
Kunduz, 10 ans après : MSF poursuit son soutien
Article sous embargo jusqu'au 3 octobre 2025, 10h00 (heure de Luxembourg)
Tribune de Renzo Fricke, directeur des opérations pour Médecins Sans Frontières
Bruxelles, Luxembourg - 3 octobre 2025
« Vous ne pouvez pas trouver de meilleures personnes à soigner ? » En tant que Médecins Sans Frontières (MSF), cette question nous a été posée lors d'une réunion avec un groupe armé, il y a quelques années. Nous discutions de l'un de nos hôpitaux en première ligne, et du fait que nous soignions des personnes qui étaient perçues comme « ennemies ».
Dix ans se sont écoulés depuis que les frappes aériennes américaines ont tué 42 membres du personnel, patients et soignants, et détruit l'hôpital de traumatologie de MSF à Kunduz, en Afghanistan.
Il y a eu de l'indignation, de la colère, et une profonde tristesse ; des ouvertures d’enquêtes ont été demandées ; des campagnes ont été lancées ; et en mai 2016, une résolution historique des Nations Unies a été adoptée – la résolution 2286 (des attaques dévastatrices contre des établissements de santé avaient également eu lieu en Syrie et au Yémen dans les mois qui ont suivi.) Cette résolution condamnait fermement les attaques contre les établissements médicaux et leur personnel en situation de conflit, et appelait à une protection renforcée.
Pourtant, la Safeguarding Health in Conflict Coalition estime qu’en 2024, les établissements de santé ont été attaqués en moyenne dix fois par jour dans les zones de conflits. Loin de s’améliorer, la situation s’est en réalité aggravée : les attaques contre les structures de santé ont explosé avec les guerres et les violences, comme en Ukraine, en Palestine, au Soudan et en Haïti.
Lorsqu'un hôpital ne fonctionne plus ou que les équipes médicales ne peuvent plus travailler, les populations souffrent. Les jours précédant le bombardement, l'hôpital de Kunduz était complet, surchargé, les patients étant entassés dans tous les espaces disponibles. Cette semaine-là, près de 400 patients – hommes, femmes et enfants – ont été soignés après avoir été blessés lors des combats. Après l’attaque, ce lien vital a été rompu.
Du jour au lendemain, plus d'un million de personnes dans le nord-est de l'Afghanistan ont été privées de soins chirurgicaux de qualité, et il a fallu près de six ans pour reconstruire ce qui avait été perdu.


Malheureusement, certains considèrent cette situation comme "positive". Les attaques contre les structures de santé sont une forme de stratégie militaire, une décision délibérée de priver certaines populations du droit aux soins, qui est pourtant un droit fondamental. Et cela nous ramène à cette question : « Ne peut-on pas trouver de meilleures personnes à soigner ? » Il n'y a pas de meilleur ou de pire.
Les patients sont soignés sans discrimination, en fonction de leurs besoins médicaux, quels que soient leur origine ethnique, leurs convictions ou affiliations politiques, leur religion ou leur genre.
Il s'agit d'un principe fondamental du droit international humanitaire, qui interdit également de faire de l'aide médicale une cible. Il n’existe pas de système à deux vitesses pour déterminer qui mérite des soins et qui n’en mérite pas.
Il devient de plus en plus difficile de plaider pour la protection des hôpitaux et des structures de santé, lorsqu'il est devenu si facile de les attaquer. On a le sentiment que de plus en plus de gens sont devenus insensibles à l’horreur que représente un tel acte. Aujourd’hui, il suffit qu’un État comme Israël déclare que, s'il a attaqué un hôpital à Gaza, les personnes à l’intérieur le méritaient. Et cette explication suffit. Même dans le cas exceptionnel où un hôpital aurait perdu sa protection – et ce n'était pas le cas à Kunduz –, cela ne donne pas carte blanche pour s’en prendre à son personnel et à ses patients. Le niveau de surveillance internationale est si faible que la justification ou la preuve de ces actes n'est jamais demandée ni exigée.
Un hôpital ne peut pas être rasé par erreur. Et lorsqu'un hôpital est bombardé, il n'appartient pas à ceux qui s'y trouvent de prouver pourquoi il n'aurait pas dû l'être.
Est-il encore possible de fournir des soins médicaux en toute sécurité sur une ligne de front aujourd'hui ? Si nous continuons sur cette lancée, la réponse pourrait bientôt être négative. À Kunduz, l'hôpital se situait sur une ligne de front qui évoluait très rapidement, mais il a continué à fonctionner. On y soignait les blessés, même lorsque le contrôle du territoire passait de l’armée afghane aux talibans. C’est ce qui avait été négocié, et c'est ce que doit être un hôpital en zone de conflit. Pourtant, aujourd'hui, en Ukraine, lorsqu'un hôpital déménage de l'autre côté d'une ligne de front, son fonctionnement est souvent totalement interrompu.
Les personnes se sont rendues à l'hôpital de Kunduz parce qu'elles pensaient y être en sécurité. Certaines sont même venues avec leurs familles. Personne n'aurait pu imaginer ce qui s'est passé le 3 octobre 2015. Tous se croyaient en sécurité entre ces murs, même s'ils avaient peur. Aujourd'hui encore, des personnes se réfugient dans les hôpitaux, espérant malgré tout y être en sécurité.
Partout dans le monde, les professionnels de santé continuent de se mobiliser jour après jour, y compris dans des contextes d'insécurité et de conflit. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour assurer leur protection ainsi que celle des personnes qu'ils soignent. Les États qui attaquent les structures de santé en toute impunité doivent être confrontés à leurs justifications, et la charge de la preuve doit être transférée de ceux qui subissent les attaques à ceux qui les perpètrent.
Peut-être que le plus important est de rester indignés, de rejeter la banalisation des bombardements sur les hôpitaux. Attaquer les structures de santé est un acte odieux. Ce n'est pas un prix acceptable à payer. Il n'y a pas de « meilleures » personnes à soigner.