Rencontrez Ismail, qui a estimé que quitter l'Érythrée était sa seule solution pour éviter la conscription forcée. Il a entrepris un voyage dangereux et épuisant depuis l'Érythrée jusqu'en Belgique, à la recherche de sécurité et d'une vie meilleure en Europe.
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De l’adversité à l’espoir : 9 ans de voyage éprouvant d’un survivant vers l’Europe

Le jeudi 29 août 2024

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Lorsqu’Ismail, membre actuel de l’équipe MSF, a dû quitter l’Érythrée, son pays d’origine, il a dû entreprendre un voyage périlleux pour se mettre en sécurité. Dans les mois qui ont suivi, il a dû faire face à la détention, à la maladie, à la violence et aux enlèvements, et à la mort de nombreuses personnes dont il a croisé le chemin. Aujourd’hui, il travaille pour MSF, utilisant ses huit langues pour aider d’autres personnes ayant vécu des expériences similaires à accéder aux services de santé dont elles ont désespérément besoin.

En 2015, j’étudiais l’ingénierie à l’université lorsqu’un membre de ma famille est décédé. J’ai fait une pause dans mes études, mais je n’avais plus de capacité de concentration et la situation en Érythrée s’est aggravée.

En Érythrée, si vous n’êtes pas étudiant ou fonctionnaire, vous serez forcé de vous enrôler dans l’armée, sans possibilité de partir. La situation dans le pays a été documentée par l’ONU et d’autres organisations.

Je n’avais pas d’autre choix que de partir. Demander l’asile au Soudan voisin n’était pas une bonne option car il y a environ deux millions de réfugiés érythréens là-bas, dont beaucoup dans des camps de réfugiés, qui souffraient et souffrent encore. Je n’avais qu’une seule option : me rendre en Libye.

Il n’existe aucune voie légale pour une personne dans ma situation pour aller du Soudan vers la Libye. Près de la frontière, j’ai été détenu pendant un mois par des passeurs jusqu’à ce que je puisse payer. Les conditions étaient barbares. Nous étions tellement nombreux, entassés dans une pièce sans fenêtre, que nous dormions sur le côté, comme des sardines dans une boîte. Ils nous nourrissaient très peu afin faire payer les gens.

Battus et malades

Je suis tombé malade. J’avais de fortes migraines. Je ne pouvais pas manger. Les gens m’ont dit que c’était le paludisme. On m’a dit qu’il n’y avait aucune possibilité de voir un médecin. Quand nous avons finalement été conduits vers Tripoli, j’étais trop faible pour me tenir debout, et un garde m’a frappé. Comme je ne pouvais pas remonter dans le camion, il a menacé de me tirer dessus. J'ai dit : « Je suis mort de toute façon, vas-y. » J'ai vraiment cru que j'allais mourir. Le garde a été surpris et heureusement, les gens m'ont tiré à l'intérieur du camion.

Après le voyage, nous avons été retenus pendant deux semaines jusqu’à ce que nous payions à nouveau pour le voyage vers l’Italie. La dernière étape du voyage consistait en un trajet de 12 heures à travers le désert, cachés dans un camion-citerne vide. C’était pour ne pas être kidnappés, ce qui est un risque constant en Libye. Nous n’avions pas vraiment le choix. Nous étions 50 à l’intérieur : hommes, femmes et enfants. Il faisait facilement 45°. Les gens vomissaient et s’évanouissaient, ils se brûlaient la peau à chaque fois qu’ils touchaient les parois métalliques brûlantes du réservoir.

Kidnappés

A Tripoli, nous avons attendu deux semaines que les conditions en mer soient propices. Nous avons finalement mis les voiles au milieu de la nuit.

J’avais entendu des histoires de bateaux chavirés, de gens qui se noyaient. J’avais programmé mon cerveau pour être prêt. Le pire qui pouvait arriver était que je meure. Et à chaque étape de mon voyage, mourir semblait être une meilleure option que de rester où j’étais, ou faire demi-tour.

Un autre bateau s’est approché. Les hommes armés à bord faisaient partie d’une bande de kidnappeurs. Ils nous ont menacés et nous ont ramenés en Libye. Ils ont dit que nous devions payer 1 500 dollars pour être libérés. À ce moment-là, j’étais prêt à mourir avant de demander à nouveau de l’aide à ma famille – c’était uniquement grâce à eux que j’étais arrivé jusqu’ici. Nous étions 350 dans le centre, environ 200 d’entre eux ont payé quelque chose. Ceux qui ne pouvaient pas le faire ont été affamés, torturés, battus ou abattus.

Quitter la Libye

Puis, de manière inattendue, nous avons été libérés. À Tripoli, notre premier passeur nous a permis de monter à nouveau sur le bateau. Ce fut un soulagement incroyable.

Si j’avais dû rester à Tripoli, je ne sais pas si j’aurais survécu. Le gouvernement de l’époque n’était presque pas fonctionnel, il n’y avait aucune sécurité dans les rues. J’ai rencontré des gens qui se sont échappés de l’endroit où nous étions détenus, pour être à nouveau kidnappés le même jour et torturés jusqu’à ce qu’ils puissent payer. Je n’avais nulle part où aller et personne en qui e pouvais avoir confiance.

650 personnes étaient entassées dans le bateau. J’étais dans la soute : l’endroit le plus sombre. Il faisait noir, il n’y avait pas de place, les gens commençaient à s’évanouir. Après 11 heures, nous avons utilisé le téléphone satellite pour appeler les secours. Je ne savais pas ce qui allait se passer, mais nous avons finalement vu un bateau s’approcher de nous. C’était MSF.

Les femmes enceintes et les enfants ont été transférés en premier, puis tous les autres. On nous a donné de la nourriture, de l’eau et des couvertures. C’est difficile d’expliquer ce que j’ai ressenti, à quel point j’ai été soulagé.

J’avais vu beaucoup de gens mourir au cours de mon voyage, à cause de la chaleur, du manque de nourriture, du manque d’accès aux soins médicaux, et de la torture pour ceux qui ne pouvaient pas payer. Tout le monde n’a pas survécu. Tout le voyage était une question de survie du plus fort.

Quand nous sommes montés à bord du bateau MSF, il y avait des médecins et des infirmières, nous avons reçu des vêtements secs, des médicaments et de l’aide. Je me sentais en sécurité. C’était le 2 septembre 2015.

Pas prêts à s’arrêter

Nous avons accosté à Crotone, dans le sud de l’Italie. Le centre de réfugiés était entouré de gardes et de barbelés de 2,5 m de haut. Tout le monde avait peur. Nous n’avions absolument aucune information sur les règles, la loi ou ce qui nous arriverait.

Plus tard, nous avons été emmenés en bus dans un nouveau camp à Bologne. Ils nous ont demandé si nous voulions rester en Italie et 99 % ont dit non. Beaucoup d’entre nous connaissaient des personnes qui étaient restées en Italie et qui souffraient. Elles n’avaient aucun soutien, elles avaient été chassées dans la rue, elles ne parvenaient pas à trouver un emploi même si elles avaient le droit de travailler. Nous portions tous les traumatismes de nos voyages et des situations dont nous nous étions sortis, la pression de l’argent que nous avions dû emprunter et le poids de nos familles restées au pays qui avaient besoin de notre aide. Après avoir parcouru 99 % du chemin vers nos destinations, presque personne n’était prêt à s’arrêter.

La gentillesse des inconnus

Puis, par hasard, j’ai rencontré Vittoria, Rosa et Yakob, une famille qui aidait les réfugiés. Je n’oublierai jamais leur gentillesse. Grâce à eux, j’ai pu contacter ma famille et me reposer quelques jours.

Puis, je suis parti en Allemagne. Nous pouvions aller et venir depuis le centre de réfugiés de Munich, mais le comportement de la police et des agents de sécurité, et le racisme que j’ai entendu, m’ont fait sentir que je devais partir.

Mon oncle vit en Allemagne et il m’a aidé à acheter un billet pour la Belgique, où vivait ma tante. C’était la première fois que je le voyais en vrai : il avait quitté l’Érythrée dans les années 70 et n’avait pas été autorisé à revenir. Je ne peux pas expliquer ce que j’ai ressenti à ce moment-là.

Chez lui, j’ai rencontré mes cousins. Nous avons discuté toute la nuit et j’ai contacté ma femme en Érythrée. Le lendemain, je suis parti en Belgique et j’ai rencontré ma tante.

Un nouveau combat

En Belgique, j’ai obtenu l’asile. J’ai commencé à étudier le néerlandais aussi intensément que possible. J’espérais pouvoir poursuivre mes études d’ingénieur à l’université, mais mes compétences en néerlandais n’étaient pas encore suffisantes. Alors, sur les conseils de l’Office de l’emploi, j’ai commencé une formation pour devenir électricien. J’ai également commencé à travailler sur l’obtention d’un visa de regroupement familial pour ma femme.

Il a fallu sept ans et de multiples demandes, refus et recours pour que ma femme obtienne son visa. Pendant ce temps, elle a dû entreprendre un voyage très dangereux jusqu’en Éthiopie, puis vivre seule, sa santé s’est dégradée au cours des années. J’étais désespéré et j’ai travaillé toutes les heures que j’ai pu pour payer les avocats qui travaillaient sur notre dossier.

Finalement, en octobre 2023, le visa a été accordé et le même mois, nous avons fêté son anniversaire ensemble en Belgique. Ce fut un beau moment.

Aider les autres

Je vis en Belgique depuis huit ans. Je parle aujourd’hui huit langues, que j’utilise dans mon travail d’agent de santé communautaire chez MSF pour aider les réfugiés et les migrants à accéder aux soins de santé.

La plupart des personnes que j’aide sont des Érythréens comme moi. Chaque jour, je vois des personnes souffrant de stress post-traumatique en raison de ce qu’elles ont vécu au cours de leur voyage. Mais souvent, elles expliquent qu’elles ont dû prendre ces risques, car la situation qu’elles laissaient derrière elles était pire.

Elles ont parfois réussi à s’en sortir jusqu’à leur arrivée en Europe, où des politiques néfastes les ont laissés isolées et sans espoir, et où leur santé mentale s’est effondrée. Chaque année, dans notre communauté, nous avons des suicides.

Il est désormais beaucoup plus difficile d’accéder aux services dont je bénéficiais en 2015. Le projet MSF auquel je participe travaille principalement avec les personnes qui sont privées de ce soutien. Les gens sont obligés de vivre dans des squats, des camps et des abris, et l’équipe de proximité dont je fais partie vise à les mettre en contact avec des services de santé mentale et de soins médicaux, de promotion de la santé et de prévention et de contrôle des infections. Nous rencontrons plus particulièrement les personnes les plus marginalisées et les plus exclues de l’accès aux soins, à l’hébergement et à la protection.

C’est un sentiment particulier de faire ce travail avec des nouveaux arrivants qui ont traversé tant d’épreuves, car j’étais à leur place bien des années auparavant.

Portrait d'Ismail

Un cœur humanitaire

Il existe de nombreux stéréotypes sur les migrants. Mais je connais des milliers de personnes comme moi : j’ai dû quitter une situation très difficile et depuis que je suis ici, je travaille la plupart du temps sept jours sur sept. Aujourd’hui encore, je travaille comme coursier pour livrer des commandes de nourriture en plus de mon travail pour MSF, afin de pouvoir continuer à subvenir aux besoins de ma famille. Les réfugiés et les migrants contribuent à l’économie et au développement du pays dans lequel ils vivent. Nous voulons simplement construire un avenir.

"Parfois, je repense à un moment sur le bateau MSF, à l’époque où nous avons été secourus. J’ai parlé au médiateur culturel de l’époque, un Irakien. Je lui ai demandé quelles qualifications je devrais avoir pour faire un jour un travail comme le sien, aider les gens quand ils en ont le plus besoin. Il m’a dit qu’aucun diplôme spécial n’était requis, juste de solides compétences en communication et un cœur humanitaire. Toutes ces années plus tard, me voilà."