Des familles palestiniennes récupèrent ce qu'elles peuvent pour évacuer la ville de Gaza vers le sud de la bande de Gaza
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La peur et l’incertitude saisissent les équipes de MSF après l’ordre d’évacuation de la ville de Gaza

Le mercredi 10 septembre 2025

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Témoignage de Mohammed Al-Tibi, chargé de la chaîne d'approvisionnement chez MSF 

« Je m'appelle Mohammed Al-Tibi. Je vis actuellement dans le nord de la ville de Gaza, dans le quartier de Nasr, à l'extrémité ouest de Sheikh Radwan. La situation ces deux dernières semaines a été extrêmement difficile – et l’est toujours – en raison des bombardements aléatoires, des tirs d'artillerie, des drones quadricoptères et du danger constant dans la zone où je vis. J'ai néanmoins décidé de rester chez moi jusqu'au tout dernier moment, tant que la situation restait plus ou moins sous contrôle. J'ai limité mes déplacements.

Ce matin, j'ai été surpris de voir circuler sur les réseaux sociaux un tract appelant tous les habitants de Gaza à se réfugier dans le sud, car la ville de Gaza était devenue une zone de combat dangereuse. J'ai été choqué par la nouvelle. J'étais déjà au travail dans le sud lorsque je l'ai vue.

Ruins of Gaza city
L'offensive dans la ville de Gaza est une condamnation à mort pour un million de Palestiniens
La ville de Gaza est confrontée à une catastrophe humanitaire alors que la dernière offensive militaire israélienne s'intensifie, poussant la population au bord du gouffre et menaçant la survie de ce qui reste du système de santé.

Je me sens complètement perdu – partagé entre l’idée de rentrer chez moi, de retrouver mes affaires et ma famille et d'y rester, au péril de ma vie, ou rester où je suis, même s'il n'y a aucun endroit où évacuer dans le sud. Il n'y a tout simplement pas d'autre alternative. Si je quitte ma maison maintenant, je vais me retrouver à la rue. Honnêtement, je ne sais pas comment décrire autrement cette situation ; j'ai l'impression que tout est perdu. 

J'ai décidé que pour l'instant, je n'évacuerai pas, à moins de trouver une véritable alternative. J'ai quand même dit à ma femme et à mes filles de préparer leurs affaires. J'ai deux petites filles. L'une a six ou sept ans, et l'autre seulement deux ans. 

Dès le premier jour de cette guerre, Israël a mené une campagne de génocide contre nous. 

Ce n'est pas nouveau ; je suis surpris par les déclarations du côté israélien qui prétend vouloir entrer à nouveau dans Gaza et mener de nouvelles opérations. Ils sont déjà venus ici à de nombreuses reprises. Ils ont déjà tout fait. Il ne reste plus rien qu'ils n'aient fait. Gaza a été transformé en décombres. 

Il s'agit de déplacements forcés, visant à accroître nos souffrances et à nous mettre sous pression, nous, simples civils. Je devrais avoir le droit de vivre dans un endroit relativement sûr, mais on ne me donne pas cette chance. 

Nous avons déjà été évacués une fois, vers le sud, vers des zones déclarées « zones humanitaires sûres » par les forces israéliennes. Nous sommes allés à Rafah, à Al-Nuseirat et ailleurs. Ils prétendaient que ces zones étaient sûres – mais ce n'était pas le cas. Je crains toujours d'autres déplacements, que cela se reproduise. Que je n'irai pas dans une zone sûre comme ils le prétendent, mais dans un endroit où, tôt ou tard, ils s'en prendront à nous. 

Car leur véritable objectif est de nous déplacer de force, d'accroître nos souffrances et de tenter de nous exterminer. »

Des familles palestiniennes déplacées s'installent dans un camp de réfugiés dans la ville de Gaza, près de la route côtière
La ville de Gaza quelques jours avant l'ordre d'évacuation vers le sud

Témoignage de Lina Batniji, conseillère-éducatrice chez MSF 

« Je m'appelle Lina Batniji, et je ne sais même pas par où commencer. Nous avons des patientes en zone rouge – des zones classées comme extrêmement dangereuses. Certaines ont une césarienne prévue aujourd'hui, demain, d'ici la fin de la semaine, et d'autres plus tard ce mois-ci. Si l'une de ces femmes est déplacée et commence le travail, elle doit être opérée. Sans accès à un hôpital, cela pourrait lui coûter son bébé – ou sa vie. 

Ces femmes vivent dans la terreur. Elles savent qu’aucune ambulance ne viendra dans la zone rouge pour les récupérer afin qu’elles puissent accoucher en toute sécurité. Elles n'ont aucun moyen de rejoindre l'hôpital qui pratique encore des césariennes – même si Dieu seul sait combien de temps il fonctionnera encore. 

Où est l'humanité lorsqu'une femme en zone rouge commence le travail pendant les frappes aériennes et les évacuations ? Comment est-elle censée se rendre à l'hôpital ? Le problème n'est pas seulement le danger, c'est le transport. Il n’y a aucun moyen pour elles de se déplacer des zones rouges vers un endroit où accoucher en toute sécurité. 

Et pour ceux qui se demandent pourquoi ces femmes ne sont pas parties plus tôt – parce qu’elles n’ont même pas les moyens de se nourrir. À Gaza, il y a des gens qui n’ont pas accès à la nourriture. Nous souffrons d’une famine systématique. La nourriture qui arrive est soit mauvaise pour la santé, soit trop chère – 95 % de la population n’a pas les moyens de s’en procurer. De plus, le transport coûte à lui seul trop cher pour la plupart des gens. 

Je pensais que nos souffrances avaient pris fin lorsque nous sommes retournés à Gaza pendant le cessez-le-feu. Nous avions accepté la guerre, accepté qu’elle reviendrait. Mais être obligées de quitter à nouveau Gaza ? Cela a brisé quelque chose en nous. Nous rassemblons maintenant les fragments de nos vies antérieures, le peu qu’il nous reste, en espérant trouver un endroit où aller – mais même cet espoir s’est envolé. Maintenant, nous nous dirigeons vers l’inconnu, vers le néant, avec pour seules possessions ce que nous avons pu sauver de nos maisons détruites. Nous partons le corps brisé et l’âme brisée. Nous nous dirigeons vers un passé que nous ne pouvons changer, un présent que nous ne comprenons pas et un avenir introuvable. Nous allons dans des endroits au sud où personne ne nous attend, où il n'y a plus de place pour nous. 

Nous nous sentons comme un fardeau pour ce monde. Et honnêtement, la mort semble plus facile que ce chemin d’exil. 

Ce n'est plus quelque chose que nous craignons. Nous mourons un peu plus chaque jour, et pourtant, nous nous réveillons chaque matin en faisant semblant de pouvoir continuer. 

Je n'arrive même plus à consoler mes enfants. Je n'arrive plus à les rassurer. On ne s'accroche qu'à des illusions – peut-être qu'il y aura un accord, peut-être un cessez-le-feu, peut-être une solution. Mais toutes ces négociations sont seulement des mensonges destinés à nous user, à épuiser les civils jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. 

Notre seul souhait est d'être en sécurité. Même pas dans de vraies maisons –  nous sommes maintenant dans des refuges pour animaux, des nids d'oiseaux, tout ce que nous pouvons trouver. Nous avons déjà abandonné l'idée de récupérer nos maisons, mais qu’on nous laisse au moins où nous sommes. Mais ils nous disent : « Allez dans les zones humanitaires. » Alors je demande — où sont ces zones ?  Nous essayons d’aller dans ces soi-disant zones sûres, et nous ne trouvons rien. Aucun espace, aucune sécurité. Juste de la surpopulation, des maladies et de la saleté. Où pouvons-nous aller, en tant que civils ? Je demande juste un endroit avec des toilettes. Est-ce trop demander ? Est-ce un fantasme de demander de l’eau potable, des toilettes, quatre murs pour protéger mes enfants des bombes, de la chaleur, du froid et des maladies ? 

Quelles sont les normes humanitaires ? Vivre sous une tente, à côté d’égouts à ciel ouvert, est-ce vraiment zone humanitaire ? Est-ce cela que le monde appelle désormais l’humanité ? 

Et puis, il y a le chagrin profond. 

J’aurais aimé savoir comment compresser une maison dans une valise. J’aurais aimé que quelqu’un m’apprenne à plier des rêves, des souvenirs et des vies entières dans un sac. J’aurais aimé savoir comment m’éloigner de tout et le traiter simplement comme un souvenir. Ce déplacement n’est pas notre premier. Mais la première fois, nous avons cru que nous reviendrions. Maintenant, je quitte Gaza en sachant que je ne reviendrai pas. Je quitte cet endroit que j’aime, ce ciel que j’ai connu, cet air qui me connaît. Et je pars comme si j’avais abandonné mon âme dans la ville de Gaza, et que seul mon corps s’en allait. 

Ce sentiment – ce sentiment, c’est la mort. Je ne sais pas ce qu’est vraiment la mort, mais ça… ça doit être la sensation qu’elle procure.  »

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