L'hôpital turc de Khartoum : une bouée de sauvetage pour beaucoup de patients
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Lorsque les combats s'intensifient, jusqu'à 20 % de ces patients peuvent être des blessés de guerre. Cependant l'objectif initial de cet hôpital a toujours été de fournir des soins de santé aux enfants malades et aux femmes enceintes - et cela n'a pas changé. MSF a réussi à rendre ces deux services gratuits pour la toute première fois. Alors qu'il quitte le Soudan, notre chef de mission sortant, le Dr Mego Terzian, fait le point sur la situation.
100 patients par jour - principalement des femmes et des enfants
Au cours des dernières semaines, la majorité de nos patients étaient des enfants et des femmes enceintes. Bien que notre objectif principal soit de soigner les blessés de guerre lorsque les combats s'intensifient, l'hôpital turc n’en reste pas moins le seul hôpital de la région en mesure de fournir des soins de santé spécialisés aux femmes enceintes et aux enfants malades. MSF fournit également des soins maternels dans le nord-est de Khartoum et à Omdurman, mais dans le sud de Khartoum, il est le seul à disposer d'un service de pédiatrie et de maternité opérationnel.
Nous sommes basés dans le quartier d'Al Kalakla, mais de nombreux patients viennent d'autres régions - des quartiers de Mayo, Jabra et Abu Adam, et beaucoup traversent la ligne de front pour arriver jusqu'à nous. Il y a deux semaines, certains des combats les plus violents depuis le début du conflit ont commencé, avec des frappes aériennes et des tirs d'artillerie lourde autour de la base militaire du corps blindé, qui se trouve à environ cinq kilomètres au sud-est de l'endroit où nous nous trouvons. Au cours des quatre derniers mois, au moins 17 offensives majeures ont été organisées pour tenter de prendre le contrôle de cette base et nous avons dû faire face à des arrivées massives de victimes à de nombreuses reprises.
La situation est donc très dangereuse pour ceux qui vivent à proximité : la vie est très dure, y compris à l'hôpital, mais tous les membres de l'équipe sont conscients que notre présence est cruciale pour les soins de santé de la population. »
L'accès aux soins de santé reste le plus grand défi
Le plus grand défi en termes de fourniture de soins de santé à Khartoum reste l’accessibilité. L'insécurité est extrême, les transports quasi inexistants, et il est très difficile pour les patients de se rendre à l'hôpital. Il n'y a pas d'ambulances. Tous les véhicules qui sortent sont réquisitionnés par le personnel armé qui contrôle les rues. Même les véhicules appartenant à MSF ont été volés. Nous avons été confrontés à plusieurs problèmes de sécurité au cours des derniers mois. Actuellement, à l'hôpital turc, MSF n'a qu'un seul véhicule de location avec un chauffeur courageux qui peut apporter des médicaments ainsi que de la nourriture et de l'eau pour nos patients et notre personnel. Cependant, ce n'est pas une tâche facile. Il y a de nombreux points de contrôle sur les routes, et à chacun d'entre eux, nous devons expliquer notre présence, le type d'assistance que nous apportons et pourquoi il est crucial que nous puissions poursuivre la chaîne d'approvisionnement jusqu'à l'hôpital.
Comme il n'y a pas d'ambulances, les patients doivent se débrouiller pour se rendre jusqu’à l'établissement, et les options qui s'offrent à eux sont très limitées. Avant la guerre, Khartoum était une ville bien organisée, avec un système d'ambulances qui fonctionnait et beaucoup de gens avaient leur propre véhicule. Mais aujourd'hui, ils ont été obligés de s'adapter à la réalité. Leurs véhicules ont été volés, ou même s'ils les ont encore, ils sont inquiets à l'idée de les utiliser pour se rendre à l'hôpital, car ils savent qu'ils leur seront enlevés en chemin. Les seuls véhicules qui peuvent circuler librement sont ceux utilisés par les combattants. Une autre raison pour laquelle on ne voit pas beaucoup de véhicules dans la ville est que très peu d'entre eux ont du carburant. Il y a une pénurie d’essence dans toute la ville. Nous voyons des dizaines et des dizaines de véhicules abandonnés sur le bord de la route parce qu'ils n'ont plus de carburant et sont devenus inutiles après avoir été volés. Les gens ont donc recommencé à utiliser des charrettes en bois tirées par des ânes - ou ils viennent tout simplement à pied.
Certains patients m'ont dit qu'ils avaient marché jusqu'à 15 kilomètres et traversé les lignes de front pour nous rejoindre. »
La santé maternelle et l'effondrement du système de santé de Khartoum
Il y a en moyenne huit accouchements par jour dans notre service de maternité, et trois césariennes sont pratiquées en moyenne. La plupart des femmes qui viennent sont encore en bonne santé, mais certaines souffrent d'anémie et l'une des difficultés lorsqu'il s'agit de pratiquer des césariennes est le manque de sang. Le sang doit être conservé à une température très spécifique, et il est très difficile de maintenir cette température en raison des pénuries de carburant et d'électricité qui sévissent dans la ville. L'acheminement de nouvelles fournitures médicales devient également de plus en plus difficile car les permis de voyage ne sont plus délivrés régulièrement, ce qui empêche nos équipes d'entrer à Khartoum pour réapprovisionner l'hôpital.
Au début du conflit, d'énormes efforts ont été déployés pour mettre les femmes en contact avec des sages-femmes afin qu'elles puissent continuer à recevoir des soins de santé pendant la grossesse et l'accouchement malgré les combats. Des groupes WhatsApp ont été créés et ils ont constitué une bouée de sauvetage pour de nombreuses femmes. Malheureusement, il n'a pas vraiment été possible de maintenir ce type de soutien car le niveau de violence a augmenté. De nombreux agents de santé ont quitté la ville en raison de l'intensité des combats, ce qui signifie que des initiatives telles que les groupes WhatsApp pour donner des conseils aux femmes enceintes sont malheureusement tombées à l'eau.
Malheureusement, en raison des circonstances de la guerre et du manque de personnel, des activités telles que les soins prénataux, les vaccinations et les soins de suivi des femmes et des enfants après l'accouchement n'ont pas été disponibles dans le sud de Khartoum depuis le début du conflit.
Le système de santé s'est presque complètement effondré à Khartoum et il n'y a aucune activité de soins de santé primaires, à l'exception d'un centre de santé qui a rouvert dans notre quartier et d'un groupe de bénévoles soudanais qui tentent de fournir des services de soins de santé dans une mosquée voisine. »
Nous espérons que dans le centre de santé, des soins prénataux et postnataux, ainsi que des activités de vaccination, seront organisés. Mais pour l'instant, ces types d'activités sont quasiment inexistants et nous ne sommes en mesure de fournir que les soins de santé les plus urgents - accouchements sans risque, césariennes d'urgence et soins intensifs pour les enfants très malades.
La rougeole, le paludisme, la méningite et le choléra se profilent à l'horizon
En raison du manque de vaccinations, nous craignons une épidémie de rougeole ou de méningite dans les semaines à venir. Le choléra est également un risque très présent en raison du manque d'eau potable et des mauvaises conditions d'hygiène. Heureusement, d'une certaine manière, il n'y a pas d'énormes concentrations de personnes à Khartoum comme c'était le cas avant la guerre, ce qui peut réduire un peu le risque, mais la réalité est qu'il n'y a pas d'activités de vaccination, qu'il n'y a pas d'eau propre et potable disponible et qu'il y a un manque d'assainissement et d'hygiène.
Nous avons en moyenne 15 à 20 enfants hospitalisés dans le service de pédiatrie en ce moment, avec deux à trois nouvelles admissions chaque jour. L'équipe qui travaillait à l'hôpital turc avant la guerre a remarqué que le nombre d'enfants souffrant de diarrhée et de déshydratation a augmenté, ce qui n'était pas un problème courant avant la guerre, mais qui est dû à la mauvaise qualité de l'eau. De plus, malgré la chaleur, un nombre important d'enfants souffrent de pneumonie, probablement à cause du manque de vaccinations et des mauvaises conditions d'hygiène. Avec l'arrivée de la saison des pluies, nous pouvons également nous attendre à une épidémie de paludisme dans les semaines à venir.
Nous avons un nombre inquiétant d'enfants admis pour malnutrition sévère, compte tenu du fait que nous ne procédons pas à une détection active des cas dans notre service de consultations externes. Certains enfants sont malnutris à cause du manque de nourriture. »
D'autres le deviennent parce qu'ils contractent diverses maladies. Lorsque la malnutrition s'ajoute à d'autres maladies comme le paludisme, la diarrhée avec déshydratation et les infections respiratoires aiguës comme la pneumonie, leur état peut devenir critique. Nous avons déjà quelques cas de paludisme grave, et parmi les nouveau-nés, nous avons un nombre important de cas de septicémie. Bien que nous disposions actuellement de suffisamment de lits pour traiter le nombre de patients, lorsque la saison du paludisme commencera - et si le nombre d'enfants nécessitant un traitement pour malnutrition sévère augmente - nous n'en aurons pas assez. De plus, il n'y a actuellement pas de place pour un service d'isolement pour traiter les enfants s'ils attrapent la rougeole, il y a donc de nombreux problèmes que nous prévoyons et pour lesquels nous essayons de trouver des solutions.
Les maladies chroniques et perspectives d'avenir
Nous sommes l'une des rares structures de santé à offrir des soins aux patients atteints de maladies chroniques telles que le diabète, l'asthme et les maladies cardiovasculaires. Nous recevons beaucoup de patients plus âgés, surtout avec des complications. Par exemple, nous voyons parfois des patients âgés atteints de diabète qui arrivent dans le coma parce qu'ils n'ont pas pu obtenir d'insuline à cause de la guerre. Comme ils n'ont pas accès à un traitement en ville, ils tombent très malades et nous parviennent en très mauvais état.
Un point positif est qu'à Khartoum, le taux de mortalité est inférieur à deux pour cent, ce qui est un grand succès pour l'équipe médicale et logistique compte tenu des conditions dans lesquelles elle travaille. Malgré les problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour - le manque d'électricité, d'eau et d'oxygène, et parfois le manque de médicaments spécifiques pour l'anesthésie et les transfusions sanguines - nous avons été capables de maintenir l'équipe sur place et de continuer à fournir des soins de santé d'urgence à la population.
Néanmoins, la population de Khartoum est très pessimiste. La majorité des personnes à qui j'ai parlé pensent que la guerre se poursuivra encore pendant de nombreux mois, voire des années. »