
Combien de lignes rouges seront encore franchies en Méditerranée ?
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Le 24 août 2025, les avertissements formulés depuis des années par les ONG de recherche et de sauvetage se sont violemment matérialisés : un patrouilleur des garde-côtes libyens a ouvert le feu sans sommation sur l’Ocean Viking, le navire de sauvetage humanitaire opéré par SOS MEDITERRANEE en partenariat avec la FICR (Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge). À bord se trouvaient 87 personnes rescapées, et 34 membres d’équipage.
Les assaillants se trouvaient à bord d'un patrouilleur identifié comme le HOUN PB 664, un navire de classe Corrubia offert par l'Italie dans le cadre d'un programme de gestion des migrations financé par l'Union Européenne.
Cet incident n'est pas un cas isolé, mais le point culminant de violences qui durent depuis des années, encouragées – et ignorées – par les gouvernements européens.
Pour la seule année 2023, SOS MEDITERRANEE a documenté trois incidents de sécurité distincts impliquant des patrouilleurs des garde-côtes libyens livrés par l'Italie. En 2024, les ONG de recherche et de sauvetage ont recensé huit incidents au cours desquels des bateaux des garde-côtes libyens ont menacé ou tiré sur leurs navires. À ce jour, six organisations de sauvetage différentes ont été prises pour cible, notamment le navire de sauvetage Sea-Watch 5, attaqué le 26 septembre dernier par le navire des garde-côtes libyens Ubari. Les sept bateaux des garde-côtes libyens impliqués dans ces violents incidents ont été offerts par l'Italie au nom de l'Union européenne.


Complicité et escalade
Cette attaque constitue le franchissement d’une ligne rouge, attirant notre attention non seulement sur la brutalité aveugle des garde-côtes libyens, mais aussi sur la responsabilité de l'Union européenne et de l'Italie, qui ont systématiquement équipé, entraîné et armé ces forces au nom du contrôle migratoire.
Depuis le protocole d'accord italo-libyen de 2017 visant à « sécuriser les frontières nationales, mettre fin à l'immigration clandestine et la traite des êtres humains, et renforcer la coopération au développement », au moins 36 navires ont été remis à ce qui constitue en réalité une coalition informelle de milices, connues pour leurs actes de violence envers les personnes migrantes et leur complicité, en mer et sur terre.
Le rapport de la mission d'établissement des faits de l'ONU sur la Libye en 2023 a révélé que des crimes contre l'humanité avaient été commis « en lien avec des interceptions maritimes, des retraits et des retours », tandis que les données officielles montrent une forte augmentation de ces retours forcés vers la Libye : 50 % des personnes tentant de fuir ont été interceptées par les garde-côtes libyens et renvoyées de force en 2019, contre 12 % en 2017. En 2024, une personne sur trois tentant de fuir la Libye a été interceptée. La détention, la torture, l'extorsion et les violences sexuelles sont désormais monnaie courante en Libye, créant une économie d'exploitation lucrative, alimentée par les choix politiques européens.
Il est devenu cruellement évident que la stratégie de l'Union Européenne, consistant à externaliser la gestion des frontières en Libye, non seulement ne protège pas les vies humaines, mais favorise activement l'action d'acteurs armés violant les droits humains, le droit international humanitaire et le droit maritime.
Les navires des garde-côtes libyens livrés par l'Italie au nom de l'Union Européenne – notamment les patrouilleurs de classe Corrubia – sont des navires de guerre, conçus pour la défense côtière et capables d'attaques rapides. Bien que livrés sans affûts d'armes, le Groupe d'experts du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Libye a constaté que ces navires sont couramment et aisément armés après livraison. Construits pour un usage militaire, ces navires sont qualifiés de matériel de guerre.
En 2022, le Groupe d'experts a estimé que la don par l’Italie de deux Corrubia en 2018 constituait une violation de l'embargo sur les armes imposé par l'ONU. En juillet 2024, neuf ONG ont écrit au Conseil de sécurité pour avertir que les livraisons de 2023 pourraient également constituer une violation de l'embargo. Cependant, le rapport controversé du groupe d’experts de l’ONU de décembre 2024 a infirmé les conclusions précédentes, déclarant que les Corrubias, s’ils étaient démilitarisés, représentaient du « matériel militaire non létal » et seraient donc exclus de l’embargo – s’alignant ainsi sur la position de l’Italie et de l’Union Européenne.
Un système qui alimente l'exploitation
De telles attaques menacent non seulement les opérations de sauvetage en mer, mais contribuent également à piéger les personnes exilées dans un cycle inexorable d'abus.
Sous l'impulsion de l'organisation autonome « Réfugiés en Libye », un large éventail d'acteurs de la société civile se sont réunis cette année pour exiger la suspension du protocole d'accord Italie-Libye, qui entretient ce système pernicieux. Nous nous sommes joints à leur appel.
Les responsables politiques de l'Union européenne et de l'Italie doivent être tenus responsables des violences perpétrées par leurs partenaires en mer. Il faut – au minimum –suspendre immédiatement tout soutien européen aux garde-côtes libyens, et mettre un terme définitif au ciblage et au harcèlement des travailleurs humanitaires, comme l'ont demandé 42 organisations de la société civile dans une lettre ouverte adressée à la Commission européenne.
En l'absence de mesures concrètes – notamment la réforme ou l'abrogation de l'accord entre l'Italie et la Libye avant son renouvellement automatique en février 2026 – l'Union Européenne devrait de toute urgence réévaluer, suspendre ou mettre fin à toute coopération migratoire avec les régimes qui ne respectent pas les droits humains fondamentaux.
Signataires
SOS MEDITERRANEE
SOS Humanity
Sea-Watch
Médecins Sans Frontières
MISSION LIFELINE INTERNATIONAL
REFUGEES IN LIBYA
REFUGEES IN TUNISIA
r42 Sail And Rescue
EMERGENCY
Seebrücke
Sea-Eye
Emergency
Actionaid Italia
ASGI Association for Juridical Studies on Immigration
Oxfam Italia