Une femme et ses deux enfants
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Un mois après la prise d'El Fasher, les personnes déplacées survivent dans des conditions précaires, tandis que d'autres restent bloquées ou portées disparues

Le mercredi 26 novembre 2025

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À Tawila, les patients de MSF décrivent des massacres, des actes de torture et des enlèvements contre rançon à El Fasher, et le long des routes de l’exil. Leurs témoignages confirment les craintes concernant les personnes toujours portées disparues. MSF continue de renforcer ses capacités à Tawila afin de fournir des soins médicaux – notamment de la chirurgie de guerre – à l'hôpital, qui compte actuellement 220 lits, et de distribuer de l'eau dans les camps de déplacés.

Après avoir vu sa femme et sa fille mourir sous les bombardements à El Fasher, A.M.* a entrepris, le lundi 27 octobre, un périple exténuant de quatre jours vers Tawila, à 60 kilomètres de là. Quatre jours de marche pénibles, durant lesquels lui et sa famille endurèrent tortures, coups et vols. En chemin, dans le village de Garni, il dut enterrer sa jeune nièce, morte d'épuisement et de faim. 

Elle n'a pas supporté de marcher sur de si longues distances. Le voyage a été très difficile et nous sommes en grande détresse », confie-t-il. 

Malgré tout, il continua d'avancer vers Tawila, emmenant avec lui ses enfants survivants, son frère, et même des orphelins rencontrés en chemin. Mais lorsqu'ils arrivèrent enfin en ville, ils ne trouvèrent que désespoir : pas assez d'eau, pas assez de nourriture, pas d'abri, pas de latrines.

Près d'un mois après la prise d'El Fasher par les Forces de soutien rapide (FSR) le 26 octobre – dernière ville du Darfour tenue par les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces conjointes – la situation au Darfour-Nord demeure critique. Selon les données du Registre national des réfugiés (NRC), environ 10 000 personnes, comme A.M., rescapées d'atrocités de masse, ont fui vers Tawila, où elles vivent dans des conditions déplorables au sein de camps surpeuplés. Ce chiffre reste relativement faible comparé aux quelque 260 000 personnes qui, selon l'ONU, se trouvaient encore à El Fasher fin août.

Nous avons commencé à recevoir un afflux de personnes venant d'El Fasher une semaine avant la prise de la ville. 

Au début, il s'agissait surtout de femmes et d'enfants épuisés, malnutris et déshydratés, amenés par camion. Après la chute d'El Fasher, nous avons également reçu des hommes, pour la plupart blessés par traumatisme, par balles ou présentant des plaies infectées, arrivés à pied, explique le Dr Mouna Hanebali, responsable de l'équipe médicale de l'hôpital de Tawila. 

Aujourd'hui, de moins en moins de personnes arrivent par cette route. Certaines viennent de Korma, mais leur nombre reste faible. »

Bien que ni MSF ni aucune autre organisation humanitaire internationale n'ait pu atteindre El Fasher, nos équipes continuent de recenser les survivants ayant besoin d'une assistance médicale dans différentes localités.

Au Darfour Nord, nous nous sommes rendus à Um Jalbak, Shangil Tobay, Dar el Salam et Korma : nous n'avons constaté aucun afflux massif, seules quelques centaines de personnes ayant quitté El Fasher ces trois dernières semaines. Nous avons orienté plusieurs personnes en état critique vers l'hôpital de Tawila. Nous menons également des activités médicales à Umbaru, Mazbet, Karnoy et Tina, localités situées sur la route de l'exode vers le Tchad : aucun afflux important n'y a été observé non plus. La situation est similaire à Belliseraf, au Darfour Sud, ainsi qu'à Golo et Fanga, au Darfour Centre, où nos équipes évaluent les besoins et se préparent à distribuer des kits aux nouveaux arrivants.

Bien que l'OIM ait estimé que plus de 100 000 personnes avaient été déplacées d'El Fasher au 17 novembre, ses rapports indiquaient également que la grande majorité se trouvait toujours dans la localité, principalement dans des villages ruraux à l'ouest et au nord de la ville. Nos observations, les témoignages de survivants et des informations externes, telles que l'analyse satellitaire réalisée par le Laboratoire de recherche humanitaire (HRL) de l'École de santé publique de Yale, révèlent un scénario catastrophique : une grande partie des civils qui étaient encore en vie à El Fasher avant le 26 octobre ont été tués, sont décédés, sont détenus, piégés et incapables de recevoir une aide vitale et de se mettre à l'abri.

MSF a installé un poste de soins de santé à Tawila Umda pour stabiliser les personnes nouvellement arrivées et transférer les cas les plus graves, tels que les blessés ou ceux nécessitant une intervention chirurgicale, en ambulance vers l'hôpital de Tawila.
Les personnes déplacées d'El Fasher attendent leur tour avec des jerricans pour aller chercher de l'eau une fois les camions arrivés.

Conditions de vie déplorables dans les camps de Tawila

Les survivants qui arrivent à Tawila se retrouvent dans des camps où les services existants sont déjà saturés par l'afflux de plus de 650 000 personnes déplacées internes d'El Fasher ces deux dernières années, dont près de 380 000 nouveaux arrivants depuis avril 2025, date de l'attaque du camp de Zamzam par les RSF.

Les conditions de vie dans les camps de Tawila sont extrêmement précaires, témoigne Myriam Laaroussi, coordinatrice d'urgence de MSF au Darfour.  

Des personnes dévastées arrivent dans un endroit où les ressources sont insuffisantes pour satisfaire leurs besoins fondamentaux : elles dorment dans des abris de fortune faits de bois et de draps, et l'aide alimentaire ne fournit qu'un seul repas par jour aux personnes prioritaires. » 

Lors d'une évaluation menée par MSF dans les camps de Daba Naira et de Tawila Umda, nous avons constaté qu'il n'y a en moyenne que 1,5 litre d'eau par personne et par jour, bien en deçà du seuil humanitaire minimal de 15 litres.

IO*, une femme d'une trentaine d'années, est assise avec ses deux enfants sous une tente de fortune en bâche. Ils ont marché pendant trois jours avant d'atteindre Daba Naira, actuellement le plus grand camp de déplacés de Tawila, qui abrite environ 210 000 personnes. Son mari a été tué par un bombardement à El Fasher alors qu'il était sorti chercher de la nourriture. Lorsqu'elle a finalement décidé de fuir avec ses deux enfants, le 25 octobre, ils ont trouvé son corps sans vie dans la rue. 

On nous a tout pris. La seule chose qui me reste est ce vêtement, que mes enfants et moi avons étalé par terre pour dormir. », raconte-t-elle. « J'ai besoin de vêtements pour mes enfants, car ils n'ont qu'une seule paire de chaussures, qui est distribuée à tous ceux qui doivent aller aux toilettes. Il nous manque encore beaucoup de choses essentielles. »

Selon l’Association des médecins soudano-américains (SAPA), environ 74 % des personnes déplacées de Tawila vivent dans des campements informels sans infrastructures adéquates, et moins de 10 % des ménages ont un accès fiable à l’eau ou à des latrines. Dans tout le camp de Daba Naira, la défécation en extérieur est courante, ce qui accroît le risque de propagation de maladies comme le choléra. À l’approche de la saison froide, les familles déplacées s’inquiètent également du manque de vêtements chauds et de couvertures.

IA* travaillait comme gardien à l'université d'El Fasher. La veille de la chute de la ville, il a été blessé par balle à la jambe lors d'une fusillade, et son tibia a été fracturé en plusieurs endroits. « La plaie saignait abondamment, et mon frère m'a fait un garrot. Il m'a ensuite hissé sur une charrette pour âne et m'a amené ici. Vous imaginez la douleur ? C'était atroce », raconte-t-il. Il a passé trois jours à errer sur les sentiers. Malgré leurs efforts, une partie de sa jambe a dû être amputée lorsqu'ils ont finalement atteint l'hôpital de Tawila.

Comme pour IA, les témoignages de nos patients qui ont réussi à fuir sont bouleversants. Tous les survivants racontent avoir fui sous les bombardements et les tirs, marchant entre trois et cinq jours, se cachant souvent le jour et se déplaçant la nuit pour éviter les arrestations et les attaques. Ils décrivent une violence extrême, notamment des massacres et des atrocités à caractère ethnique. Durant leur périple, ils ont vu de nombreux cadavres et ont subi des actes de torture, des enlèvements contre rançon, des violences sexuelles, des humiliations et ont été dépouillés de tous leurs biens. Des patients évoquent également des arrestations massives où des hommes, principalement des jeunes, ont été détenus et séparés des femmes et des enfants dans des localités comme Garni, au nord-ouest d'El Fasher.

FI*, un homme de 50 ans visiblement épuisé, a été détenu pendant dix jours, battu et contraint de subir des violences indescriptibles, notamment une corde nouée autour du cou. Ses ravisseurs exigeaient 10 millions de livres soudanaises (4 000 USD) pour sa libération. « Ils se sont enivrés et nous ont emmenés dans le désert. Ils nous ont forcés à nous allonger dans les buissons, nous ont battus et humiliés. Ils ont menacé de nous tuer et nous ont tiré dessus à balles réelles », raconte-t-il. Finalement, ses ravisseurs l’ont libéré après qu’il a versé 500 000 livres soudanaises (200 USD) en raison de ses blessures gravement infectées.

Selon les patients que nous soignons, de nombreux civils sont toujours détenus à Garni et dans d’autres villes autour d’El Fasher contre rançon, ou empêchés par les FSR et leurs alliés de rejoindre des zones plus sûres comme Tawila

« Les personnes disparues sont toujours derrière nous, et ils ne les laisseront pas partir », avertit FI.

Les personnes qui ont survécu aux violences extrêmes restent en grand danger à El Fasher et dans ses environs. L’accès humanitaire est bloqué, les personnes encore en vie sont piégées, tandis que les informations directes sur la situation actuelle à l’intérieur et autour de la ville sont très limitées », déclare Myriam Laaroussi, coordinatrice d’urgence de MSF au Darfour.

*Les noms ont été modifiés afin de préserver l'anonymat des personnes concernées.

La réponse de MSF —

MSF a renforcé sa présence à Tawila afin de répondre aux besoins croissants de la population. Nos équipes ont installé un poste de santé à l'entrée de Tawila Umda, l'un des principaux points d'arrivée des personnes déplacées d'El Fasher. Elles y dispensent des soins de premiers secours et des consultations externes, stabilisent les cas critiques, et organisent le transfert en ambulance vers l'hôpital pour les patients les plus gravement atteints. MSF a également identifié un besoin urgent de soins de santé mentale, qui sera une priorité pour nos équipes dans les semaines à venir.

À l'hôpital de Tawila, où nous avons mis en place une zone d'urgence pour les personnes arrivant d'El Fasher depuis la mi-août, nous avons augmenté la capacité d'accueil des blessés et des traumatisés, passant de 24 à plus de 100 lits. « Nous réalisons un nombre croissant d'interventions chirurgicales : environ 20 par jou, contre 7 le mois dernier », explique Mouna Hanebali. Nos équipes continuent également de soigner les personnes arrivant avec une malnutrition alarmante, séquelle du siège qu'elles ont subi à El Fasher. Récemment, nos équipes ont commencé la distribution d'eau et l'installation de latrines dans le camp de Daba Naira.

Les équipes de MSF entament également une intervention pour rétablir et améliorer l'accès aux soins de santé à Tine et Kornoi, au Darfour-Nord – près de la frontière avec le Tchad –, ainsi qu'au Tchad.

MSF appelle les FSR et leurs alliés à assurer d'urgence un passage sûr et libre aux personnes malades, aux blessés et à tous les civils cherchant à rejoindre des lieux plus sûrs, ainsi qu’à faciliter l'accès humanitaire à Garni, El Fasher, et aux autres localités où se trouvent des survivants. Nous appelons également les donateurs et les acteurs humanitaires à renforcer leur réponse aux besoins croissants en matière de santé, de protection, d'alimentation, d'eau et d'assainissement à Tawila.

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