Colombie : Des soins de santé pour les communautés isolées dans la région du Pacifique touchée par le conflit

Yessica Mosquera a accouché dans une ambulance au bord de la route défoncée qui relie Istmina à Quibdó, dans le département du Chocó, dans la région Pacifique de la Colombie. Cette région touchée par le conflit abrite de nombreuses communautés indigènes et afro-descendantes, qui ont souvent des difficultés à accéder aux soins de santé, en raison du conflit et des restrictions de déplacement. Des équipes de l'organisation médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF) travaillent dans la ville d'Alto Baudó, dans le département de Chocó, depuis mars 2022.

Vingt heures plus tôt, Yessica, alarmée, avait frappé à la porte de sa voisine, María Daicy Mosquera, à Bocas de Apartadó, une ville afro-descendante située sur la rivière Baudó. Bien que la date d'accouchement soit encore dans deux mois, Yessica avait perdu les eaux et souffrait de violentes douleurs abdominales. María Daicy, une agente de santé communautaire formée par MSF, l'a encouragée à se rendre au centre de santé de Pie de Pató, une heure en amont du fleuve.

À Pie de Pató, on a dit à Yessica qu'elle avait besoin de soins hospitaliers. Elle a donc voyagé deux heures de plus par voie fluviale jusqu'à Puerto Meluk, puis quatre heures en ambulance jusqu'à Quibdó, la capitale du département de Chocó.

Le bébé de Yessica est né avec des signes vitaux extrêmement faibles, mais il a été réanimé par une infirmière. Dix-huit mois plus tard, il est en bonne santé. 

L'enfant serait mort si nous n'avions pas orienté Yessica."

déclare María Daisy, assise sur une chaise rouge à la porte de sa maison en bois.

 

Tout le monde dans la communauté de Bocas de Apartadó connaît María Daisy pour son travail. Elle est l'une des 42 agents de santé communautaire afro-descendants et indigènes formés par MSF pour soutenir 133 communautés où les gens luttent pour accéder aux soins de santé.

Pour consulter un médecin dans la sous-région de Baudó, il faut une certaine chance. Il est préférable d'être malade pendant la journée, car la nuit, les gens évitent de circuler sur le fleuve - principal moyen de déplacement dans une région où les routes sont rares - sur ordre supposé des groupes armés (qui nient toutefois avoir donné de tels ordres). Ces restrictions de mouvement sont monnaie courante ; selon les chiffres du bureau du médiateur colombien, en 2023, 124 événements de « confinement forcé » - au cours desquels les gens ont reçu l'ordre de ne pas quitter leur village - ont eu lieu dans le département de Chocó, affectant plus de 40 000 personnes.

De nombreux habitants du Chocó ont également été victimes de déplacements massifs, c'est-à-dire qu'un grand nombre de personnes ont été forcées de quitter leur domicile pour trouver refuge ailleurs. En outre, la population locale vit sous la menace constante de disparitions forcées, de mines antipersonnel et de munitions non explosées, tandis que les professionnels de la santé ont été la cible d'actes de violence.

Pour consulter un médecin, il est également utile de tomber malade lorsqu'il pleut, afin que la rivière contienne suffisamment d'eau pour pouvoir parcourir les trois à quinze heures nécessaires pour atteindre la ville importante la plus proche. Il est également utile de posséder un bateau à moteur - ou un ami prêt à prêter le sien - car peu de villageois disposent d'un bateau communautaire et il n'existe pas d'ambulance fluviale pour les quelque 100 000 personnes qui vivent dans les régions de l'Alto, du Medio et du Bajo Baudó.

Les multiples défis de la vie quotidienne dans cette région ont influencé la forme du projet de MSF, qui apporte des soins de santé aux personnes vivant dans les communautés les plus reculées et les plus mal desservies et se concentre sur les groupes ethniques qui ont le plus de mal à obtenir des soins médicaux.

Le modèle de MSF comporte trois éléments essentiels. Le premier est la connaissance qu'a l'équipe MSF des perceptions et des coutumes liées à la santé des communautés afro-descendantes et indigènes de la région. Grâce à ces connaissances, MSF a formé des membres de la communauté à la prévention et au dépistage précoce des maladies courantes, lorsqu'elles sont encore faciles à traiter.

La plupart des consultations médicales que nous assurons sont liées au paludisme, à la diarrhée, aux syndromes respiratoires et aux affections cutanées. Toutes ces maladies sont évitables ou peuvent être résolues par des soins médicaux de base ».

 explique le Dr Johana Vinasco, conseillère médicale de MSF

 

MSF forme des promoteurs de santé communautaires à donner des conférences sur des sujets tels que la préparation et la conservation hygiénique des aliments, l'utilisation des moustiquaires et l'utilisation des réservoirs de collecte d'eau installés par MSF pour fournir aux communautés de l'eau potable propre et sûre. MSF les forme également au traitement de base des maladies courantes et à l'identification des signes d'alerte afin qu'ils puissent référer les patients aux centres de santé pour des soins plus spécialisés.

La deuxième composante est un réseau de référence qui finance le transport des patients vers les centres de santé et paie la nourriture pour les jours où ils doivent s'éloigner de leur communauté.

Enfin, MSF a contribué à renforcer les services des structures médicales vers lesquelles les patients sont orientés.

Au cours des deux dernières années, le projet a connu un certain nombre de succès notables, notamment la réduction des complications médicales graves chez les jeunes enfants et la baisse du taux de mortalité chez les moins de deux ans.

Notre modèle décentralisé a permis de prévenir les complications graves chez les enfants de moins de cinq ans, qui constituent le plus grand nombre de cas référés, et de réduire les taux de mortalité chez les enfants de moins de deux ans dus à des maladies évitables ou traitables, telles que le paludisme »

explique M. Vinasco

 

De mars 2022 à février 2024, les agents de santé communautaire formés par MSF ont assuré 9 985 consultations médicales et prodigué des premiers soins psychologiques à 72 personnes. Ils ont également organisé 2 097 orientations vers des centres de santé, dont 1 388 en urgence. Par ailleurs, les promoteurs de santé formés par MSF ont donné 5 172 séances de sensibilisation à la prévention des problèmes de santé, touchant 46 915 participants.

Malgré ces succès, les difficultés de la vie quotidienne dans la région persistent. Les restrictions de mouvement et les mines terrestres continuent d'empêcher les gens d'accéder aux centres de santé et de trouver de quoi se nourrir. De nombreux habitants sont dans l'impossibilité d'accéder à leurs potagers et ne peuvent ni pêcher ni chasser, ce qui entraîne un risque de malnutrition, principalement chez les enfants.

Le système de santé existant présente également de graves lacunes. 

Pour les problèmes médicaux qui surviennent sans avertissement - tels que les traumatismes, les accidents et les complications lors de l'accouchement - il est nécessaire d'effectuer des transferts urgents, mais nous avons affaire à un système à la fois instable et inefficace »

explique M. Vinasco

 

L'Organisation mondiale de la santé recommande un minimum de 23 médecins pour 10 000 habitants. La moyenne colombienne est de 24, mais Alto Baudó compte moins de deux médecins pour 10 000 habitants.

Pour les habitants des zones les plus reculées, il faut parfois une journée entière pour atteindre un médecin. Si un niveau de soins plus élevé est nécessaire, les patients doivent se rendre à l'hôpital San Francisco de Asís à Quibdó, qui ne peut garantir les soins car il fait l'objet d'une enquête et a été placé sous administration depuis quatre ans. De plus, certains patients indigènes rapportent avoir été victimes de discrimination de la part du personnel de santé.

Nous demandons une amélioration de l'accès aux soins de santé dans la sous-région de Baudó et le développement de modèles de soins décentralisés axés sur l'ethnicité »

déclare M. Mattos

 

Vinasco est du même avis et ajoute : 

Le modèle communautaire est basé sur les conditions de vie réelles des patients. Il les aide à retrouver leur dignité parce qu'il respecte leurs pratiques de vie et renforce leur accès aux droits fondamentaux, tels que les soins de santé. »