Des patients attendent avec leurs enfants de consulter un spécialiste au centre de nutrition thérapeutique ambulatoire de la zone de gouvernement local de Jega, dans l'État de Kebbi
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Crise de malnutrition au Nigéria : « Il y a urgence »

Le jeudi 11 septembre 2025

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Une crise nutritionnelle dévastatrice sévit dans tout le nord du Nigéria. Katrin Kisswani, infirmière et présidente de MSF Belgique, vient de rentrer de Kebbi, un État situé au nord-ouest du pays. Elle partage ici ce que l'équipe constate jour après jour sur le terrain.

« Elle était à peine consciente quand nous sommes arrivées », raconte Rukayya en berçant sa fille sur ses genoux. Hamida a presque deux ans, me dit-elle. Quand elles sont arrivées à l'hôpital Sir Yahaya de Kebbi il y a une semaine, la fillette a directement été admise aux urgences. Après une évaluation rapide, Hamida a immédiatement été hospitalisée au centre de nutrition thérapeutique de MSF. Son diagnostic était le même que celui de tous les enfants admis ici : malnutrition aiguë sévère. 

Au cours des vingt dernières années, j'ai travaillé dans de nombreuses structures MSF à travers le monde. Mais c'est la première fois que je vois un projet avec un nombre aussi important de patients souffrant de malnutrition. A Kebbi, notre équipe gère deux structures hospitalières, et six cliniques ambulatoires, toutes entièrement dédiées à la malnutrition. Chaque semaine depuis juin, plus de 400 enfants sont hospitalisés et plus de 1 400 ont reçoivent des soins ambulatoires. Le projet doit fournir 100 000 sachets d'aliments thérapeutiques chaque semaine. Plus de 9 000 enfants sont inscrits à notre programme nutritionnel ambulatoire.

Ces chiffres sont tout simplement stupéfiants. Et ils continuent à augmenter.

Les causes de cette crise sont complexes. La situation économique à Kebbi est précaire, et les prix des denrées alimentaires ont explosé. L’instabilité sécuritaire dans plusieurs régions perturbe l'agriculture et limite l'accès aux marchés. La plupart des habitants de l'État de Kebbi n'ont en outre pas accès à l'eau potable, et les services de santé de base – y compris la vaccination infantile – sont souvent indisponibles ou bien trop coûteux. Les enfants tombent donc régulièrement malades, atteints de paludisme, de rougeole, de diarrhée et de tuberculose, sans avoir accès à des traitements. Malades, ils sont beaucoup plus vulnérables à la malnutrition. Et malnutris, ils sont plus vulnérables aux maladies.

Cette situation n'est pas propre à Kebbi. Elle se retrouve dans une grande partie du nord du Nigeria, où la crise nutritionnelle qui s'est développée depuis des années a désormais pris une ampleur considérable. 

Dans la salle des urgences et l'unité de soins intensifs notre hôpital de Maiyama, une chose m'a frappé : le silence des enfants. Même durant des procédures douloureuses comme la pose d'une perfusion intraveineuse, ils n'avaient tout simplement pas la force de pleurer. 

Une femme m'a raconté que son fils de deux ans, Yakuba, souffrait depuis plusieurs jours de fièvre et de diarrhées aqueuses. Incapable d'obtenir de l'aide localement, elle a parcouru plus de 80 kilomètres pour se rendre au centre MSF. Une autre mère m'a raconté que sa fille d'un an, Kakamele, était née avec une fente labiale et palatine, ce qui compliquait considérablement son alimentation. Lorsqu'elle s’était rendue dans un autre hôpital, on lui a répondu que sa fille était trop dénutrie pour être opérée. À son arrivée chez nous, Kakamele était dans un état si critique qu'elle a dû être admise directement en unité de soins intensifs. 

La malnutrition est généralement saisonnière : le nombre d’admissions diminue après les récoltes. Mais à Kebbi, ce n'est pas le cas. Lors de ma visite, le nombre d’enfants admis continuait d'augmenter et l'équipe devait en permanence s’adapter à cette réalité.

Binta Abdulraziqu est assise à côté de ses fils jumeaux Hassan et Hussaini, tous deux admis pour malnutrition aiguë sévère au centre d'alimentation thérapeutique pour patients hospitalisés de la zone de gouvernement local de Maiyama, dans l'État de Kebbi.
Un membre du personnel de MSF recueille des informations auprès de nouveaux patients au centre d'alimentation thérapeutique ambulatoire

Pour faire face à l’afflux d’enfants, nos collègues ont construit une extension hospitalière, mais celui-ci est déjà saturée. Vu le nombre d’enfants en situation critique, ils ont même dû cesser de traiter les enfants souffrant de malnutrition aiguë modérée.

Au moment de quitter Kebbi, mon esprit était empli d’émotions mitigées. Je suis évidemment extrêmement fière de ce que nous avons accompli. 

Le travail de MSF à Kebbi sauve des vies. Mais nous ne pouvons pas résoudre cette crise seuls.

La crise nutritionnelle dans le nord du Nigeria est une urgence de santé publique. Cette crise est hors de contrôle, des enfants meurent, et les perspectives s'assombrissent compte tenu des réductions budgétaires dans l'aide internationale.

Les autorités nigérianes et les organisations humanitaires doivent agir avec vigueur pour mener des actions préventives et débloquer des fonds pour financer la distribution de nourriture ou d'argent, les programmes de vaccination et les centres de santé communautaires. Les problèmes liés à l'approvisionnement en aliments thérapeutiques doivent également être résolus de toute urgence. Ces traitements, essentiels à la survie, doivent être accessibles à tous les enfants qui en ont besoin. 

Les équipes de MSF travaillent à la limite de leurs capacités, souvent dans des régions où nous sommes la seule organisation humanitaire internationale présente. Si la tendance actuelle se poursuit, l'aide déjà insuffisante pourrait s'effondrer complètement et nous pourrions bientôt être confrontés à une situation encore plus catastrophique pour les enfants du nord du Nigeria. 

Soutenir ces enfants, c'est littéralement faire la différence entre la vie et la mort. 

Hamida, la petite fille admise à peine consciente, se préparait à rentrer chez elle lorsque je l'ai rencontrée. Lorsque je me suis approchée d’elle – moi, l’étrangère à l’allure étonnante – elle a réagi comme n'importe quel enfant bien nourri l'aurait fait : elle m'a regardée et a poussé un cri énergique. Sa mère m'a serrée dans ses bras avec joie.

Malheureusement, toutes les histoires ne se terminent pas ainsi. À l'hôpital de MSF à Maiyama, j'ai vu un autre patient, un enfant de trois ans, enveloppé dans une couverture de survie, inconscient et luttant pour respirer. L'équipe faisait tout son possible pour le sauver. Mais les taux de mortalité les plus élevés surviennent dans les 48 heures suivant l'arrivée. Et certaines familles n'arrivent tout simplement pas à nous atteindre à temps. 

Ce cycle mortel de malnutrition et de maladie s'intensifie dans tout le nord du Nigeria. Nos équipes font tout ce qu'elles peuvent, mais nous avons besoin que d'autres agissent maintenant. Chaque retard coûte des vies. 

« Je ne sais pas comment le dire plus clairement. Il y a urgence. »

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