A man is waiting in one of the health centers where MSF provides care in the city of Zuwara, west of Libya.
Actualité
InternationalLybieMer MéditerranéeToutes les actualités

En Libye, les migrants, laissés-pour-compte du système de santé

Le mercredi 12 février 2025

En 1 clic, aidez-nous à diffuser cette information :

En 2024, environ 787 000 personnes migrantes étaient présentes sur le sol libyen, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Si une partie d’entre elles vient y chercher du travail, l’autre tente de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée. Sur place, les exilés vivent dans des conditions précaires et sont soumis à un ensemble de violences et d’abus, à l’intérieur comme à l’extérieur des centres de détention du pays. Enlevés, soumis à des pratiques d'extorsion et de traite, agressés ou encore abusés sexuellement, leur accès aux soins est sévèrement entravé alors qu’ils en ont désespérément besoin.

« Je me suis évanoui sous les coups, lorsque je me suis réveillé, ils étaient encore en train de me frapper, raconte Ahmed*, un jeune Soudanais arrêté et jeté en prison alors qu’il essayait de se rendre en Tunisie. J'étais défiguré, je n’avais plus de dents, mon ami Saud m’a raconté qu’ils avaient frappé ma tête à coup de brique. »

Pris en charge par les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) à Zuwara, ville côtière située à une centaine de kilomètres de la capitale, Tripoli, Ahmed* a passé un mois à l’hôpital.

Les personnes exilées en Libye ne bénéficient d'aucune protection, ni dans la loi, ni de la part des institutions fragiles du pays, ce qui les empêche d’accéder aux soins », explique Steve Purbrick, chef de mission MSF en Libye. 

« Ils sont exposés quotidiennement aux violences. Nous voyons des personnes qui ont été victimes de traite, d’autres qui ont été torturées, violées. »

Carolina, responsable des activités de protection, discute avec un patient dans l'un des centres où travaille MSF dans la ville de Zuwara, en Libye.

Sans protection et sans accès aux soins

La Libye est le premier pays de départ pour les personnes qui tentent de traverser la Méditerranée à destination de l’Italie. Comme Ahmed*, les migrants qui y arrivent sont exposés aux violences tout au long de leur parcours migratoire. Sur place, ils vivent dans des lieux souvent surpeuplés, dangereux et insalubres : des chambres partagées mais aussi parfois des hangars ou des chantiers abandonnés, où ils risquent également de contracter des maladies. 

Leur état de santé témoigne à la fois de leurs conditions de vie et de l’extrême violence à laquelle ils sont confrontés, précise le docteur Issam Abdullah, responsable médical adjoint pour MSF en Libye. Sans protection et sans accès aux soins, leurs blessures et leurs traumatismes s’aggravent rapidement. »

Les équipes de MSF apportent un soutien médical dans les villes de Misrata, Tripoli et Zuwara, pour la prise en charge des soins de santé primaires, sexuelle et reproductive, de santé mentale, le diagnostic et le traitement de la tuberculose ou encore des violences sexuelles. Les cas médicaux les plus graves nécessitant une prise en charge hospitalière sont référés vers la capitale. L’opération de la mâchoire de Ahmed* a ainsi été financée par MSF et réalisée dans un hôpital de Tripoli, faute de solution alternative.

Retard aux soins

Face au risque d’enlèvements et d’arrestations par la police ou les milices, les exilés sont forcés de vivre dans la clandestinité, dans des lieux isolés où ils sont encore plus vulnérables

Ils ne cherchent des soins qu’en dernier recours, lorsque leur état de santé est déjà fortement dégradé.

En 2024, les équipes MSF ont diagnostiqué et mis sous traitement plus de 250 personnes atteintes de tuberculose. Seize en sont mortes car elles n’ont pas été prises en charge à temps. « Nous recevons des personnes souffrant de tuberculose qui se font soigner très tardivement, ce qui entraîne une mortalité élevée et une propagation plus forte de la maladie, explique le docteur Issam Abdullah. Nos équipes constatent également l’impact délétère de l’interruption des traitements. »

Salma*, 37 ans et souffrant du diabète, a fui la guerre qui a éclaté au Soudan en avril 2023. «Le diabète nécessite une régularité dans la prise des repas et des médicaments et en Libye, ce n’est pas possible, raconte la professeure d’université. Quand j’ai dû partir, mon état de santé s’est dégradé rapidement au fil des jours : je suis devenue incapable de faire quoi que ce soit, ni la cuisine, ni même m’habiller… Je suis devenue complètement dépendante de mes filles. »

Un groupe de personnes attend dans l'un des centres de santé où MSF fournit des soins dans la ville de Zuwara, en Libye.

Davantage d’évacuations hors de Libye

Les personnes en migration font partie intégrante d’un modèle économique mis en place par des milices, avec la complicité de l’Union Européenne et de ses États membres, dans le but de leur extorquer de l’argent. Elles doivent payer en échange de leur traversée, en échange de leur libération et de la poursuite de leur périple, mais toujours avec le risque d’être de nouveau victimes de réseaux criminels », conclut Steve Purbrick. 

« C'est pourquoi, au-delà de l’accès au soins dans le pays, nous focalisons également nos efforts sur l’ouverture de voies de sorties sûres et légales pour évacuer les personnes hors de Libye, notamment via le corridor humanitaire qui existe entre la Libye et l’Italie auquel MSF participe en identifiant les personnes vulnérables à évacuer en Italie et en prenant en charge une partie de celles-ci. Mais ces voies doivent être drastiquement augmentées. »

La plage de Zuwara, comme de nombreuses plages de la côte ouest de la Libye, est un lieu fréquent de départ de bateaux et d'interception de personnes cherchant à rejoindre l'Europe par la mer.

Depuis 2021, ce corridor a déjà permis l’évacuation de plus 700 personnes, dont une soixantaine étaient suivies par MSF en Libye. 14 personnes ont par la suite été prises en charge par MSF à Palerme, en Sicile.

En avril 2023, les Nations Unies publiaient un rapport faisant état de « crimes contre l’humanité » commis à l’encontre de migrants dans le pays et documentaient des pratiques de détention arbitraire, torture, viol et d'esclavage, notamment sexuel.

*ces prénoms ont été changés

Nos actualités en lien