Tchad : l’urgence chronique des enfants malnutris à Adré
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Début juin, les autorités tchadiennes ont déclaré l’urgence nutritionnelle dans le pays. Le manque de financements de la part des bailleurs internationaux fait craindre une aggravation de la crise chronique que connaît le Tchad depuis plusieurs années. À Adré, dans la région du Ouaddaï à la frontière avec le Soudan, les équipes de Médecins Sans Frontières prennent en charge les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère. Entretien avec Abdoulaye Ould Mohamedou, responsable des activités médicales de MSF à Adré, et Abderahman Ibet, assistant chef de mission MSF à Abéché.
Quelle est la situation dans l’est du Tchad et plus particulièrement dans la région du Ouaddaï ?
Abderahman Ibet : Sur le plan social, la majorité de la population de l'est du pays est très pauvre. Le revenu des familles provient souvent de l’agriculture et lorsqu’il ne pleut pas assez, leurs conditions de vie peuvent très rapidement se dégrader. Les terres sont partagées entre les éleveurs, qui en ont besoin pour leur bétail, et les agriculteurs, pour leurs champs. Or les terres cultivables se sont réduites, de même que les récoltes, ce qui crée des tensions. D’autres problématiques économiques contribuent à déstabiliser la zone, par exemple l’exportation du mil, la base de l’alimentation dans l’est du Tchad, vers les pays du Golfe, participe à l’augmentation des prix des denrées alimentaires.
Sur le plan économique, Abéché est la grande ville de l'est du Tchad et se situe sur l'axe commercial qui relie le pays au Soudan. Tout ce qui vient des pays arabes traverse le Soudan et passe par Abéché pour ensuite aller au Nigeria. On assiste aussi à une augmentation de l’insécurité avec la présence de braqueurs et de voleurs. L’arrivée massive d’orpailleurs a créé un climat d’instabilité dans la zone d’Abéché. Il y a davantage de délinquance et la violence ne cesse d’augmenter.
Abdoulaye Ould Mohamedou : Le contexte sécuritaire est difficile à la frontière avec le Soudan, il y a régulièrement des conflits intercommunautaires au Darfour voisin qui entraînent des déplacements massifs de population. En janvier 2022, nous avons par exemple été témoins d’un afflux de plus de 6 000 personnes fuyant les violences au Soudan.
Abderahman Ibet : L’arrivée massive de ces réfugiés depuis 2003 a déstabilisé la population locale. À leur arrivée, ils ont occupé une grande partie des terres cultivables et bénéficié de l’aide humanitaire, ce qui n’a pas été le cas de beaucoup de Tchadiens sur place, notamment sur le plan alimentaire. Cela a entraîné des tensions entre les populations hôte et réfugiée.
Que font les équipes de MSF à Adré et quel est l’état de l’accès aux soins sur place ?
Abdoulaye Ould Mohamedou : Le projet actuel de MSF à Adré a été mis en place au mois d’août 2021. L'objectif est de soutenir le district au niveau des consultations pédiatriques chez les enfants de moins de 15 ans mais également de se positionner près de la frontière en cas d'afflux massif de blessés. Nous sommes dans un district frontalier avec l’ouest du Darfour, où les violences répétées entraînent souvent des déplacements de population vers le Tchad.
Nous recevons en moyenne 1 000 patients par mois aux urgences et nous en hospitalisons environ 10 par jour en période de pic de malnutrition, comme c’est le cas actuellement. 80% des consultations en ambulatoire et 60% des hospitalisations concernent des enfants souffrants de malnutrition aiguë sévère. Le service de pédiatrie a une capacité de 50 lits, dont 30 leur sont dédiés.
Lors de la saison des pluies, l’accès aux structures de santé est plus difficile pour la population. Par exemple, dans les centres de Mahamata et d’Ibouta que nous soutenons, nous avons constaté que les familles sont bloquées à cause de la montée des wadis (cours d’eau) et ne peuvent pas venir aux rendez-vous de prise en charge nutritionnelle ambulatoire, avec des conséquences directes sur l’état de santé des enfants malnutris.
Il y a également des difficultés d’accès à des soins de qualité, à cause du manque de personnel qualifié et d’équipements. Nous n’avons pas toutes les spécialités, certains examens biologiques ou encore paracliniques comme la radiologie ne sont pas disponibles..
Abderahman Ibet : J’ai travaillé sur le projet d’Adré par le passé, je me souviens que lorsque les familles ont compris que les soins pédiatriques dispensés par MSF étaient gratuits, le nombre d’enfants pris en charge a vraiment augmenté par rapport aux années précédentes. Les gens viennent de loin parce que c’est gratuit, on a vu des réfugiés soudanais qui venaient de l'autre côté de la frontière, du côté d’Adikon, pour faire soigner leurs enfants dans le service pédiatrique appuyé par MSF.
Quels sont les enjeux dans le district d’Adré ?
Abderahman Ibet : Le coût de la vie est très cher, les enfants ne mangent pas suffisamment. Ils souffrent en même temps d’autres maladies, comme le paludisme, et ne se font pas soigner parce que leurs parents n’en ont pas les moyens. Il y a beaucoup, beaucoup de cas de malnutrition et c’est difficile pour les enfants d’en sortir. Même dans les grandes villes, à Abéché comme à N’Djamena, la malnutrition ne cesse d’augmenter.
Abdoulaye Ould Mohamedou : Les mamans se plaignent qu’elles n'ont pas d'argent. C’est une population qui vit de l’agriculture, une agriculture traditionnelle et non intensive, qui dépend fortement de la pluie. Ils vivent un peu de l’élevage mais les ménages sont très pauvres.
Nous sommes dans un district reculé, il y a beaucoup de difficultés d'accès aux ressources, qui sont par ailleurs limitées. Lors de la saison des pluies, les wadis montent et empêchent les gens de se déplacer. Les difficultés d’accès ont un impact sur l’approvisionnement et sur les prix des denrées alimentaires : c’est l’une des raisons de la malnutrition dans la zone.
Abderahman Ibet : L'eau potable est également un enjeu de taille. Au niveau des grandes villes, elle n'est pas disponible pour toutes les familles. À Abéché, qui est pourtant un grand centre urbain, la population se sert de l’eau de pluie. Plus à l’est, dans des districts comme celui d’Adré, les gens utilisent le forage pour s’approvisionner en eau. Ils la consomment sans en connaître la qualité puisqu’elle n’est pas analysée. Au niveau des villages, il n’y a pas d’eau potable du tout, tout le monde boit celle des wadis.
Aujourd’hui, le vrai visage de l’est du Tchad - celui d’une population pauvre, qui a du mal à trouver un emploi, qui vit uniquement grâce aux récoltes, avec de nombreux enfants déscolarisés - ce visage-là, on ne le voit pas. C’est une population qui souffre et c’est parce qu’on ne voit pas le vrai visage de la région qu’il y a un manque de financements.