
L'amour en temps de choléra : notre histoire au Soudan
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Je m'appelle Majda Rizq, je suis une soudanaise pleine de compassion pour mon pays. J'ai grandi entourée de ma grande famille au Soudan, où j'ai appris, travaillé, me suis mariée et fondé ma propre famille.
En y repensant, j’ai l’impression que la vie que j’ai connue et les souvenirs que j’ai accumulés au fil des décennies ne sont qu’un rêve lointain comparés à la dure réalité de près de deux ans de guerre. Cependant, une chose qui se démarque de tout ça est mon travail humanitaire.

Depuis plus de 25 ans, je travaille pour Médecins Sans Frontières (MSF). Bien que je sois pharmacienne de profession, j’ai occupé divers rôles opérationnels, notamment dans les situations d’urgence, assumant souvent de multiples responsabilités pour répondre aux besoins urgents des populations.
Deux ans après avoir rejoint MSF, j’ai rencontré mon mari, Mohamed Koko, et nous nous sommes mariés. Il commençait tout juste à travailler au département logistique. Nous avons vécu une histoire d’amour traditionnelle : travailler ensemble, nous marier et élever deux enfants d’une vingtaine d’années.
Nous avons consacré notre vie à notre famille, à notre travail humanitaire et à notre cher Soudan.
Au fil de la vie, nous nous sommes installés à Khartoum. Mais le deuxième jour de la guerre, en avril 2023, nous n’avons pas eu d’autre choix que de partir et de nous installer dans la maison de ma famille à Wad Madani, dans l’État d’Al Jazirah, où vivaient ma mère et d’autres membres de ma famille. Nous y sommes restés jusqu’en décembre 2023, mais comme la violence s’est intensifiée, nous avons été contraints de repartir, cette fois-ci en direction d’El Gedaref, un État où nous n’avions ni famille ni soutien.
Au début, ma mère a refusé de quitter sa maison, mais en juin 2024, nous l’avons convaincue de nous rejoindre. Je n’arrivais pas à dormir la nuit, je m’inquiétais constamment pour elle. Elle a accepté, mais avec la promesse que nous reviendrions à Wad Madani dès que possible, chez elle. Malheureusement, elle est décédée à El Gedaref avant que nous ayons pu tenir cette promesse.
Dans ce contexte, en août 2024, une épidémie de choléra s’est déclarée. J’ai commencé à travailler pour l’intervention d’urgence de MSF dans la ville d’El Gedaref, qui consistait à soutenir les déplacés internes soudanais des États de Khartoum, d’Al Jazirah et de Sennar par le biais de cliniques mobiles, de centres de traitement du choléra et de services d’eau et d’assainissement pour la communauté.
Que pouvions-nous faire en pleine épidémie de choléra ? Nous avons choisi de respecter le vœu d’amour de notre famille : nous soutenir mutuellement et consacrer toute notre énergie à notre travail humanitaire. Je travaille comme coordinatrice adjointe du projet et Koko dirige l’équipe logistique.
Après la mort de ma mère, j’ai dû me ressaisir…
Je me souviens à quel point la situation était critique depuis des mois : près d’un million de personnes déplacées à El Gederaf, une épidémie de choléra et des lacunes critiques en matière d’eau, d’assainissement et de services de santé. Les gens vivaient en plein air sans abri et les locaux scolaires étaient transformés en lieux de rassemblement. La saison des pluies battait son plein et des épidémies se profilaient.
Les personnes vulnérables, notamment les personnes âgées, les femmes enceintes et les enfants, n’ont pas pu bénéficier d’une aide d’urgence et ne peuvent compter que sur la charité.
Notre équipe a travaillé sans relâche, mais la demande a largement dépassé nos capacités et nous craignions que, sans l’intervention d’autres acteurs humanitaires, la situation ne s’effondre.
Lorsque nous avons répondu à l’épidémie de choléra en août, nous avions déjà mis en place un centre de traitement dans la ville. Mais avec l’afflux de personnes déplacées, le nombre de cas a grimpé en flèche. Nous avons dû agrandir le centre, ajouter des lits et du matériel, pour finalement porter sa capacité à 60 lits. À la fin de l’année, notre équipe avait traité 3 016 cas de choléra.
L’un des plus grands défis auxquels nous avons été confrontés était le manque d’accès à l’eau potable. Pendant la saison des pluies, les sources d’eau étaient contaminées et les gens n’avaient d’autre choix que de boire de l’eau insalubre provenant du sol, ce qui les mettait en grand danger.

Imaginez des animaux et des humains buvant aux mêmes sources d’eau en route vers El Gedaref. Nous avons distribué 3,6 millions de mètres cubes d’eau potable et construit 210 latrines d’urgence pour faire face à la situation.
En plus de soigner les patients, nous avons travaillé à sensibiliser les communautés par tous les moyens possibles : diffusion de messages de santé, distribution d’affiches et fourniture de conseils sur la manière de limiter la propagation du choléra.
MSF n'est pas seule
Le dévouement du personnel du ministère de la Santé et des bénévoles à El Gedaref a été crucial. Sans leur soutien, nous n’aurions pas pu intervenir aussi efficacement.
Cette expérience est un puissant rappel que la force du travail humanitaire réside dans les mains des personnes qui s’engagent à soutenir leurs communautés en temps de crise.
En pensant à la solidarité de tant de personnes, je pense à mon mari, Koko. Bien qu’il ait passé la majeure partie de son temps en mission internationale avec MSF, chaque fois qu’une urgence survient au Soudan, il revient pour apporter son soutien. Lorsque la guerre a éclaté, il est revenu, cette fois pour me rejoindre à El Gedaref, où nous avons répondu à de nombreux besoins.
Très souvent, je me sens dépassée et je perds espoir, mais ce qui me fait avancer, c’est de savoir que ma famille aimante est avec moi, travaillant côte à côte, se soutenant mutuellement. Nous attendons un nouvel horizon, un temps de paix où nous pourrons retourner dans notre grande maison familiale, reconstruire et regarder vers l’avenir avec de nouvelles perspectives.