Deux femmes attendent de récupérer des médicaments au dispensaire de l'établissement de santé soutenu par MSF dans la ville de Tawila au Soudan
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Une jeune fille violée après avoir assisté au meurtre de sa mère : les violences sexuelles au Darfour doivent cesser

Le jeudi 25 septembre 2025

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Une sage-femme de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tawila, dans la région du Darfour Nord au Soudan, se souvient de l'histoire poignante d'une jeune fille violée à plusieurs reprises, quelques instants après que son agresseur ait ordonné à son chauffeur de renverser sa mère. 

Toutes deux tentaient de fuir vers Tawila depuis le camp voisin de Zamzam, situé juste à l'extérieur d'El Fasher, la capitale du Darfour Nord, assiégée et attaquée depuis plus d’un an par les Forces de soutien rapide (FSR) et leurs alliés. 

Le 13 avril, les FSR ont attaqué Zamzam, provoquant le déplacement d'environ 380 000 personnes vers Tawila. En seulement cinq semaines, plus de 300 victimes et survivant.e.s de violences sexuelles ont sollicité des soins dans les services soutenus par MSF à Tawila.

Des jours gravés à jamais

Le mois d’avril 2025 est gravé dans la mémoire d'Anna*, sage-femme forte de 18 ans d'expérience chez MSF, appelée en urgence à l'hôpital où les victimes de violences sexuelles affluaient en masse après l'attaque du camp de Zamzam.

« Il y avait une odeur que je n'oublierai jamais », raconte Anna. « La pièce était remplie de femmes qui criaient, la plupart cherchant des soins après avoir été violées. Et au milieu de tout cela, une jeune fille est restée assise en silence, osant à peine me regarder dans les yeux. »

« J'ai demandé : “Que se passe-t-il ? Quelle est cette odeur ?". Une femme a répondu : “Il y a un cadavre ici” », poursuit Anna. « C'est à ce moment-là que la jeune fille a finalement levé les yeux. Je lui ai demandé : “Ça va ?” Et elle a répondu : “Peux-tu venir avec moi pour qu'on parle ?” »

Ciblage ethnique et atrocités envers les civils

La jeune fille a expliqué à Anna que son agresseur lui avait d'abord demandé si elle appartenait à la tribu Zaghawa.

« J'ai nié, mais le commandant a insisté », raconte la jeune fille. « Ma mère a essayé de me défendre. Il a ordonné à son chauffeur de la renverser, la tuant sur le coup, sous mes yeux. Après cela, il m'a emmenée quelque part et m'a violée à plusieurs reprises. »

« Ce n'est que lorsqu'il s'en est pris à d'autres personnes que son chauffeur m'a ramenée auprès de ma mère décédée et des autres qui s'étaient enfuis avec nous », continue la jeune fille à Anna. « Nous avons placé le corps de ma mère sur un âne et avons continué notre route vers Tawila. »

Depuis le déclenchement de la guerre en avril 2023, les groupes ethniques non arabes — notamment les Masalit, les Zaghawa et les Four, dont beaucoup avaient survécu aux violences au Darfour il y a vingt ans — sont particulièrement visés. Les FSR, qui assiègent El Fasher et contrôlent une grande partie de la région du Darfour, dominent la plupart des voies de sortie de la ville, attaquant celles et ceux qui tentent de fuir. Cela concerne notamment des communautés exposées au viol, à la torture, voire à des exécutions en chemin. 

Cette situation est détaillée dans le rapport de MSF "Besieged, attacked, starved: Mass atrocities in El Fasher and Zamzam, Sudan" (en français : “Assiégés, Attaqués, Affamés : Atrocités de masse à El Fasher et Zamzam, au Soudan”), publié début juillet 2025.

Renforcer la prise en charge des victimes et survivant.e.s de violences sexuelles en temps de crise

Fin juin, MSF a renforcé les circuits d’orientation médicale grâce à quatre centres communautaires situés dans les camps de déplacés, permettant une meilleure prise de contact avec les communautés. 

À l’hôpital de Tawila, seules neuf victimes ou survivant.e.s avaient reçu des soins entre janvier et mars 2025. Ce chiffre a fortement augmenté, pour atteindre 121 entre avril et juin, puis 339 en juillet et août. 

Si le renforcement des systèmes d’orientation explique en partie cette hausse, ces chiffres témoignent à la fois d’un meilleur accès aux soins, mais aussi de l’ampleur des violences sexuelles. 

De nombreuses victimes et survivant.e.s ont rapporté des agressions brutales, souvent commises par plusieurs hommes armés, alors qu’elles tentaient de fuir. Les violences ne se sont pas arrêtées avec l’attaque de Zamzam : chaque semaine, de nouveaux épisodes de violence sont signalés à El Fasher et dans ses alentours, notamment une augmentation des bombardements et des attaques au camp de déplacés d'Abou Shouk, et l'arrivée de nouvelles victimes et survivant.e.s à Tawila.

Anna a observé une évolution des schémas de violences sexuelles.

« En avril et mai, la plupart des survivant.e.s étaient des femmes et des filles qui arrivaient dans les 72 heures suivant les attaques », explique Anna. « En août, elles se sont manifestées plus tard, avec le soutien de nos centres communautaires. »

« Les violences sexuelles envers les hommes restent largement invisibles », poursuit-elle. « La stigmatisation et la peur réduisent au silence de nombreuses victimes, mais certains indices apparaissant au cours de conversations ou de consultations pour d’autres problèmes de santé laissent penser que ces violences persistent. »

Besoins urgents : Protection, soins et justice

Malgré d’énormes obstacles à l’accès aux soins médicaux, plus de 600 victimes et survivant.e.s de violences sexuelles ont bénéficié d’une prise en charge dans les structures de santé soutenues par MSF entre avril et août 2025, dans la région du Darfour-Nord, ravagée par le conflit.

La brutalité au Darfour ne peut pas être ignorée. Elle doit être documentée, et des mesures urgentes doivent être prises. 

Les bailleurs humanitaires, les organisations et l’ensemble des acteurs concernés doivent agir sans délai pour rétablir et renforcer les services destinés aux victimes et aux survivant.e.s, tout en consolidant les mécanismes de protection et de redevabilité. Les civils doivent être protégés, et les auteurs de violences sexuelles traduits en justice.

« Les survivant.e.s ont un besoin urgent d’un soutien complet, gratuit et rapide, comprenant des soins médicaux et une assistance psychologique et sociale », déclare Anna. « Les survivant.e.s du Darfour sont confrontés à des atrocités incessantes. Le monde ne peut pas détourner le regard. »

* Le nom a été modifié pour des raisons de sécurité

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