Angelina Achol, conseillère éducatrice MSF, dirige une séance de psychoéducation en santé mentale avec des femmes à l'hôpital universitaire de Malakal, Soudan du Sud
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« J'étais malade, pas un criminel » : la crise de santé mentale au Soudan du Sud

Le mercredi 15 octobre 2025

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« Je savais que j'étais malade, mais pas un criminel. J'avais besoin de soutien, pas de punition. Ce qui m'a le plus blessé, c'est que ma propre famille ait choisi la prison plutôt que le traitement », se souvient Samat Nyuk, 33 ans, un patient atteint d'un trouble mental en convalescence à Malakal, au Soudan du Sud.

Samat a été envoyé en prison par sa famille, les herbes et remèdes traditionnels n'ayant pas réussi à apaiser son trouble . Au début de sa maladie, il a vécu des illusions intenses et terrifiantes.

« J'avais l'impression de traverser une rivière dont l'eau m'arrivait au cou, et je voyais des doigts pointés vers moi tandis que des voix me criaient de me noyer », raconte-t-il.

Un ami, constatant la détresse de Samat, a cherché des remèdes traditionnels. Un ancien du village lui a donné une racine de plante médicinale qui lui a apporté un répit momentané. Néanmoins, inquiet pour la sécurité de son fils et celle de sa famille, le père de Samat a demandé aux autorités locales de le placer en détention ou de lui trouver de l'aide. Samat a été emmené à la prison centrale de Malakal en juin 2025, où il a été placé dans une petite cellule du quartier d'isolement pour les personnes souffrant de troubles mentaux.

À Malakal, où aucun soin psychiatrique n'est disponible, les familles se retrouvent souvent sans autre alternative : envoyer leurs proches en prison devient un dernier recours désespéré.

 La vie en prison était brutale. Samat a d’abord été confiné dans une cellule sombre, avec pour seul équipement une fine natte. Il a enduré des nuits froides, des essaims de moustiques et des voix incessantes dans sa tête.

Une crise croissante mais négligée

Le Soudan du Sud est aux prises avec une crise de santé mentale profonde, mais souvent invisible. Des décennies de conflits, de déplacements, de précarité et d'insécurité alimentaire ont laissé des blessures durables. L'insécurité permanente et les déplacements récurrents continuent de perturber les services essentiels, obligeant les communautés à rester en mouvement et mettant le personnel et les infrastructures de santé en état de danger constant. Cette situation non seulement aggrave le besoin de soutien en santé mentale, mais compromet aussi gravement la capacité à fournir des soins durables.

De nombreuses personnes vivent avec de l'anxiété, de la dépression, des traumatismes et du stress post-traumatique ; cependant, les services demeurent cruellement insuffisants. L'accès à des professionnels qualifiés, à des traitements efficaces et à une sensibilisation communautaire reste limité. 

Le constat est sombre : les personnes atteintes de troubles mentaux sont souvent stigmatisées, négligées ou traitées comme des criminels, ce qui mène parfois à leur incarcération. Les survivantes de violences sexuelles et basées sur le genre subissent des traumatismes supplémentaires, soulignant l’urgence de services intégrés de santé mentale, de protection et d’accompagnement juridique. Ces réponses globales nécessitent des ressources importantes, et sont souvent indisponibles dans de nombreuses régions du pays.

D’un autre côté, les programmes de santé mentale et de soutien psychosocial demeurent chroniquement sous-financés et vulnérables aux coupes budgétaires soudaines, ce qui menace la continuité des services, le maintien du personnel, et l’approvisionnement régulier en médicaments essentiels.

« Dans de nombreux cas, les centres de détention deviennent les seuls endroits où les personnes présentant des symptômes graves peuvent recevoir des soins ou être mises en sécurité », explique Laura Ximena, responsable des activités de santé mentale de MSF à Malakal. « Bien que cette situation soit loin d'être idéale, elle reflète l’urgence de renforcer les infrastructures de santé mentale dans la région. »

Les équipes de MSF organisent une séance de sensibilisation avec les étudiants de la Vision Academy à Malakal, dans l'État du Haut-Nil.

À Malakal, MSF fournit des services de santé mentale à l'hôpital universitaire de Malakal, ainsi que sur le site de protection des civils (PoC), avant la fermeture de l'établissement en juin. Depuis 2023, MSF fournit également des soins de santé mentale et des médicaments psychiatriques à la prison centrale de Malakal. Des membres du personnel MSF et un membre du personnel du ministère de la Santé assurent le suivi psychologique et psychopharmacologique des patients. Au centre de détention, MSF veille au bien-être des patients et à leur prise quotidienne de médicaments.

Entre janvier et août 2025, MSF a dispensé des consultations de santé mentale à 1 130 personnes à Malakal, dont 761 femmes (67 %) et 369 hommes (33 %). 

Les services de MSF ont soutenu des personnes présentant divers besoins en santé mentale. Pour les patients nécessitant des soins spécialisés et pharmacologiques, les diagnostics les plus fréquents incluent la psychose, le trouble bipolaire, la dépression et les comorbidités liées à la consommation de substances psychoactives.

L'expérience de Samat reflète la détresse de nombreux patients nécessitant des soins de santé mentale au Soudan du Sud. Face à des options limitées, ils recourent souvent à des mesures désespérées. Certains d’entre eux ont même eu des pensées suicidaires. Entre janvier et septembre 2025S, 12 patients suivis par MSF ont admis avoir envisagé le suicide, principalement en raison d'un traumatisme prolongé, de l'instabilité, d'un soutien psychosocial insuffisant, de l'insécurité alimentaire et de l'exposition à la violence. Avril 2025 a enregistré le nombre le plus élevé de cas, avec quatre patients ayant tenté de se suicider et un patient ayant exprimé des idées suicidaires.

MSF mène également des séances de sensibilisation dans divers contextes, ciblant le personnel de santé et les patients dans les hôpitaux. Cela comprend de courtes interventions dans les salles d’attente ainsi que des discussions en groupe avec les leaders communautaires afin de promouvoir le soutien mutuel et de réduire la stigmatisation. MSF organise également des séances de sensibilisation participatives dans les écoles secondaires et anime des émissions de radio diffusant des messages en langues locales.

Le travail de MSF à Malakal démontre qu’avec un traitement médicamenteux approprié, un accompagnement psychologique, un suivi régulier ainsi que le soutien de la famille et de la communauté, le rétablissement est possible. Toutefois, les progrès restent fragiles en l’absence de sécurité alimentaire, de soutien social et d’un système de santé efficace.

« La santé mentale doit être intégrée aux soins de santé primaires au Soudan du Sud, en veillant à la disponibilité de professionnels qualifiés à tous les niveaux de soins. Cela nécessite également de garantir l'approvisionnement en médicaments psychotropes essentiels, de maintenir des stocks tampons et de les intégrer aux chaînes d'approvisionnement existantes », affirme Ximena.

« La sensibilisation de la communauté et l'implication des familles sont tout aussi essentielles. Par-dessus tout, les personnes souffrant de troubles mentaux méritent d'être traitées avec dignité, et de ne pas être placées dans des centres de détention où elles risquent d'être associées à des criminels. »

MSF continue d'assurer le suivi de Samat et des autres patients renvoyés chez eux, leur fournissant médicaments et soutien psychologique. Aujourd'hui, Samat reprend des forces et cherche un emploi. « Ce qui me donne de l'espoir maintenant, c'est la liberté », dit-il. « Les prisons ne sont pas adaptées aux personnes souffrant de troubles mentaux. Nous avons besoin d'hôpitaux — de lieux offrant des soins, de la nourriture, et un espoir de guérison. »

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