Une rivière pleine de déchets dans le bidonville de Vahibé suite au cyclone Chido.
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InternationalFrancePresse

Cyclone à Mayotte : “La réponse de l’Etat est bien plus sécuritaire que sanitaire”

Le lundi 20 janvier 2025

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Alors qu’une nouvelle tempête vient de frapper Mayotte un mois après le cyclone Chido qui a dévasté l’archipel, Matthieu Chantrelle, Responsable adjoint de programmes pour MSF, fait le point sur le déroulé des secours et déplore l’abandon des habitants des bidonvilles, laissés sans eau, nourriture, ni soins depuis cette date. 

Quelle est la situation actuellement à Mayotte et quels sont les besoins ? 

Alors que le nord de l’île de Grande-Terre avait été particulièrement touché par le cyclone Chido, c’est cette fois-ci le sud de l’île qui a connu les pluies et les inondations les plus violentes. Nos équipes, qui sont présentes dans le nord depuis un mois pour développer des activités médicales et d’accès à l’eau et à l’assainissement, reviennent d’ailleurs d’évaluer les besoins dans le sud.  

De façon générale, l’ensemble des habitants de l’archipel a été gravement touché par cette catastrophe.  Nous accordons toutefois une attention particulière aux habitants des bidonvilles en raison de la grande précarité de leur situation d’origine, mais aussi car ils ne sont pas du tout considérés dans l’aide que l’Etat français apporte au compte-goutte dans le département. 

Environ 100 000 personnes vivraient dans les bidonvilles ; des zones où les habitations ont été complètement détruites, laissant des étendues de tôles et de débris non évacués. 

Cela crée des risques de blessures, obstruent les cours d’eau, augmentent les risques d’inondation et les maladies liées à l’eau et l’assainissement. Par ailleurs, alors qu’un tiers de la population de Mayotte n’avait déjà pas accès à l’eau potable avant le passage du cyclone, la situation s’est encore détériorée dans les bidonvilles suite à la rupture de tuyaux et de cuves des réseaux d’eau formels et informels. Enfin, il y a un manque criant d’accès à la nourriture, un besoin que les habitants nous partagent sans cesse.  

Les personnes résidant dans les bidonvilles sont fatiguées et choquées. D’après Santé Publique France, à fin décembre 2024, la moitié des foyers abritaient des personnes souffrant de troubles psychologiques liés au passage du cyclone. Pourtant, sous prétexte que ces lieux abritent majoritairement des personnes étrangères, aucune aide ne leur parvient.  

Un ruisseau du bidonville de Kaweni Touloulouni a été bloqué par le cyclone Chido.

Quel est justement l’accès à la nourriture des personnes vivant dans les bidonvilles ? 

Depuis un mois, nos équipes se rendent quotidiennement dans plusieurs bidonvilles de l’île de Grande Terre. Dès le début, l’accès à la nourriture a été le principal besoin exprimé par les habitants. Les cultures vivrières ont été détruites et rien ne repoussera avant plusieurs mois, du bétail a été perdu, tout comme les stocks de nourriture. Sans matelas financier et avec une forte diminution, voire un arrêt complet de leurs sources de revenus, les habitants des bidonvilles sont particulièrement touchés par le manque de nourriture. Certains nous racontent qu’ils sont passés de trois à un repas par jour. Alors que l’alimentation habituelle se composait plutôt de riz et de poisson, ils ont de plus en plus recours à de la simple bouillie de blé ou à des brèdes, qui sont des plantes comestibles.  

Le 24 décembre, le préfet de Mayotte avait pourtant déclaré : « Une vie est une vie. L’accès à l’eau et à la nourriture n’est pas conditionné et doit parvenir à toutes les personnes qui vivent à Mayotte ». En réalité, quasiment aucune distribution alimentaire n’a eu lieu dans les bidonvilles. Lorsque cela a été le cas, comme à Vahibé où MSF effectue des cliniques mobiles, les quantités étaient totalement minimes et inadaptées : une bouteille d’eau d’1.5 litre et un paquet de pâtes de 500g par famille. Ces distributions sont par ailleurs organisées de façon disparate, parfois sur la base de l’enregistrement des personnes, ce qui décourage celles qui sont en situation irrégulière et les habitants des bidonvilles ne sont pas prévenues en amont.  

Depuis une semaine, nos équipes ont donc commencé un dépistage de la malnutrition chez tous les patients qu’elles rencontrent afin d’avoir une meilleure compréhension de la situation.  

Il est indécent, alors-même que l’on est face au pire cyclone qu’ait connu l’archipel en soixante ans, que les autorités excluent toute une partie des habitants de la réponse d’urgence et qu’aucune aide ne soit apportée dans les bidonvilles à part celle des associations comme MSF.  

Un point de captage d'eau dans le bidonville de Kaweni Touloulouni endommagé par le cyclone Chido. A proximité, un point d'eau reste utilisable mais est endommagé ; les gens font leur lessive et font la vaisselle.

Depuis le passage du cyclone, les étrangers en situation irrégulière ont été beaucoup pointés du doigt. Comment cela se traduit-il sur place ?  

En effet, l’instrumentalisation des personnes étrangères vivant dans l’archipel a été immédiate. 

Au lieu d’être reconnues et aidées, comme n’importe quelles victimes de catastrophe naturelle, elles ont été stigmatisées et exclues. Les annonces se sont multipliées au plus haut niveau de l’Etat pour interdire la reconstruction des bidonvilles, remettre en question le droit du sol, renforcer la surveillance, les mesures d’arrestations et le renvoi des personnes. En parallèle, ces personnes – qui vivaient déjà dans des conditions très précaires, n’ont pas accès à l’aide, et leurs déplacements – pour aller se soigner, acheter des médicaments, trouver de la nourriture, sont compliqués voire complètement empêchés de peur des arrestations. Alors même que l’archipel fonctionne au ralenti, les contrôles policiers, les arrestations et les expulsions rapides sans possibilité de recours continuent. 

En la matière, la réponse de l’Etat à la catastrophe est bien plus sécuritaire que sanitaire. Aucun répit n’est accordé. 

Nous observons les conséquences de ce manque de prise en charge dans les bidonvilles dans lesquels nous intervenons. Environ 80% des personnes reçues en consultation affirment ne pas avoir d’autre contact médical possible que MSF, car les centres de santé sont trop éloignés des bidonvilles, ou parce qu’ils n’y sont pas pris en charge pour des motifs non urgents ; l’Aide Médicale d’Etat ne s’appliquant pas dans l’archipel. Dans d’autres cas, c’est aussi parce que les soins y sont payants et que les personnes n’ont pas les ressources suffisantes. En un mois, nous avons réalisé plus de 3 200 consultations dont plus de la moitié avec des pathologies liées au passage du cyclone – souvent des plaies ou des maladies liées ou aggravées par le manque d’eau comme la gastroentérite ou les maladies de la peau.  

Nous appelons donc les autorités françaises à répondre à cet angle mort de la réponse et à favoriser les activités d’aide au plus près de l’ensemble des populations victimes de la catastrophe dans l’archipel.  

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