Tapachula : une frontière sans issue, épicentre de la crise migratoire dans le sud du Mexique
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À la suite du durcissement de la politique migratoire des États-Unis, Tapachula — une ville située à la frontière sud du Mexique avec le Guatemala — accueille désormais des milliers de migrants et de demandeurs d’asile bloqués dans des conditions de plus en plus précaires.
Incapables de poursuivre leur route vers le nord, et désespérés face aux procédures bureaucratiques complexes nécessaires pour régulariser leur situation, ces migrants se trouvent dans une impasse. Les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) ont considérablement intensifié les consultations médicales et les soins en santé mentale afin de répondre à leurs besoins.
Tapachula, d'une ville de transit à une ville d'attente
La politique d'immigration restrictive de l'administration Trump, conjuguée aux accords bilatéraux et aux pressions régionales visant à freiner les migrations, a transformé le Mexique en un pays de confinement.
Tapachula, qui fonctionnait principalement comme un point de transit pour les personnes se dirigeant vers le nord afin de trouver refuge aux États-Unis, est devenue malgré elle le foyer de milliers de migrants n’ayant nulle part ailleurs où aller.
Ces personnes se sont retrouvées bloquées à Tapachula lorsque l'administration Trump a fermé sa frontière sud avec le Mexique en janvier 2025, et suspendu les principaux programmes de demande d'asile aux États-Unis.
À Tapachula, les migrants doivent faire face à de longues démarches administratives pour obtenir les documents leur permettant de circuler légalement au Mexique. Dans l'intervalle, ils ne peuvent pas travailler officiellement ni accéder aux services de base tels que le logement ou les soins médicaux.
« Le manque d'infrastructures, d'emplois et de services à Tapachula aggrave la situation des personnes en quête de sécurité », explique Lucía Samayoa, coordinatrice de MSF dans le sud du Mexique. « La ville n’est pas préparée à accueillir des milliers de personnes pendant une période prolongée, ce qui engendre une extrême vulnérabilité et contraint nombre d’entre elles à vivre dans des abris surpeuplés et informels, parfois même à la belle étoile. »
Caravanes : Une réponse collective au désespoir
Face aux conditions de vie précaires en ville, des caravanes de migrants – des groupes de plusieurs centaines de personnes marchant ensemble pour se mettre en sécurité et s'entraider – se sont reformées ces dernières semaines, après plus de six mois d'absence de mouvements massifs.
La première caravane est partie le 8 août, suivie de deux autres les 1er et 17 octobre. Ces caravanes ont parcouru des centaines de kilomètres en quelques jours, sans toutefois parvenir à atteindre leur destination finale : Mexico City.
Cette forme de mobilité collective refait surface comme une stratégie pour gagner en visibilité et exercer une pression accrue sur les autorités, face à l'impossibilité de suivre les routes migratoires habituelles. Les caravanes permettent aux personnes de s'entraider et de réduire les risques liés au voyage en solitaire, tels que les abus, l'extorsion et la violence.
« À Tapachula, les opportunités d'emploi sont très limitées, et presque tous les postes exigent un permis de séjour, document que je n'ai pas encore pu obtenir en raison des retards administratifs », explique Ricardo Nilo, un Cubain de 31 ans qui a bénéficié de l'aide de MSF lors du passage de la caravane avec laquelle il voyageait à Escuintla, également située dans l'État du Chiapas, à 73 kilomètres au nord de Tapachula.
Grisel Hernández, 25 ans, elle aussi Cubaine, ajoute :
« Il n'y a aucun moyen de régulariser ma situation. Il n'y a pas de travail, et les seuls emplois proposés aux femmes se trouvent dans les bars, ce qui ne me permet pas de subvenir dignement aux besoins de mon fils. »
Les personnes migrantes signalent également des irrégularités dans la vente des billets et des discriminations dans les gares routières.
« Quand j'ai essayé d'acheter un billet de bus, on me l'a refusé ou on me l'a proposé à des prix exorbitants », raconte Melissa Ruiz, 25 ans, originaire du Honduras. « Comme d'autres personnes étaient dans la même situation, nous avons décidé de nous entraider. »
Une population importante mais invisible
Il est difficile d'estimer le nombre de migrants bloqués à Tapachula, ville qui comptait plus de 350 000 habitants selon le dernier recensement de 2020. Capitale de l'État du Chiapas, Tapachula est devenue un point névralgique des demandes d'asile au Mexique ces dernières années. En 2025, selon la Commission d'assistance aux réfugiés (COMAR), plus de 52 000 demandes d'asile ont été enregistrées au Mexique. Environ 66 % d'entre elles (soit environ 34 320) ont été déposées dans l'État du Chiapas, Tapachula étant le principal centre d'accueil.
D’après les observations de terrain de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et de MSF, la plupart des personnes présentes à Tapachula sont originaires d’Haïti, de Cuba et du Honduras, bien que la ville accueille également des personnes de nombreuses autres nationalités.
Lorsque la ville n’était qu’un point de transit, beaucoup cherchaient refuge dans des « albergues » ou abris, souvent gérés par des organisations chrétiennes. Aujourd’hui, ces abris — dont les services ont été affectés par les coupes budgétaires de l’aide humanitaire — présentent un taux d’occupation faible (en moyenne, 30 % de leur capacité). Au lieu de s’y réfugier, de nombreux migrants, qui dans certains cas, vivent dans la ville depuis plusieurs mois, préfèrent louer des chambres dans des quartiers périphériques, où l’accès aux services de base est limité et où la présence d’organisations criminelles est notable.
Cette dispersion des lieux d’hébergement est aussi une conséquence de la stigmatisation et de la peur d’être arrêté ou expulsé. Elle contribue à l’invisibilisation de nombreux migrants et complique le travail des organisations humanitaires, qui ont davantage de difficulté à les atteindre.


Soins médicaux : entre adaptation et résistance
En raison des coupes budgétaires massives dans l’aide internationale – notamment le démantèlement de l’USAID et la forte réduction des financements de nombreux autres grands pays donateurs – de nombreuses organisations humanitaires ont réduit leurs activités ou fermé leurs programmes à Tapachula cette année. Ces coupes ont affecté des domaines d’intervention tels que la protection, les demandes d’asile, la prise en charge des victimes de violence, y compris sexuelle, et la pédiatrie.
MSF ne reçoit pas de financement du gouvernement américain, mais nous avons fermé des projets dans d’autres régions du Mexique en raison de la baisse des flux migratoires. Cependant, à Tapachula, nous avons maintenu une présence active compte tenu des besoins persistants. Nous avons également rendu notre intervention plus flexible grâce à des cliniques mobiles, afin d’atteindre les zones reculées où les migrants bloqués se rassemblent désormais. Nos équipes continuent aussi de fournir une assistance dans des structures fixes.
Entre janvier et septembre 2025, les équipes de MSF ont réalisé 11 483 consultations médicales et 2 390 consultations de santé mentale, soit respectivement 128 % et 53 % de plus qu'à la même période en 2024. Cette augmentation significative témoigne de la détérioration des conditions de vie, de la persistance des violences et du manque d'accès aux soins médicaux en temps opportun.
MSF fournit des soins médicaux primaires aux migrants vivant dans la rue, dans des abris de fortune ou dans des campements informels. Les principaux motifs de consultation incluent les infections respiratoires, les maladies gastro-intestinales, les blessures physiques, les maladies chroniques non traitées, ainsi que des cas de violence sexuelle ou physique. Beaucoup de patients arrivent après plusieurs semaines sans soins, avec des affections avancées ou des complications évitables. MSF mène également des activités de promotion de la santé, distribue des articles de secours, et oriente les cas les plus graves vers les hôpitaux publics.
La santé mentale : une urgence
L’impact psychologique de la migration est profond et souvent invisible. Les personnes sont confrontées au deuil, à la séparation familiale, à la violence, à la discrimination et à un sentiment d’incertitude. Les attentes qui s’allongent, l’absence d’options et le traitement hostile auquel ils font face aggravent les troubles de santé mentale.
Les services publics de santé mentale sont limités. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande entre 5 et 10 psychiatres pour 100 000 habitants. À Tapachula, il n’y a qu’un seul psychiatre du ministère de la Santé pour l’ensemble de la population — soit au moins 17 fois moins que la recommandation. L’attente pour un rendez-vous peut dépasser trois mois.
Les équipes de MSF fournissent un accompagnement psychologique individuel et collectif et priorisent les cas urgents, tels que les tentatives de suicide, les violences sexuelles ou les troubles graves affectant la vie quotidienne et le fonctionnement des personnes.
« Nous recevons des patients qui ont perdu des proches pendant le trajet, qui ont été victimes d’abus sexuels ou qui vivent dans une peur constante », explique Olga Lucía Uzcátegui, responsable santé mentale de MSF. « Beaucoup arrivent avec de l’insomnie, des crises de panique et un profond sentiment de désespoir. »
La réactivation des caravanes, la persistance des violences et l’absence de solutions migratoires efficaces exigent une réponse coordonnée et durable, fondée sur le respect de la dignité humaine.
« Tapachula symbolise la suspension forcée de la vie de milliers de personnes et de familles », déclare Lucía Samayoa « Il est fondamental de donner la parole à celles et ceux qui demeurent dans cette situation d'incertitude. Nous avons besoin de toute urgence de réponses à la hauteur des souffrances humaines endurées à la frontière sud. »


