Un clinicien de MSF s'occupe d'un patient dans le centre de traitement du choléra de MSF à Abyei
Actualité
InternationalSoudan du SudOpinions et débats

La crise prolongée du choléra au Soudan du Sud, symptôme de défaillances plus profondes

Le mardi 28 octobre 2025

En 1 clic, aidez-nous à diffuser cette information :

Article d'opinion par Ilse De Boer, coordinatrice médicale adjointe, Médecins Sans Frontières (MSF) au Soudan du Sud

 

J'ai passé un an à observer une maladie traitable, le choléra, ravager le Soudan du Sud. Et la question la plus difficile n'est pas de savoir comment la traiter – nous savons comment. La question la plus difficile est la suivante : pourquoi l'épidémie ne parvient-elle pas à être contenue ? Pourquoi, un an après sa déclaration le 28 octobre, combattons-nous encore un ennemi évitable, qui a déjà coûté la vie à plus de 1,500 personnes, et contaminé plus de 93,000 personnes ?

La dure réalité est que l'épidémie de choléra est le symptôme des vulnérabilités les plus profondes du Soudan du Sud : négligence systémique, violences incessantes et système de santé fragile et sous-financé, entraînant d'importantes lacunes dans la prestation de services ainsi qu’une absence de réponse adéquate. 

L'ampleur de l'épidémie est le résultat d'une réponse lente, peu performante et mal coordonnée —un défi persistant depuis le début.

En tant que coordinatrice médicale adjointe de MSF au Soudan du Sud, j'ai été directement impliquée dans la conduite de notre intervention médicale. Notre priorité était de mettre en place des Unités de Traitement du Choléra (CTUs) et des Centres afin de garantir que les patients puissent être pris en charge rapidement. Nous avons commencé à Renk, dans l’État du Haut-Nil, au nord du Soudan du Sud, puis nous sommes passés à Malakal et Ulang, suivi de Bentiu dans l’État d’Unité, et de la capitale, Juba. Au cours des mois suivants, nos efforts se sont rapidement étendus à de nombreuses autres régions du pays, nous permettant de soigner plus de 35,000 personnes.

Un lien inquiétant entre sous-financement, déplacement et violence

La fragilité du système de santé publique du Soudan du Sud, qui dépend presque entièrement de l'aide extérieure, est au cœur de cette crise. Le gouvernement ayant alloué moins de 2 % de son budget à la santé ces dernières années, le système est incapable de répondre aux besoins courants de la population, et encore moins de mener une réponse d'urgence robuste. De plus, les programmes existants sont précaires en raison de difficultés persistantes, notamment l'insuffisance des financements nationaux et internationaux, ainsi que de lourds échecs dans leur mise en œuvre. Le retrait du soutien des principaux donateurs – y compris l'USAID – a entraîné la fermeture de certains établissements de santé, supprimant ainsi des ressources vitales. À Bentiu, par exemple, nous avons constaté que la réduction du financement des organisations qui gèrent l’eau, l’assainissement et les soins de santé primaires a créé d’importantes lacunes dans la riposte, laissant les populations en danger et cherchant désespérément à obtenir des soins.

À cela s'ajoute l'afflux de personnes ayant fui le Soudan vers le Soudan du Sud, alourdissant la pression sur des services déjà limités, à un moment où le pays fait face à une réduction de ces services en raison de coupes budgétaires. Depuis avril 2023, date du déclenchement de la guerre civile au Soudan, plus d’un million de personnes ont trouvé refuge au Soudan du Sud, soit l’équivalent de 10 % de la population du pays. Ces populations vulnérables et mobiles sont souvent coupées des services essentiels, y compris des programmes de vaccination, ce qui augmente leur risque à la fois de contracter et de propager la maladie. La situation dans les camps de transit de Renk — qui accueillent aujourd’hui plus de trois fois leur capacité — illustre parfaitement cette crise.

Cette surpopulation, combinée à des conditions d’eau et d’assainissement insuffisantes et à un accès limité à l’eau potable, crée un environnement idéal pour la propagation des maladies. Il n’est donc pas surprenant que cela ait entraîné une recrudescence d’autres maladies hydriques, comme l’hépatite E — une menace grave, particulièrement pour les femmes enceintes.

Attaques contre les soins de santé et impact de la violence et de l'insécurité

L'obstacle le plus cruel réside peut-être dans la violence, l'insécurité et les attaques généralisées contre les soins de santé.

Un exemple déchirant s’est produit en mars 2025, lorsque des combats à Ulang ont forcé des dizaines de patients à fuir l’hôpital de MSF, y compris plus de 30 patients hospitalisés pour un traitement contre le choléra. Ces patients se sont enfuis dans la communauté, affrontant non seulement le risque de mourir eux-mêmes, mais contribuant également à la propagation de la maladie. L’hôpital a ensuite été définitivement fermé à la suite de pillages. Depuis le début de l’année 2025, MSF a été directement visée par plus de huit attaques, entraînant la fermeture d’un autre hôpital à Old Fangak, dans l’État de Jonglei, et la réduction ou la suspension des activités dans d’autres. Le résultat : des centaines de milliers de personnes privées de soins de santé.

La voie à suivre : de la crise à la responsabilité

Nous savons comment prévenir le choléra. Ce n’est pas un mystère. Mais tant que le gouvernement, la communauté internationale et toutes les parties prenantes ne reconnaîtront pas leurs échecs et n’assureront pas une réponse unifiée, multisectorielle et durable, nous nous contenterons d’attendre la prochaine épidémie.

Le gouvernement doit prendre ses responsabilités et prendre soin de sa population. Cela implique de renforcer les capacités de préparation et de réponse aux situations d’urgence, et de prioriser la prestation de services dans les zones sensibles.

La communauté internationale doit fournir un soutien renouvelé à l’aide humanitaire et au développement, non seulement pour essayer de combler les déficits considérables laissés par les récentes coupes budgétaires, mais aussi pour garantir une réponse humanitaire plus efficace avec les ressources limitées restantes. Cela inclut le renforcement de programmes durables pour les services d’eau et d'assainissement, ainsi qu’une vaccination généralisée contre le choléra et l'hépatite E.

Enfin, toutes les parties impliquées dans le conflit en cours doivent respecter le droit international humanitaire et garantir un accès sûr aux populations dans le besoin.

Sans ce changement fondamental, de nouvelles épidémies continueront de se déclarer, condamnant le peuple du Soudan du Sud à un avenir sombre, mrqué de souffrances évitables.

Nos actualités en lien