Des enfants participent à une séance de thérapie par le jeu à l'hôpital Al-Nasser de Khan Younis. L'espace est également utilisé pour célébrer certains jours fériés, afin d'aider les enfants à vivre une certaine normalité, même à l'intérieur de l'hôpital. ©  Palestine, Gaza, 16 juin 2024.
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« Tout est absent, même l'idée d'un avenir »

Le vendredi 21 juin 2024

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Alors que l'horreur implacable se poursuit à Gaza, en Palestine, nos équipes à Rafah et dans la région du Moyen-Orient constatent un éventail de problèmes de santé mentale chez les enfants et les adultes. Depuis le début de l'année, Médecins Sans Frontières (MSF) a organisé plus de 8 800 sessions de soutien psychosocial pour les habitants de Gaza.

Davide Musardo, psychologue MSF d’origine italienne, a récemment quitté Gaza où il a aidé les Gazaouis à traiter les différents symptômes de santé mentale auxquels ils sont confrontés, alors qu'ils vivent dans des circonstances horribles au milieu des bombardements incessants. Il évoque ici les souvenirs obsédants de personnes vivant une réalité insupportable

« Lors de certaines séances, nous devions même crier pour être entendus, pour surmonter le bruit des drones et des bombes. Et lorsqu'il n'y avait pas de combats à l'extérieur, le bruit de fond était les cris des enfants à l'hôpital. Des enfants mutilés, brûlés ou sans parents. Des enfants qui ont des crises de panique, parce que la douleur physique déclenche des blessures psychologiques quand la douleur vous rappelle la bombe qui a changé votre vie pour toujours. Les enfants plus calmes dessinent des drones et des avions militaires. 

La guerre est partout dans l'hôpital, l'odeur du sang est insupportable. C'est l'image que je ramène de Gaza.

Je n'ai jamais rien vécu de comparable à ce que j'ai vu à Gaza. Certains traits sont communs à tous les patients que j'ai vus là-bas. Une peau foncée, presque brûlée, parce qu'ils sont exposés au soleil toute la journée. Ils ont perdu du poids parce que la nourriture est rare. Leurs cheveux sont blancs à cause du stress de ces mois de guerre. Et ils ont tous des visages sans expression. Un visage qui illustre la perte, la tristesse et la dépression. Des gens qui ont tout perdu.

"Les petites choses me manquent. Les photos de ma mère décédée il y a des années, la tasse avec laquelle je buvais mon café. Ma routine me manque plus que ma maison brisée", m'a dit un patient. 

"Cela fait des mois que je n'ai pas bu un verre d'eau fraîche. Quel genre de vie est-ce là ?" m'a demandé un autre patient.

En tant qu'êtres humains, nous sommes enclins à raconter la douleur et la souffrance auxquelles nous sommes confrontés. Mais comment raconter une histoire de deuil à quelqu'un qui vit la même chose que vous ? C'est pourquoi l'une de nos priorités est d'offrir un espace d'écoute sûr à nos patients et aux médecins et infirmièr-e-s palestiniens qui travaillent sans relâche depuis plus de huit mois.

Ici, en Italie, nous effaçons les photos floues ou inutiles de nos téléphones. À Gaza, les gens effacent les photos des membres de leur famille qui sont morts pendant les bombardements, pensant que le fait de ne plus les voir atténuera leur souffrance.

J'ai vu des gens s'effondrer à l'annonce d'un nouvel ordre d'évacuation. Certains ont changé d'endroit jusqu'à 12 fois en huit mois. J'ai entendu des gens dire : "Je ne bougerai plus ma tente, autant mourir".

À Gaza, on survit, mais l'exposition au traumatisme est constante. Tout manque, même l'idée d'un avenir. Pour les gens, la plus grande angoisse n'est pas celle d'aujourd'hui - les bombes, les combats et le deuil - mais celle de l'après. Il y a peu de confiance dans la paix et la reconstruction, alors que les enfants que j'ai vus à l'hôpital montraient des signes évidents de régression.

Bien que j'aie quitté Gaza, c'est comme si j'y étais encore. J'entends encore les cris des enfants brûlés. Nous avons besoin d'un cessez-le-feu immédiat et durable, sans lequel il sera impossible de guérir les profondes blessures psychologiques ». 

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