Une urgence sanitaire oubliée
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« En arrivant ici, j’ai eu l’impression de tomber dans le vide ». Planté au milieu de la cour centrale, le Dr Louis-Marie Sabio regarde autour de lui l’état de son hôpital fantôme. Début 2023, cet ancien médecin MSF a décidé de reprendre les rênes de l’hôpital secondaire de Bakouma, une structure sensée être à même d’assurer la prise en charge de complications chirurgicales dans cette zone volatile du nord-ouest du Mbomou, proche de Nzacko.
« Pendant 12 ans, pas un seul médecin n’a été présent ici, explique-t-il. L’hôpital était tenu par un assistant de santé. Enfin, quand je dis ‘hôpital’, c’est un grand mot. Il n’y a pas d’électricité, pas d’ambulance, des lits sans matelas... A mon arrivée, il n’y avait même pas de thermomètre. Pas de tensiomètre. Pas d’oxymètre pour prendre le pouls. Pas de glucomètre. Rien. Et la pharmacie, n’en parlons même pas, elle est vide. »
Bien que situé dans le haut de la "pyramide sanitaire" du pays – au-dessus des postes de santé, centres de santé et hôpitaux de districts – l’hôpital de Bakouma laisse sans voix. Tout est vide et silencieux. Çà et là, des poules se baladent dans les couloirs et dans les salles, tournant entre les balances cassées et les tables rouillées. En dépit de sa taille, moins de 10 patients sont alités. En dehors de MSF qui organise des vaccinations et le transfert de patients graves en ambulance jusqu’à Bangassou, aucune autre organisation n’appuie cette structure. Les patients savent donc que par manque de moyens humains et matériels ils ont peu de chance de trouver l’aide médicale dont ils ont besoin, malgré la bonne volonté de Dr Sabio.
« Nous sommes 18 personnes à tenir l’hôpital, mais je suis le seul à avoir une formation médicale, poursuit le jeune médecin. A cause du plateau technique limité, on ne peut pas assurer le minimum requis d’un hôpital. Puisqu’on n’a pas d’électricité, on ne peut faire ni échographie ni radio. Quant au bloc opératoire, il est pour ainsi dire vide. Il y a juste un petit panneau solaire pour alimenter deux ampoules. Quand les gens ont besoin de médicaments, il faut les envoyer au marché et espérer qu’ils trouvent quelque chose. »
Une situation sanitaire critique
Si choquant qu’il soit, le constat tiré à l’hôpital de Bakouma est représentatif de nombreuses structures de soins en République centrafricaine. Selon l’OMS et le Ministère de la Santé, moins de la moitié des structures de soins sont considérées comme totalement fonctionnelles dans le pays1, qui dispose de moins d’un médecin – 0,6 précisément – pour dix mille habitants. L’une des couvertures les plus faibles au monde.
Des décennies d’instabilité politique et de violence entre groupes armés ont plongé le pays dans une situation humanitaire critique, avec plus de la moitié des six millions de centrafricains ayant aujourd’hui besoin d’aide humanitaire. L’espérance de vie – 54 ans – est l’une des plus basses au monde, particulièrement pour les femmes enceintes et les enfants, qui ne peuvent compter que sur une quinzaine de gynécologues nationaux dans tout le pays et dont les taux de mortalité sont depuis des années parmi les plus dramatiques2.
Cette situation explique pourquoi la présence de MSF dans le pays est aussi cruciale et légitime. A Bangui et dans les provinces, environ 3000 employés de MSF sont à pied d’œuvre pour appuyer les autorités sanitaires afin de renforcer l’accès aux soins sur tout le territoire.
« On se sent souvent seuls »
Ainsi, dans la préfecture du Mbomou, MSF appuie une quinzaine de structures de soins allant de petits postes de santé reculés jusqu’à l’hôpital régional universitaire de Bangassou (HRUB), structure de référence pour une région sanitaire aussi vaste que la Grèce.
Lancé en urgence suite aux violences ayant secoué le pays en 2013-2014, ce projet couvre aujourd’hui une grande partie de la préfecture du Mbomou où des équipes mobiles sillonnent les structures de soins pour leur fournir équipements, vaccins et médicaments vitaux pour les principales pathologies affectant les enfants (paludisme, diarrhée, infections respiratoires), forment les soignants souvent non qualifiés, et organisent les références des cas graves vers Bangassou, où MSF appuie la quasi-totalité des services vitaux.
« L’objectif est de renforcer l’offre de soins à tous les échelons afin de réduire la mortalité dans cette zone », explique Pelé Kotho-Gawe, infirmer superviseur des activités mobiles de MSF à Bangassou.
Mais il est clair qu’en dépit de cet appui, la situation reste critique, comme l’atteste la situation de l’hôpital de Bakouma. Rares sont les organisations humanitaires que l’on croise dans cette région, pourtant bien moins affectée par les violences que d’autres depuis plusieurs années. Le manque de partenaires humanitaires, d’accès à l’eau ou à l’électricité dans les structures de soins, les difficultés économiques de la population alimentent une crise sanitaire massive pour laquelle MSF ne peut, à elle seule, que limiter les dégâts.
« On fait face à des réalités qui rendent parfois ce travail sans fin. On peut bien soigner les enfants qui souffrent de diarrhée, mais si personne ne vient faire de forage, ça ne prendra jamais fin car la population continuera de boire de l’eau non traitée. Pareil pour le paludisme : on arrive dans des centres de santé où on a 90% de tests positifs au paludisme, on assure les soins gratuits aux enfants, mais personne dans la zone ne fait de travail préventif, de distribution de moustiquaires. Il y a parfois des organisations qui passent, mais on ne les voit pas beaucoup, et on se sent souvent seuls face à la tâche. Et MSF ne peut clairement pas tout faire seule… », souligne Pelé.
L’hôpital de Bangassou, point de chute de toutes les urgences
En sillonnant la préfecture de poste de santé en centre de santé, le constat est partout le même. L’appui de MSF est vital, sauve des vies. Sans cet appui, les pharmacies seraient vides. Les soins seraient hors de portée financière des parents. Les femmes accoucheraient sur des lits de fortune ou des nattes, prises en charge par des matrones non formées.
Mais cet appui ne suffit pas. Et l’hôpital régional universitaire de Bangassou en est le témoin.
L’autre jour, j’ai dû envoyer en urgence un bébé vers Bangassou. Par moto, puisqu’on n’a pas d’ambulance. On n’a pas pu le stabiliser, et il est mort à quelques kilomètres d’ici. Sur la moto... » Dr Louis-Marie Sabio
Structure la plus spécialisée de la région, soutenue par MSF depuis 2015, c’est ici qu’arrivent toutes les complications qui ne peuvent être prises en charge ailleurs. En d’autres mots : les patients affluent ici jour et nuit, transportés parfois sur des centaines de kilomètres à moto sur des pistes cabossées, faute de prise en charge ou de médicaments disponibles ailleurs.
Des patients comme Guy, 4 ans, arrivé dans le coma depuis Bao, à plus de 100 kilomètres, car les hôpitaux près de chez lui n’ont pas l’insuline nécessaire pour la survie de ce petit bonhomme souffrant de diabète de type 1, une maladie l’obligeant à avoir des injections à vie.
Des patients comme René*, un nouveau-né admis pour la troisième fois aux soins intensifs pour malnutrition sévère, les programmes de prévention de la malnutrition autrefois gérés par une ONG internationale ayant été arrêtés à Bangassou.
Des patients comme Fanny, 20 ans, transférée ici depuis Bakouma, à 130 kilomètres de Bangassou, car le Dr Louis-Marie Sabio et son équipe n’avaient pas les médicaments et l’équipement nécessaire pour soigner sa plaie au dos.
« Dans une situation normale, des patientes comme Fanny devraient pourvoir être prises en charge dans mon hôpital », explique le médecin, présent à l’hôpital de Bangassou à l’occasion d’une séance de formation organisée à l’HRUB.
« Mais vous avez vu comme moi dans quel état ma structure se trouve. Je suis encore obligé de référer des patients qui ne devraient logiquement pas l’être. Faute de moyens, je dois même transférer des patients sans pouvoir les stabiliser au préalable, en ne sachant pas s’ils vont survivre. L’autre jour, j’ai dû envoyer en urgence un bébé vers Bangassou. Par moto, puisqu’on n’a pas d’ambulance. On n’a pas pu le stabiliser, et il est mort à quelques kilomètres d’ici. Sur la moto... »
« La situation sanitaire en RCA choque, mais le manque d’attention international à son égard me choque presque tout autant », dénonce René Colgo, chef de mission de MSF en RCA.
Une mobilisation s’impose
« La situation sanitaire en RCA choque, mais le manque d’attention international à son égard me choque presque tout autant », dénonce René Colgo, chef de mission de MSF en RCA.
« Malgré l’ampleur de la crise et des statistiques affolantes, le sort de la population reste largement méconnu du monde extérieur, et les financements humanitaires pour le pays sont loin de répondre à l’ampleur des besoins. Pour des raisons liées à l’insécurité ou aux contraintes logistiques, les ONGs ne sont pas toujours présentes dans les zones où les besoins sont les plus criants. On ne peut, on ne doit pas s’habituer à voir la RCA occuper le haut des classements les plus sombres. »
Pour faire changer les choses, il est grand temps de considérer la situation de la RCA telle qu’elle est réellement : une crise humanitaire sévère et durable qui nécessite la mobilisation de tous.
La maigre actualité sur la RCA reste focalisée sur les affrontements armés et la présence de forces russes dans le pays. Une récente analyse de la couverture médiatique3 de 47 crises majeures place ainsi la RCA sur le podium des pays les plus négligés en 2022
Comme dans un vide
Découvrez le documentaire "Comme dans un vide" qui traduit la réalité d'un pays souffrant à la fois d'un manque flagrant d'accès aux soins de santé et d'un manque d'attention et de soutien de la part de la communauté internationale à l'égard de son peuple.
1Rapport de référence HeRAMS, OMS/Ministère de la santé, 2023
2Banque mondiale, statistiques sur la mortalité maternelle et infantile, disponibles sur https://donnees.banquemondiale.org
3https://www.care-international.org/resources/breaking-silence-report-ten-humanitarian-crises-didnt-make-headlines-2022