La route le long du mur frontalier dans la région de Sasabe en Arizona.

Un rapport MSF dénonce les politiques migratoires déshumanisantes sur le continent Américain

MSF appelle les gouvernements de la région à abandonner les tactiques de dissuasion brutales et à adopter des politiques migratoires et de protection humaines.

Cet communiqué et le rapport sont soumis à un embargo jusqu'au 12 août 2025 à 18h CET.

Mexique /Luxembourg- Le 12 août 2025

Au cours de ses six premiers mois au pouvoir, l'administration américaine actuelle a mis en œuvre la politique migratoire la plus restrictive et la plus déshumanisante depuis des années, abandonnant des centaines de milliers de personnes espérant demander l'asile aux États-Unis et les laissant bloquées en danger au Mexique et en Amérique centrale, révèle un nouveau rapport de l'organisation humanitaire médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF).

Ce rapport souligne comment les politiques et le discours du gouvernement américain criminalisant la migration ont eu un écho dans toute l'Amérique latine. MSF appelle tous les gouvernements des Amériques à renoncer aux tactiques de dissuasion et d'abandon et à mettre en œuvre des politiques humaines garantissant l'accès à l'asile, aux soins médicaux et à la protection le long du corridor migratoire latino-américain.

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Ces politiques, combinées à la réduction drastique de l'aide et à l'empreinte humanitaire le long de la route migratoire, ont eu un impact dévastateur sur le bien-être des personnes en quête de sécurité », déclare Franking Frías, directeur adjoint des opérations de MSF au Mexique et en Amérique centrale.

Rapport MSF Unwelcome

« Ces souffrances sont délibérément occultées, masquées par le récit erroné selon lequel la migration a cessé. Pourtant, chaque jour, nous en constatons les conséquences chez les patients qui vivent avec des blessures non soignées, des traumatismes liés à des violences sexuelles et de graves troubles mentaux qui rendent leur quotidien impossible. »

Publié aujourd'hui, le rapport « Unwelcome. The dévastating human impact of migration policy changes in the United States, Mexico and Central America » (Indésirable. L'impact humain dévastateur des changements de politique migratoire aux États-Unis, au Mexique et en Amérique centrale) montre comment ces récents changements politiques ont érodé le droit de demander l'asile et laissé de nombreux migrants et demandeurs d'asile bloqués, sans aucun endroit sûr où aller, les enfermant dans un cycle de violence physique, émotionnelle et institutionnelle. Le rapport est basé sur lanalyse des données médicales de MSF et sur des entretiens approfondis avec des patients de nombreuses nationalités à différents stades de migration, ainsi quavec le personnel de MSF travaillant le long de la route migratoire au Panama, au Honduras, au Guatemala et au Mexique.

Fermeture des voies d'asile

Depuis fin janvier, le gouvernement américain a fermé les principales voies d'asile et de protection  notamment en fermant le formulaire de demande CBP One et en mettant fin à la libération conditionnelle pour raisons humanitaires , renforcé la sécurité à la frontière avec le Mexique et expulsé des personnes dans des conditions inadmissibles, notamment en les enchaînant, en les renvoyant vers des pays tiers et en séparant des familles.

« Nous nous sentons abandonnées et sans protection », confie une Hondurienne bloquée à Reynosa, dans le nord du Mexique. « Nous n'avons jamais voulu entrer illégalement aux États-Unis. Nous demandons de la bienveillance pour des cas comme le mien : des mères qui attendent depuis longtemps avec leurs enfants et qui souhaitent leur offrir une vie meilleure. Nous avons déjà suivi une procédure ; nous avions déjà un droit. Nous avons été victimes d'escroqueries, de cartels, nous avons été trompées, nous sommes traumatisées. » 

Cette femme avait obtenu un rendez-vous via CBP One prévu trois jours après la fermeture de l'application et l'annulation de tous les rendez-vous. Par ailleurs, plusieurs pays du corridor migratoire latino-américain ont également renforcé leurs mesures de dissuasion. Les forces de l'ordre et les autorités d'immigration de la région ont expulsé des migrants, restreint les déplacements et démantelé des camps urbains où s'abritaient des personnes sans abri. Ils ont fermé des centres d'accueil pour migrants, dispersé des rassemblements dans l'espace public, mené des raids, détenu arbitrairement des personnes, intensifié les patrouilles et compliqué et réduit l'accès aux procédures administratives, y compris les demandes d'asile.

Pris au piège d'un cycle de violence

Nous avons été retenus captifs pendant 60 jours », raconte un Vénézuélien bloqué à Ciudad Juárez, dans le nord du Mexique. 

« [Des criminels] m'ont frappé à la tête, m'ont arraché une dent et m'ont enfoncé un pistolet dans la bouche pour prendre des photos et appeler l'un de mes fils aux États-Unis. Mon fils et mon gendre ont payé la rançon et nous avons été libérés. Nous avions prévu de rejoindre les États-Unis. Le reste de ma famille nous attend là-bas. Mais avec ce gouvernement américain, nous ne savons plus quoi faire. »

Carmen López, responsable des activités de santé mobiles chez MSF, raconte l'histoire d'un patient vénézuélien qu'elle a assisté au Guatemala. L'homme et son fils ont été expulsés des États-Unis plus tôt cette année, bien qu'ils soient entrés par le CBP One : « Ils ont d'abord été détenus séparément dans un centre de détention aux États-Unis pendant une vingtaine de jours. Ils ont ensuite été expulsés vers le Mexique. Lors de leur transfert aux autorités mexicaines, son sac à dos contenant des effets personnels et des économies a été volé. Ils ont été abandonnés à Villahermosa [une ville du sud-est du Mexique]. Ils ont dû entamer leur retour [au Venezuela] sans argent. Il était très frustré, car il avait suivi la procédure légale, et tout cela n'était finalement qu'un mensonge.»

Pour beaucoup, retourner dans leur pays n'est pas envisageable, soit par manque de ressources financières, soit par peur de ce qu'ils ont fui au départ, comme les crises politiques et économiques au Venezuela ou à Cuba, la violence généralisée en Haïti, le conflit dans les régions périphériques de Colombie, ou encore les menaces des groupes criminels et le manque d'opportunités en Équateur et dans d'autres pays d'Amérique centrale. « On nous a donné un ultimatum de 24 heures pour payer une somme d'argent que nous n'avions pas », explique une Salvadorienne de Tapachula, dans le sud du Mexique. 

Migrer n'était ni un choix politique ni la recherche de meilleures opportunités économiques. C'était une décision urgente pour sauver nos vies. »

Alors qu'il est désormais quasiment impossible de demander l'asile à la frontière sud des États-Unis, des dizaines de milliers de personnes considèrent le Mexique comme la seule alternative. Mais les équipes MSF constatent que les procédures d'asile au Mexique sont devenues plus longues et plus complexes dans plusieurs villes. Parallèlement, les violences perpétrées par des groupes criminels organisés et d'autres acteurs restent alarmantes, notamment les enlèvements, l'extorsion, les vols, les violences sexuelles et l'exploitation par le travail. « La violence est beaucoup plus flagrante aujourd'hui », explique Ricardo Santiago, qui a coordonné les programmes MSF dans le nord et le sud du Mexique. « Avant, compte tenu du grand nombre de personnes en déplacement, certaines étaient épargnées, alors qu'aujourd'hui, la plupart des personnes avec lesquelles j'ai discuté ont été victimes de violences. Il n'y a pas d'échappatoire. »

Le coût émotionnel de l'incertitude

Les équipes MSF dans la région, notamment au Mexique, ont constaté une augmentation des besoins psychologiques chez les patients et une forte proportion de personnes souffrant de troubles mentaux graves, malgré la réduction des activités médicales depuis le ralentissement des flux migratoires. Ces dernières années, de nombreux patients ont manifesté un besoin évident de soutien en santé mentale en raison des violences récurrentes subies et des conditions de vie précaires endurées le long de la route migratoire. Mais à ces expériences s'ajoute désormais l'incertitude provoquée par les nombreux changements politiques drastiques, qui engendrent le désespoir lorsqu'ils réalisent que tout ce qu'ils ont enduré pour atteindre les États-Unis a été vain.

« Les symptômes sont de plus en plus intenses », explique Lucía Samayoa, coordinatrice de projet MSF à Tapachula. « Ils vivent sous une pression et un stress importants. Nombre d'entre eux ont besoin d'un traitement pharmacologique, avec un processus thérapeutique plus structuré et plus long. »

De plus, les migrants et les demandeurs d'asile bloqués se sont dispersés, devenant de plus en plus invisibles, par crainte d'être poursuivis, détenus et expulsés, dans un environnement stigmatisant où ils sont systématiquement qualifiés de criminels.

« Aujourd'hui, les migrants sont plus difficiles à joindre et le système humanitaire n'est pas préparé à répondre efficacement à leurs vulnérabilités et à leurs besoins complexes », explique Frías. 

Derrière chaque politique se cache un impact sur des personnes réelles : des survivants de la torture, des familles fuyant le danger et des enfants traversant seuls les frontières. Leur santé, leur sécurité et leur dignité sont des obligations légales et morales. Tous les gouvernements de la région doivent agir dès maintenant pour protéger, et non punir, les personnes en quête de sécurité, et créer des voies d'immigration sûres. »

Entre janvier 2024 et mai 2025, les équipes MSF ont fourni plus de 90 000 consultations de santé primaire et 11 850 consultations de santé sexuelle et reproductive, ont traité près de 3 000 survivants de violences sexuelles et ont effectué près de 17 000 consultations individuelles de santé mentale  la plupart résultant de violences  auprès de personnes en déplacement au Mexique, au Guatemala, au Honduras, au Costa Rica et au Panama.