Les équipes des cliniques mobiles MSF fournissent des soins de santé primaires aux Palestiniens dans le centre de la ville de Jabalya, au nord de la bande de Gaza, en Palestine. Bande de Gaza, février, 2025 © Nour Alsaqqa
Actualité

Notre lettre ouverte pour Gaza

Le lundi 16 juin 2025

En 1 clic, aidez-nous à diffuser cette information :

Par la remise d’une lettre ouverte adressée aux 27 chefs d’État de l’Union européenne (UE), aux présidents des institutions de l’UE, et aux parlementaires des États membres, le président de Médecins Sans Frontières (MSF), Christos Christou, et le secrétaire général de MSF, Christopher Lockyear, implorent l’UE et ses États membres de dépasser les déclarations rhétoriques et d’utiliser tous les leviers politiques, économiques et diplomatiques capables d’exercer une véritable pression sur Israël afin de mettre un terme à ce que les équipes MSF constatent quotidiennement : 

  • le meurtre de personnels soignants et humanitaires, 

  • le bombardement de structures médicales et d’abris pour personnes déplacées, 

  • ainsi qu’un blocus total de la bande de Gaza.

Télécharger la lettre

Lettre ouverte aux chefs d’État de l’Union européenne, aux présidents des institutions de l’UE, et aux parlementaires des Etats Membres.

Madame la Présidente de la Commission européenne, Monsieur le Président du Conseil européen, Madame la Présidente du Parlement européen, Mesdames et Messieurs les dirigeants européens,

Il a été permis à la guerre à Gaza de devenir l’une des plus flagrantes, meurtrières et impitoyables jamais menées contre un peuple. Les maisons, hôpitaux, marchés, réseaux d’eau, routes et infrastructures électriques de Gaza ont tous été détruits par les forces israéliennes – non par négligence, mais de manière délibérée. Ce que nous observons est la destruction méthodique des systèmes mêmes qui permettent la vie. C’est un nettoyage ethnique, dissimulé sous un discours de sécurité, mais exécuté avec un mépris total pour le droit international humanitaire et les droits humains.

Les atrocités quotidiennes à Gaza ne se déroulent pas dans l’ombre. Elles se déroulent sous nos yeux. Elles sont d’une brutalité insolente.

Depuis plus de 20 mois, les autorités et forces israéliennes mènent une campagne de répression contre les Palestiniens à Gaza. Chaque jour, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) sont témoins de schémas qui relèvent du génocide à travers des actes délibérés – notamment des massacres, la destruction d’infrastructures civiles vitales et des blocus empêchant l’accès à la nourriture, à l’eau, aux médicaments et à d’autres biens humanitaires essentiels. Israël détruit systématiquement les conditions nécessaires à la vie palestinienne.

Une enquête rétrospective de mortalité menée récemment par MSF et notre branche épidémiologique, Epicentre, a révélé que près de deux pour cent de notre personnel à Gaza, ainsi que les membres de leurs foyers, sont morts depuis le 7 octobre 2023. Les trois quarts ont succombé à des blessures liées à la guerre. Ce ratio est cohérent avec les chiffres du ministère de la Santé de Gaza, qui rapporte que 55 000 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza jusqu’au 4 juin de cette année. Dans l’enquête MSF, 40 % des personnes décédées de blessures avaient moins de dix ans. Ce mépris pour la vie civile montre que cette guerre menée par Israël à Gaza vise les Palestiniens dans leur ensemble.

Le 11 juin, la clinique d’Al Mawasi, soutenue par MSF, a reçu 32 blessés, dont trois étaient déjà morts à l’arrivée. Ils avaient été abattus alors qu’ils se rendaient sur un site de distribution alimentaire, géré par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF).

Ce n’était pas un incident isolé.

Trois jours plus tôt, les équipes de l’hôpital Nasser ont reçu 40 patients, pour la plupart blessés par balles. Cet hôpital est le principal centre de référence pour des milliers de patients dans le sud de Gaza, et il peine à poursuivre ses activités en raison des ordres d’évacuation répétés et des restrictions de circulation imposées au personnel et aux patients. Les organisations humanitaires ont mis en place des hôpitaux de fortune pour combler les lacunes, mais ils ne peuvent en aucun cas remplacer les hôpitaux réguliers. Ces dernières semaines, les équipes MSF ont admis plus de 500 patients à l’hôpital Nasser et ont soutenu le personnel médical de

l’établissement pour faire face à des afflux massifs de blessés causés par les bombardements et les attaques incessantes.

La GHF a lancé ses activités le 27 mai dans le cadre d’un plan américano-israélien qui instrumentalise l’aide humanitaire. Depuis, des centaines de Palestiniens ont été soignés dans des hôpitaux, et des dizaines ont été tués, après avoir été pris pour cible alors qu’ils attendaient de recevoir des biens essentiels à leur survie. Un de nos collègues à Gaza a observé que certains rentraient de ces distributions avec un sac de farine ; d’autres, avec un linceul.

L’aide humanitaire est utilisée comme une arme. Elle est manipulée pour déplacer les populations de force, servir des objectifs militaires ou est bloquée totalement. L’aide ne doit jamais être un outil de négociation. C’est une bouée de sauvetage. La refuser constitue une punition collective – un crime de guerre.

Depuis octobre 2023, les structures de santé sont continuellement attaquées. Le personnel et les patients de MSF ont été contraints d’évacuer au moins 18 structures médicales et ont subi 50 incidents violents, comprenant des frappes aériennes sur des hôpitaux, des tirs d’obus sur des abris pourtant désignés comme sûrs, des incursions dans des centres médicaux, et des convois pris pour cible. Onze de nos collègues ont été tués. Nous ne sommes pas les seuls à vivre cela ; ces attaques touchent l’ensemble du secteur humanitaire. Elles témoignent d’un mépris systématique pour le droit international humanitaire, notamment la résolution 2286 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui protège les missions médicales.

MSF, comme de nombreuses autres organisations, appelle depuis longtemps à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, à un accès humanitaire sans entrave et au respect du droit international humanitaire – y compris pour les structures et personnels médicaux – par toutes les parties, y compris le Hamas. Pourtant, cette offensive militaire contre une population assiégée se poursuit, chaque jour plus brutale.

L’Union européenne et les gouvernements européens disposent de moyens politiques, économiques et diplomatiques capables d’exercer une réelle pression sur Israël pour qu’il mette fin à cette offensive et ouvre les points de passage vers Gaza à l’aide humanitaire. Ces leviers ne sont pas théoriques ; ils peuvent être utilisés concrètement pour défendre le droit international et protéger les civils.

L’Union européenne et nombre de ses dirigeants ont récemment critiqué Israël ; mais ces paroles sonnent creux, car elles ne s’accompagnent pas d’actions substantielles pour arrêter le massacre, et elles s’inscrivent dans une hypocrisie manifeste, en continuant de fournir des armes à Israël – armes qui tuent, brûlent ou mutilent ceux que nous tentons de soigner. Cela doit cesser.

Il n’a jamais été temps pour l’hésitation ou les doubles standards inhumains. Vos paroles et vos actes sont un test de votre crédibilité et de votre leadership. Ce moment définira votre héritage et déterminera si les lois censées protéger les civils en temps de guerre ont encore un sens. Il exige du courage politique, une responsabilité juridique et un engagement moral. L’ampleur de la souffrance à Gaza exige plus que de la rhétorique vide.

Chaque retard, chaque hésitation, chaque politique qui permet à la machine de destruction de continuer en toute impunité constitue un acte de complicité.

Nous appelons l’Union européenne et ses 27 États membres à agir de manière décisive et à enfin utiliser leur influence sur Israël afin de :

LEVER LE SIÈGE

Empêcher l’assistance vitale d’atteindre la population n’est pas une mesure de sécurité légitime – c’est un crime de guerre. Les accusations de détournement d’aide ne justifient en rien le refus d’aide à plus de deux millions de personnes. C’est une punition collective. Chaque retard coûte des vies.

DÉFENDRE L’ACTION HUMANITAIRE

Rejetez tout mécanisme qui instrumentalise l’aide ou qui l’utilise comme monnaie d’échange. L’aide doit répondre aux besoins. Les politiques qui subordonnent l’aide à la stratégie militaire ne sont pas seulement cyniques ; elles sont meurtrières.

DES ACTES, PAS DES MOTS

De nombreux gouvernements européens ont dénoncé les atrocités perpétrées par Israël à Gaza, tout en continuant à fournir les armes qui tuent nos patients et collègues. Les gouvernements doivent mettre fin à leur complicité dans cette campagne de nettoyage ethnique.

RENFORCER LES ÉVACUATIONS MÉDICALES

Aujourd’hui, environ 13 000 personnes, dont plus de 4 500 enfants, ont besoin de toute urgence d’une évacuation médicale, avec le droit au retour. Pourtant, malgré ces besoins et les capacités démontrées de l’Union européenne, seuls quelques centaines de patients ont été accueillis par les États membres européens. Les États membres doivent en faire davantage pour prouver que la solidarité n’est pas qu’un mot.

Vous pouvez et devez agir maintenant.

Sincèrement,

 

Dr Christos Christou, Président international de MSF 

Christopher Lockyear, Secrétaire général, MSF International

 

Télécharger la lettre

Nos actualités en lien