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Geo Barents : 572 survivants enfin débarqués, après un retard injustifié au port de Catane

Le mercredi 16 novembre 2022

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Mardi 8 novembre, après 10 jours en mer et trois jours d'attente au port de Catane, tous les survivants à bord du Geo Barents ont finalement pu toucher terre en lieu sûr, loin de la violence et de la souffrance qu'ils ont fui en Libye.

Les autorités italiennes ont d'abord autorisé que le débarquement de 357 personnes, laissant 215 personnes à bord, otages d'un débat politique et d'une décision illégale qui les empêchait de recevoir assistance et protection à terre. Après ce débarquement sélectif, l'état psychologique et physique de certaines des personnes restées à bord s'est dramatiquement détérioré. Un survivant a été évacué dans la nuit du 6 au 7 novembre en raison de fortes douleurs abdominales, et d'autres survivants ont montré des signes d'anxiété et ont eu des attaques de panique.

"Le processus de débarquement sélectif fondé sur l'état de santé des survivants et le débarquement tardif effectué par les autorités italiennes est inhumain, inacceptable et illégal, puisque, selon le droit maritime international, les survivants secourus en mer doivent être débarqués dans un lieu sûr dans un délai raisonnable. Les instruments juridiques et les lignes directrices applicables ne subordonnent pas le débarquement dans un lieu sûr à l'existence de conditions médicales ou d'autres raisons. Au contraire, les États côtiers concernés doivent faire tout leur possible pour réduire au minimum le temps que les survivants passent à bord du navire d'assistance, en tenant compte des circonstances particulières d'un sauvetage, telles que la situation à bord du navire d'assistance et les besoins médicaux. " explique Juan Matias Gil, chef de mission recherche et sauvetage de MSF.

 

Quelques heures après le troisième sauvetage de la rotation 19, un autre petit bateau avec 12 personnes a été trouvé en détresse grâce à une alerte partagée par Alarm Phone.
Suite à une alerte, un autre sauvetage a eu lieu le 28 octobre, le septième de la rotation 19. L'équipe MSF a sauvé 119 personnes d'un bateau en bois. Parmi elles, 7 mineurs.

" Beaucoup de survivants présentaient des traumatismes antérieurs, résultat de violences et d'abus subis en Libye, dans leur pays d'origine ou au cours de leur voyage. L'attente prolongée a créé une forte détresse émotionnelle et psychologique. Les épisodes d'insomnie, d'anxiété et de détresse physique et psychologique sont devenus plus fréquents de jour en jour. Et de notre côté, nous n'avions aucune réponse à donner lorsqu'ils nous demandaient pourquoi nous ne pouvions pas débarquer", raconte Stefanie Hofstetter, chef d'équipe médicale MSF sur le Geo Barents.

Youssouf* était l'une des 214 personnes qui ont dû rester à bord pendant plus longtemps. Dans l'après-midi du 7 novembre, avec deux autres survivants, il a pris la décision désespérée de sauter du navire, pour atteindre le quai du port. La troisième personne est finalement revenue à bord et a raconté à l'équipe MSF qu'elle avait sauté uniquement pour aider les deux autres, car elle craignait qu'ils ne se noient. Youssouf* et Ahmed* ont passé la nuit sur le quai, refusant de manger et de boire, dans l'attente d'une décision des autorités italiennes. Après plus de 24 heures passées sur le quai, Ahmed (l'autre survivant qui a sauté du bateau) a présenté une forte fièvre et des signes de déshydratation et a été transporté dans l'établissement de santé le plus proche pour recevoir une assistance médicale des autorités sanitaires italiennes.

"Après des jours et des jours sur ce bateau [Geo Barents], je devenais fou. J'avais l'impression que mon corps et mes rêves étaient en train de se briser. Je suis reconnaissant pour toute l'assistance que j'ai eue à bord, mais je ne pouvais plus supporter cette situation ", a déclaré Youssouf au membre du personnel MSF qui l'a assisté sur le quai, devant le Geo Barents. " J'ai quitté le nord de la Syrie pour offrir une vie sûre à ma famille. J'ai quatre filles que j'ai laissées derrière moi, en espérant qu'elles puissent me rejoindre en Europe, dans un endroit sûr, bientôt. La plus jeune n'a que six ans. Elles ont vu des bombes tomber sur notre ville ces dernières années, et maintenant elles ne peuvent pas aller à l'école à cause de l'insécurité qui persiste dans la région. Les groupes armés sont partout, ils enlèvent les gens pour obtenir des rançons. La situation est devenue impossible à maîtriser et je crains chaque jour pour leur vie. Je veux simplement trouver un endroit où elles pourront être libérées de la peur et se sentir en sécurité. C'est mon rêve, et je ne laisserai personne me l'enlever".

Youssouf a finalement été autorisé à débarquer le soir du 8 novembre, avec les autres survivants initialement exclus du débarquement sélectif.

572 survivants attendent un lieu sûr pour débarquer. Plusieurs demandes ont été envoyées aux autorités responsables.
L'attente inutile pendant des jours dans ces conditions aggrave leur état physique et psychologique.

Akhtar*, un jeune homme de 21 ans originaire du Bangladesh, a expliqué au personnel de MSF qu'il avait quitté son pays il y a presque deux ans. Son voyage l'a d'abord conduit en Syrie, en Libye et finalement en Méditerranée, où il a risqué sa vie sur un bateau en bois rempli à craquer.

    "Je n'avais aucune idée de la difficulté de ce voyage. Je suis resté en Libye pendant plus d'un an, vivant dans un camp avec des personnes de différents pays. Nous étions neuf personnes à dormir dans une pièce de dix mètres carrés avec seulement une toilette pour plus de 200 ou 300 personnes. La police est arrivée au camp, a arrêté beaucoup d'entre nous et m'a emmené en prison. Ils m'ont donné un téléphone au bout de quelques jours et m'ont dit d'appeler ma famille. Je n'oublierai jamais ma mère hurlant au téléphone alors que les gardes menaçaient de me couper la main avec une machette tout en filmant. Ma famille a fini par envoyer le peu d'argent qu'elle avait pour me libérer. Je ne me pardonnerai jamais d'avoir causé toute cette douleur à ma mère. Je n'ai plus eu de nouvelles de ma famille depuis. Ils ne savent pas si je me suis noyé dans la mer. Je veux juste les appeler et leur dire que j'ai survécu", a expliqué Akhtar.

Le Geo Barents a quitté le port de Catane, et se prépare à reprendre la mer pour secourir les personnes dans le besoin. Cela a été et restera notre réponse aux politiques européennes et nationales irréfléchies de non-assistance en mer, condamnant des personnes à se noyer et refusant de les débarquer dans un lieu sûr.
"En tant qu'organisation humanitaire, nous poursuivrons les opérations de sauvetage en mer, conformément au droit maritime international, en vertu duquel nous avons mené nos activités jusqu'à présent. Un sauvetage commence par la sortie des personnes de l'eau, et se termine lorsque tous les survivants débarquent dans un endroit sûr", ajoute J.M. Matias Gil.

MSF mène des activités de recherche et de sauvetage (SAR) en Méditerranée centrale depuis 2015, en travaillant sur huit navires SAR différents (seuls ou en partenariat avec d'autres ONG). Depuis le lancement des opérations SAR avec le Geo Barents en mai 2021, MSF a secouru 5 497 personnes et récupéré les corps de 11 personnes décédées en mer.    

*ce ne sont pas leurs vrais noms

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