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Des corridors humanitaires pour évacuer les migrants piégés en Libye

Le mardi 18 juin 2024

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En juin 2022, Médecins Sans Frontières demandait aux États européens et nord-américains, entre autres, d’offrir d'urgence une protection aux migrants piégés en Libye en renforçant les mécanismes de sortie existants (via le Haut-Commissariat aux Réfugiés - HCR et l’Organisation Mondiale pour les Migrations - OIM) et en ouvrant des voies alternatives pour quitter le pays. Ces recommandations étaient compilées dans un rapport : Out of Libya (EN version / updated figures ; extraits en FR / données mises à jour)

Jérôme Tubiana, conseiller opérationnel sur les questions de migration, fait le point sur les tentatives menées pour aider les personnes les plus vulnérables à quitter le pays légalement et notamment sur un corridor humanitaire vers l’Italie qui a déjà permis d’évacuer environ 600 personnes depuis 2021, dont une cinquantaine de patients de MSF, et qui vient d’être reconduit pour trois ans.

Comment a évolué le contexte pour les migrants en Libye et en Europe depuis 2022 ?

En Libye, MSF continue de soigner des patients migrants soumis à de multiples formes de violence, telles que de la torture et des violences sexuelles et sexistes, des arrestations arbitraires et des détentions dans des conditions inhumaines, des enlèvements et du travail forcé. Les Nations-Unis ont plusieurs parlé de de crimes contre l'humanité commis à l’encontre des migrants dans le pays.

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Sur la période, l’aide aux migrants s’est encore plus compliquée, tant pour les associations de la société civile que pour les organisations internationales.

Pourtant les besoins sont toujours là. Les principaux centres de détention officiels se sont concentrés sur Tripoli mais de nombreux autres ont ouvert, souvent gérés par des milices. A Tripoli, les centres de détention officiels ont fait des aménagements, rationalisant le traitement des migrants détenus et améliorant certaines conditions, ce qui a été salué par les partenaires européens. Pourtant il s’agit surtout d’un ripolinage de surface : la détention y est toujours arbitraire et indéfinie et les mauvais traitements quotidiens. Bien peu nombreux sont ceux, parmi nos patients, qui ne sont passés par là.

En parallèle, les voies légales de sortie du pays restent extrêmement limitées. Elles se sont même encore réduites. Ainsi, en 2021, l’année avant la sortie du rapport, seules 1 662 personnes avaient pu quitter la Libye via le mécanisme de réinstallation du HCR sur environ 40 000 personnes enregistrées, et environ 3 000 personnes via le programme de retour volontaire de l’OIM. Aujourd’hui, après la guerre qui a éclaté au Soudan l’an dernier, le nombre d’inscrits sur les listes du HCR a augmenté jusqu’à atteindre près de 63 500 personnes. Sur ce nombre, seules 1 100 environ ont pu bénéficier des mécanismes de réinstallation et d’évacuation du HCR et quitter ainsi le pays en 2023.

Un autre modèle avait toutefois émergé au moment de la sortie du rapport et il fait partie de ceux que nous avons cherché à encourager. Il s’agit de corridors humanitaires directs entre la Libye et un pays sûr, dont les critères de sélection seraient moins restrictifs que ceux du HCR (qui ne prend en charge, en particulier, que les personnes de neuf nationalités) et qui s’appuieraient sur des organisations non-gouvernementales comme MSF pour d’une part, identifier des personnes en Libye et d’autre part, les prendre en charge à l’arrivée dans le pays tiers.

Quelles discussions ont eu lieu et quel accueil a reçu le rapport et ses recommandations ?

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De nombreux pays européens et nord-américains ont été sollicités. Malheureusement notre discours n’a trouvé que peu d’écho. Nous ne sommes pas arrivés à la bonne période : nous avons vu, en Europe notamment, beaucoup de gouvernements de plus en plus hostiles à l’accueil des migrants, au nom de prétendus « risques » sécuritaires ou plus trivialement électoraux. Les politiques sont de plus en plus restrictives à l’égard des migrants et cela se voit tant au niveau de l’Union européenne que de nombreux pays où l’extrême droite a fait son entrée dans les gouvernements. Par ailleurs, nous avons rencontré une difficulté supplémentaire, spécifique à la Libye, du fait que de nombreux pays n’ont pas ou plus d’ambassades ou de consulats dans le pays. La France, par exemple, conditionne l’ouverture d’un corridor humanitaire au fait que des agents puissent rencontrer eux-mêmes, sur place, les personnes que nous identifierions comme étant les plus vulnérables de nos patients en vue d’une évacuation, mais ne peut encore le faire faute de services consulaires sur place.

MSF a tout de même réussi à faire évacuer une cinquantaine de ces patients via un corridor ouvert directement entre la Libye et l’Italie. De quoi s’agit-il et qu’a fait MSF exactement ?

En effet, en 2021, trois associations italiennes ont réussi à négocier l’ouverture d’un corridor humanitaire direct entre l’Italie et la Libye, pour 500 personnes en un an. A cette période, MSF a pu faire sortir une trentaine de personnes qui étaient suivies médicalement par nos équipes en Libye, dont douze ont été accueillies dans un projet de prise en charge de victimes de torture que nous avons à Palerme, en Sicile. Nous leur avons offert un soutien médical, psychologique, social et juridique, incluant une aide au dépôt de leur demande d’asile. Parmi les personnes qui ont fait le trajet se trouvaient notamment des femmes victimes de violences sexuelles et de trafic d’êtres humains, souvent avec des jeunes enfants, des personnes LGBTQIA+ et des personnes avec des problèmes médicaux qui ne pouvaient être traités en Libye ou dans leur pays d’origine. Certaines fuyaient des pays en guerre. Des personnes en grand danger en Libye donc mais qui, surtout pour celles n’appartenant pas à l’une des neuf nationalités enregistrables par le HCR, avaient peu de chances de pouvoir quitter légalement le pays.

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En 2023, ce corridor humanitaire a été renouvelé et prévoit la sortie de 1 500 personnes en trois ans. Une partie sera accueillie par le gouvernement italien et une autre par des associations italiennes. En partenariat avec l’une d’elles, MSF espère parvenir à faire sortir de Libye 300 patients particulièrement vulnérables. En 2024, 19 patients supplémentaires ont d’ores et déjà pu être évacués vers l’Italie.

Dans le cadre de ce corridor, nous jouons un rôle crucial car nous sommes l’une des rares organisations internationales présente dans le pays et que nous pouvons donc aider à identifier des personnes particulièrement vulnérables sur place. Mais surtout, nous avons une connaissance de ces patients rencontrés en Libye qui nous permet de continuer à les prendre en charge au mieux à l’arrivée dans les pays tiers.

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