Un groupe de canoës quitte Bajo Chiquito le 13 juin. Les migrants fêtent le départ de la région du Darién. Beaucoup ne savent pas que leur séjour dans les centres d'accueil au Panama peut être très long.
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PANAMA : auprès des migrants dans la forêt de Darién

Le vendredi 18 juin 2021

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MSF lance ses opérations auprès des migrants dans la forêt de Darién et appelle à la création d’itinéraires sûrs entre la Colombie et le Panama pour les personnes en transit.

Suite à une augmentation des arrivées, nos équipes ont commencé à fournir des services médicaux et de santé mentale aux migrants qui passent de la Colombie au Panama par la forêt de Darién.

« Il y a une énorme souffrance chez nos patients en raison des voyages qu'ils doivent faire, confie Raúl López, coordinateur de projet de MSF. Beaucoup d'entre eux sont sur la route depuis des semaines ou des mois et la traversée de la forêt de Darién est difficile en raison de la longueur et de la difficulté du trajet. De plus, nous avons entendu des récits terribles concernant des faits de violence, de vols, d’agressions sexuelles et d’attaques auxquels les gens ont été confrontés.»

En mai 2021, MSF a commencé ses activités à Bajo Chiquito, la première ville que les migrants atteignent, et dans les centres d'accueil de San Vicente et Lajas Blancas, après avoir constaté une augmentation du nombre d’arrivants et de leurs besoins en matière de soins médicaux et mentaux. L'équipe MSF comprend des médecins, des infirmières, des psychologues et des logisticiens. En plus de fournir des services médicaux et de santé mentale, ils améliorent également l'infrastructure sanitaire locale.

Personnel MSF au centre de santé de Bajo Chiquito. Malgré l'extrême danger, ces derniers mois, la forêt de Darién est devenue un passage très utilisé par des milliers de migrants de différentes nationalités.

Ces derniers mois, le Panama a signalé une augmentation du nombre de migrants arrivant de Colombie par la forêt de Darién. Entre janvier et mai, plus de 15 000 personnes ont emprunté cette route pour entrer dans le pays. Au mois de mai, 5 303 migrants ont enregistré leur entrée, selon le service national des migrations du Panama. Beaucoup viennent d'Haïti et de Cuba, mais parmi eux se trouvent aussi des citoyens de différents pays d'Afrique francophone, ainsi que des Pakistanais et des Yéménites. Bien que la plupart soient des adultes, il y a aussi des familles avec des enfants et de nombreuses femmes à un stade avancé de leur grossesse. En mai, MSF a effectué 3 390 consultations médicales et une moyenne de cinq consultations individuelles et cinq consultations de groupe en santé mentale par jour.

En haut de la colline, il y avait un autre groupe d'hommes, avec des armes. Puis ils ont fouillé les femmes. (...) Certaines d'entre elles ont été violées devant tout le monde, sans que nous puissions faire quoi que ce soit. Ils ont abusé de moi aussi. (...) Ils tuaient des gens, des innocents, devant nous, nous les voyions se vider de leur sang, sans rien pouvoir faire.
Ana*, 45 ans, est originaire de Cuba

« C'est un trajet vraiment difficile, tant par sa géographie que par sa durée. La marche peut durer entre cinq et dix jours, selon qu'il s'agit de la saison sèche ou de la saison des pluies, explique M. López. On nous a parlé de cas de violence et de vols, ainsi que du manque de nourriture et d'eau. Nos patients ont vu d'autres migrants trop épuisés pour poursuivre leur route ou qui se sont noyés dans les rivières en crue. Les problèmes de santé que nous observons le plus sont liés aux infections cutanées et aux lacérations des membres, ainsi qu'à la déshydratation et à la diarrhée. Les enfants souffrent souvent de fièvre, de diarrhée et de malnutrition. L'un des problèmes qui nous préoccupe le plus, et qui est choquant, est que beaucoup de femmes que nous aidons nous ont dit qu'elles avaient été agressées sexuellement en route. »

Le seul moyen de transférer les migrants depuis Bajo Chiquito pendant la saison des pluies est le canoë, avec une capacité d'environ 13-15 personnes par bateau.

Au cours des 15 premiers jours d'assistance médicale à Bajo Chiquito, MSF a traité 12 femmes qui avaient été agressées sexuellement au cours des trois jours précédents. « Le premier jour de notre projet, nous avons eu cinq cas. Nos équipes, qui ont des années d'expérience sur la route des migrants mexicains, n'avaient jamais vu un tel nombre de cas en une seule journée. »

Les témoignages recueillis par nos équipes au Mexique, dans les foyers pour migrants où elles travaillent, montrent les horreurs auxquelles sont confrontés ceux qui traversent la région du Darién. Ana*, 45 ans, est originaire de Cuba. Après deux ans de voyage en Amérique du Sud, elle a traversé la frontière entre la Colombie et le Panama. Elle témoigne :

« Nous sommes passés par un petit chemin et soudain nous avons vu des gens avec des armes. (...) Ils ont commencé à fouiller les hommes en premier. Ils prenaient nos affaires en haut de la colline ; chaussures, argent, téléphones. En haut de la colline, il y avait un autre groupe d'hommes, avec des armes. Puis ils ont fouillé les femmes. Certaines d'entre elles ont été envoyées directement en haut de la colline où elles ont été violées. Certaines d'entre elles ont été violées devant tout le monde, sans que nous puissions faire quoi que ce soit. Ils ont abusé de moi aussi. (...) Ils tuaient des gens, des innocents, devant nous, nous les voyions se vider de leur sang, sans rien pouvoir faire. »

MSF appelle les autorités colombiennes et panaméennes à renforcer la protection des personnes extrêmement vulnérables lors de leur exil.

Des patients racontent avoir vu des personnes avec des chevilles cassées et des blessures, d'autres qui n'avaient plus la force de continuer, et qui ont été abandonnées dans la jungle.

Raúl López conclut : « MSF travaille avec les personnes en transit depuis de nombreuses années. Nous avons témoigné de l’impact négatif des frontières, murs et autres barrières administratives qui exposent les migrants à des réseaux de trafic qui les violent et les exploitent. Les migrants devraient pouvoir transiter entre la Colombie et le Panama par des routes sûres établies par les autorités, en sachant qu'ils ne seront pas agressés, battus, volés ou harcelés, et qu'ils ne risqueront pas leur vie ou celle de leurs proches en chemin. Personne ne devrait être confronté à ce que nos patients subissent simplement pour avoir essayé d'émigrer. La migration n'est pas un crime.»

En Amérique latine, MSF travaille avec les populations migrantes au Mexique depuis 2012 et aide également les personnes en transit au Honduras, au Guatemala, au Venezuela et en Colombie. L'organisation mène également des activités pour les personnes en transit en mer Méditerranée, en Grèce, en Libye et en Éthiopie, notamment. Au Panama, MSF collabore avec différentes institutions publiques, le ministère de la Santé et d'autres organisations internationales.

*Le prénom de ce témoin a été modifié pour protéger son identité. Son témoignage a été recueilli le 3 juin dans un refuge du sud du Mexique.