et la réappropriation de sa vie pour les survivants de la torture et de la violence intentionnelle.

Depuis 2021, le service de réhabilitation des survivants de la torture, actuellement géré par MSF en collaboration avec l’hôpital universitaire « Paolo Giaccone », le département ProMISE, le CLEDU et l’université de Palerme, propose des soins et un accompagnement spécialisés aux survivants de la torture à Palerme, en Italie.

Guérir d’une expérience de torture est un processus très complexe qui nécessite une approche globale et une compréhension attentive des récits traumatiques individuels. Pour soutenir la clinique de MSF à Palerme dans ce processus de réhabilitation multidisciplinaire, LuxOR mène une recherche fondée sur l’anthropologie médicale et l’anthropologie de la torture. Ces disciplines peuvent en effet offrir au personnel de MSF des outils pour mieux appréhender l’expérience de la violence du point de vue des survivants, en adoptant une approche centrée sur la personne. L’équipe de recherche est composée de membres de MSF, de chercheurs universitaires et de survivants, en partenariat avec une université locale. » - Umberto Pellecchia, anthropologue et spécialiste des questions migratoires au sein de l'Unité de Recherche Opérationnelle Luxembourgeoise (LuxOR)

Quand on a été torturé, la notion du temps se brise. Il n’y a plus de ‘avant’ ou ‘après’ — juste l’instant de violence, qui ne finit jamais », affirme Grazia Armenia, psychologue MSF à Palerme.

Les patients sont invités à représenter les événements de leur vie avec des pierres pour les traumatismes, des fleurs pour les bons souvenirs, et des bougies pour les pertes. « Il y a toujours des fleurs parmi les pierres, car tant qu’on est en vie, il reste une histoire à écrire », poursuit Grazia.

La plupart des patients du projet MSF à Palerme reconstruisent actuellement leur vie en Italie, recollant les morceaux brisés et retrouvant leur identité malgré les violences subies.

« Il a été difficile de refaire confiance aux gens. Parfois, j’ai l’impression de ne pas vraiment vivre, juste de survivre. Quand je suis arrivé en Italie, j’ai pleuré, j’avais peur. Mais maintenant je me sens mieux. La thérapie est importante pour moi ; elle m’aide à reconstruire mon idée de l’avenir », confie O., un patient de MSF originaire de Côte d’Ivoire ayant subi la torture dans son pays et pendant son parcours.

Aujourd’hui, O. vit à Palerme, où il étudie et milite pour les droits humains.

L’aide de MSF aux survivants de la torture

En 2024, MSF a aidé 653 survivants de la torture dans ses projets à travers le monde. Les principaux pays où MSF est intervenue auprès de survivants sont : la République démocratique du Congo, le Mexique, l’Italie, le Soudan du Sud, le Niger et le Nigéria.

MSF en Italie

MSF travaille en Italie depuis 1999, en aidant les migrants et réfugiés arrivant par la mer, dans les centres d’accueil et les campements informels, pour leur offrir une assistance médicale, humanitaire, psychologique et socio-sanitaire, en partenariat avec les autorités italiennes.

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