Oumou Kassambara, infirmière MSF, lors d'une visite à domicile d'une patiente atteinte d'un cancer du sein et suivie par le projet oncologique de MSF à Bamako.
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Cancers au Mali : « mon espoir, c’est de pouvoir soigner les femmes à temps »

Le vendredi 4 février 2022

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Depuis fin 2018, nos équipes mènent en partenariat avec les autorités sanitaires maliennes un projet d’oncologie pour améliorer la détection et la prise en charge des cancers du sein et de l’utérus, qui représentent presque la majorité des cancers tous sexes confondus au Mali.

Une course contre la montre

En tant que médecin chef du centre de santé de référence de la commune VI, l’une des plus peuplées de la capitale, Dr Mama Sy Konaté et son équipe de sage-femmes mènent une course contre la montre contre les cancers qu’elle a vu affecté de plus en plus de patientes au cours des dernières années. Au Mali comme ailleurs, les chances de rémission augmentent lorsque la maladie est dépistée à un stade précoce. « Mon espoir, explique Dr Mama Sy Konaté, c’est de découvrir les femmes qui ont un cancer et de pouvoir les soigner à temps pour qu’elles s’en sortent. C’est l’espoir d’éviter les morts, de donner la chance à toutes les femmes qui le veulent d’avoir des enfants ».

 

Dr Mama Sy Konaké (à gauche), médecin-chef de la commune VI à Bamako, avec d'autres collègues médecins faisant de la promotion de la santé sur la prévention du cancer du sein et du col de l'utérus.

La majorité des Maliennes atteintes de cancer ne sont à l’heure actuelle diagnostiquées qu’à un stade avancé de la maladie. C’était le cas de Mariam Dicko, originaire de Mopti et décédée en début d’année 2022 d’un cancer du sein.

Lorsque Mariam découvre qu’elle est atteinte de cancer il y a un peu plus de trois ans, la tumeur a déjà beaucoup progressé. Après une première opération chirurgicale à Mopti, elle se résout à venir à Bamako avec un peu d’argent récolté auprès de ses proches, rapidement épuisé par les consultations spécialisées, les examens et une deuxième opération. Incapable de continuer à payer ses soins, puis abandonnée par son mari, Mariam se retrouve isolée. Elle nous a décrit avoir eu l’impression d’être « devenue un problème de trop, une surcharge que tous cherchent à éviter ». Elle décide alors de « taper sur toutes les portes pour espérer atteindre des personnes de bonne volonté », notamment en passant des annonces à la radio. C’est ainsi qu’elle a été mise en contact avec MSF et devint en 2021 l’une des patientes suivies dans notre projet.

Après deux opérations chirurgicales, Mariam n'avait plus les moyens financiers de payer ses soins médicaux. Elle a rencontré MSF et est devenue l'une de nos patientes en 2021. Une patiente atteinte d'un cancer du sein reçoit le médicament prescrit de la part d'une infirmière MSF à l'hôpital universitaire du Point G.
Consultation médicale entre le Dr Abdramane Alou Kone, oncologue médical, et une patiente atteinte d'un cancer du sein à l'hôpital universitaire Point G. Une patiente atteinte d'un cancer du sein pendant sa séance de chimiothérapie avec l'infirmière MSF Zeinebou Tapa Danyoko à l'hôpital universitaire du Point G.

La détection précoce est un maillon essentiel pour inverser la tendance et éviter les trop nombreuses morts liées aux cancers du sein et du col de l’utérus. Nene Sow, sage-femme, s’y consacre depuis des années à l’hôpital Gabriel Touré.

« Sensibiliser les femmes afin qu’elles sachent ce qu’est le cancer et les encourager à venir massivement se faire dépister est une partie importante de mon travail. Nous n’avons pas attendu Octobre rose pour le faire, rappelle Nene Sow, mais la campagne d’octobre dernier nous a permis d’atteindre beaucoup plus de femmes. Il y a quelques années, je voyais des patientes sous traitement qui n’arrivaient pas à aller au bout de leurs parcours de soins car elles avaient du mal à payer les frais d’imagerie, d’examens, les frais d’hospitalisation, d’opération, certains médicaments. Lorsqu’on leur demandait de faire des analyses, certaines femmes fuyaient l’hôpital et n’y revenaient plus à cause du coût exorbitant que cela représentait. Aujourd’hui c’est en train de changer avec le soutien de MSF ».

Nene Sow, sage-femme, s'entretient avec sa patiente après l'avoir soumise à un dépistage du cancer du sein et du col de l'utérus à l'hôpital Gabriel Toure.Nene Sow, sage-femme, examine le col de l'utérus d'une patiente pour détecter toute anomalie lors d'une consultation à l'hôpital Gabriel Toure.
Nene Sow, sage-femme, examine le sein d'une patiente pour détecter toute anomalie lors d'une consultation à l'hôpital Gabriel Toure.

Améliorer la détection précoce des cancers passe entre autres par des communautés informées, des soignants formés, des équipements disponibles et des examens financièrement accessibles aux patients.

Dans un pays où plus de 40% de la population vit dans l’extrême pauvreté avec moins de 1,70 euro par jour pour vivre, le prix d’un scanner, qui peut coûter plus de 100 000 CFA soit environ 152 euros, s’avère exorbitant. C’est pour cela que le projet de MSF prend également en charge des frais liés aux examens pour les patientes avec une suspicion de cancer.

Un seul laboratoire, situé à l’hôpital universitaire du Point G, est en capacité d’analyser des biopsies et de diagnostiquer des cancers ; il a été rénové et équipé l’année dernière avec l’appui de MSF. Il est dirigé par le Pr Cheick Boukadary Traoré qui décrit ainsi son travail : « Mon rôle est d’examiner les prélèvements, de les analyser pour permettre un diagnostic précis lorsqu’il y a une suspicion de cancer. Après une intervention chirurgicale pour des patients atteints de cancer, nos examens permettent aussi d’évaluer le traitement, en vérifiant l’aspect des organes, tissus et cellules ».

Il tient à rappeler que cette maladie n’est « pas une fatalité. Avec les efforts conjugués du ministère de la santé et de Médecins sans frontières, nous avons les moyens de sauver certaines femmes si le cancer est pris en charge à un stade suffisamment précoce ».

« Ce n’est pas une maladie qu’il faut cacher »

Le diagnostic de cancer peut représenter un véritable effondrement pour la personne concernée. « Je pensais que j’allais mourir. Je me cachais pour pleurer afin que mes enfants ne remarquent rien » se souvient Faye Koudiata Kanté, présidente d’une association de patients, Les combattantes du cancer, et de la Ligue malienne contre le cancer.

Modibo Cissé, psychologue dans le projet de MSF, reçoit en moyenne 3 à 4 patientes par jour dans son bureau de l’hôpital universitaire du Point G, en parallèle des séances de groupe et des visites à domicile. Les médecins font régulièrement appel à lui après l’annonce du diagnostic, lorsqu’une patiente est bouleversée en salle de pansement ou durant sa séance de chimiothérapie, ou encore lorsqu’il y a des nouvelles difficiles à partager à la patiente et son entourage.

Kadiatou Kanté, présidente de l'association de patients " Les combattantes du cancer ", prononçant un discours lors de la cérémonie d'ouverture de la campagne Octobre rose.

Selon lui, « la famille de la patiente joue un rôle très important : la personne traverse une situation de vie particulière et a besoin du soutien de ses proches. Un de mes objectifs, c’est de participer à la qualité de ce soutien, à l’intégration sociale des patientes, car il reste encore des représentations négatives associées au cancer, qui serait une sorte d'envoûtement ou de sort. Il faut expliquer que c’est une maladie comme les autres, que ce n’est pas contagieux. Ce que je conseille également souvent, c’est d’accepter de s’exprimer tout au long de ce parcours, même si c’est difficile, de partager pour pouvoir être aidé ».

Témoignage de Faye Koudiata Kanté 
« J’ai été amputée d’un sein à cause du cancer. Au début, je pensais avoir été piquée par une fourmi. Quand je me suis aperçu qu’une partie de mon sein enflait, je suis allée à l’hôpital et on m’a dit qu’il s’agissait d’un cancer. C’était dur. Pendant ma consultation avec un médecin oncologue, je n’arrêtais pas de regarder la pile de dossiers sur sa table. Je lui ai demandé si tous ces dossiers concernaient des cas de cancer. Il m’a répondu que oui, et que ça n’était rien face au nombre de cas encore non détectés.
Ce jour-là je me suis promis de créer une association pour informer les femmes si je guérissais de la maladie. C’est parce que je n’étais pas bien renseignée que mon cas en est arrivé à l’ablation du sein. Je ne voulais pas que la même chose arrive à d’autres femmes, à nos filles et arrière petites filles. L’association a été créée le 4 février 2016 et depuis ce jour, nous informons sur la maladie et le dépistage. Nous n’avons pas les moyens de faire plus sinon nous aurions aussi voulu prendre en charge le traitement des malades. Nous sensibilisons à travers la télé, la radio, du porte-à-porte, dans les mariages, les baptêmes, les funérailles. Ce n’est pas une maladie qu’il faut cacher.
»

Une prise en charge globale

Un des volets du projet MSF comprend l’accompagnement des patientes tout au long de leur parcours thérapeutique, notamment pour en assurer la gratuité. Aux côtés des soignants du ministère de la santé, MSF réalise des séances de chimiothérapie et prend en charge les coûts liés aux interventions chirurgicales et à la radiothérapie. Soins palliatifs, suivi infirmier des plaies tumorales, soutien psychologique et social font partie intégrante de cet accompagnement.

Zeinebou Tapa Danyoko travaille avec MSF au service d’hémato-oncologie de l’hôpital Point G. Une quinzaine de patientes atteintes du cancer du sein ou du col de l’utérus s’y rendent chaque jour pour leur séance de chimiothérapie.

“La première fois, elles sont souvent très effrayées, elles ont peur, constate l’infirmière. Je fais de mon mieux pour fournir des explications, rassurer. J’implique le psychologue quand c’est nécessaire. Ce qui me plaît c’est d’aider des femmes comme moi, de les épauler dans ces difficultés, les soigner. Il ne faut pas que les femmes qui ont ce cancer se découragent, qu’elles abandonnent, au contraire. C’est aussi important d’en parler dans notre entourage, auprès de nos mamans, nos sœurs, nos amies, et de les encourager à être régulièrement dépistées.”

Zeinebou Tapa Danyoko, infirmière MSF, prépare les médicaments pour une séance de chimiothérapie à l'hôpital universitaire du Point G.
Zeinebou Tapa Danyoko, infirmière MSF, prépare les médicaments pour une séance de chimiothérapie à l'hôpital universitaire du Point G.

En 2021, 645 femmes ont été diagnostiquées avec un cancer du sein ou du col de l’utérus et accompagnées dans leurs examens et traitements par MSF. 1 910 séances de chimiothérapie, 119 interventions chirurgicales et 105 séances de radiothérapie ont été effectuées ou prises en charge par le projet MSF.

Selon l’agence internationale de recherche contre le cancer, qui s’appuie sur le registre national des cancers du district de Bamako et des modèles épidémiologiques pour produire des estimations à l’échelle de la population du pays, il y aurait eu au Mali environ 14 000 nouveaux cas de cancer en 2020, parmi lesquels près de 4 400 nouveaux cas de cancer du sein et du col de l’utérus. Si derrière ces chiffres, encore sous-estimés, se cachent des réalités tragiques, la mobilisation des soignants et patients contre le cancer est bien réelle et a besoin d’être soutenue pour intensifier cette lutte.

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