Belgorod : soutenir les personnes déplacées par la violence
En 1 clic, aidez-nous à diffuser cette information :
En juin, la maison familiale de Gevork à Novaya Tavolzhanka, un village situé dans la région frontalière entre la Russie et l'Ukraine, a été détruite lors de tirs d'obus et de bombardements massifs dans la région. Aujourd'hui, ce jeune homme de 31 ans vit dans l'appartement d'un ami dans la ville russe de Belgorod, à 42 km de la frontière.
Depuis octobre 2022, Belgorod a vu arriver des milliers de personnes déplacées issues de la région frontalière. Comme ils le disent, certains d’entre eux se sont retrouvées dans une situation similaire à celle de Gevork et ont vu leurs maisons partiellement ou totalement détruites. La situation a été particulièrement difficile en mai et juin de cette année, lorsque les tirs d'artillerie et les bombardements se sont intensifiés dans les districts et villages frontaliers de la région de Belgorod.
Suite à l'intensification des tirs d'obus et des bombardements, le nombre de personnes déplacées est en augmentation dans la région de Belgorod. Au total, depuis l'escalade du conflit armé international en février 2022, plus de 1,2 million de personnes déplacées par les combats sont arrivées en Russie, selon le HCR. Il est difficile de déterminer l'ampleur exacte des déplacements en raison de l'absence de données fiables ou d'une réponse humanitaire coordonnée. Les grandes villes du sud de la Russie - Belgorod, Rostov-sur-le-Don, Voronezh - sont devenues des points névralgiques pour ceux qui ont fui les combats, alors qu'ils attendent la fin des hostilités ou décident de leur prochaine destination. Nombre d'entre eux ont été profondément traumatisés par le conflit armé international, mentalement et physiquement.
Avant que nous ne fuyions, il y avait des explosions constantes, des cadavres gisaient dans les rues et il n'y avait pas de connexion mobile », raconte Nina*, originaire de la région de Kharkiv et résidant actuellement à Belgorod.
Un autre habitant de la même région, Oleg*, a dû fuir précipitamment sa maison pour sauver sa mère, blessée par des éclats de verre pendant le bombardement.
Le pire, c'est que vous ne pouvez appeler ni une ambulance, ni les services d'urgence, ni les pompiers, parce qu'il n'y a personne. Vous êtes impuissant. Je ne pensais pas à moi, d'une part je courais et je pensais à ma mère et d'autre part je pensais : si je suis blessé, je ne pourrais pas l'aider ».
À Belgorod, MSF travaille en étroite collaboration avec l'organisation locale à but non lucratif Path to the Future afin d’alléger le fardeau des personnes déplacées dans la région en fournissant une expertise médicale et des dons d'articles de première nécessité. De nombreuses personnes en quête de sécurité dans la ville ont confié à MSF que malgré l'éloignement des zones de violence intense, les échos de leur expérience traumatique ne les quittent pas. Par exemple, ils réagissent fortement à des sons auxquels ils n'auraient pas prêté attention auparavant.
Lorsque j'entends des bruits, je saute souvent du lit et je commence à réfléchir avec angoisse à l'endroit où courir pour nous protéger. Puis, je souffle. Mon pouls s'accélère... Je viens de passer un mois dans de telles conditions, et des gens vivent ainsi pendant des mois », raconte Anatoly*, originaire de la région de Kharkiv, qui vit actuellement avec sa mère âgée à Belgorod.
« Lorsque quelque chose vole constamment au-dessus de votre tête et explose, vous êtes très tendu en pensant à l'endroit où il va atterrir. Vous l'entendez approcher et il y a ce moment où vous ne savez pas où il va atterrir. Une fois, il y a eu une explosion très forte et il s'est avéré qu'elle avait touché la maison de nos voisins. »
Pour certains, les tirs d'obus et les bombardements sont une source de peur et de stress permanents, les empêchant de dormir ou de vaquer à leurs occupations quotidiennes. D'autres ont développé des mécanismes d'adaptation et considèrent que cela fait partie de la vie normale.
Si les bombardements sont très violents, on se retourne dans son lit pendant une heure ou deux, puis on s'endort », explique Gevork. « Le matin, tu prends un café au travail pour te remonter le moral ».
Nous nous sommes habitués aux bombardements. Nous savions qu’il fallait aller à la cave lorsqu'ils commençaient. Les bombardements à Novaya Tavolzhanka durent depuis septembre 2022. Au début, nous avions tellement peur que nous ne sortions pas dans la rue. Pour aller au magasin, nous courions par crainte d’être frappés par un obus. Puis nous nous sommes habituées à ces ‘bangs’ : si l'obus ne frappe pas à proximité, vous commencez à le percevoir comme normal », expliquent les sœurs Anastasia et Alina.
Comme beaucoup d'autres personnes déplacées, elles affirment leur capacité à distinguer de quel côté viennent les tirs d'artillerie. « Lorsque les hostilités se sont déclarées, nous avons commencé à nous orienter en fonction de ces bruits ».
En plus de vivre sous la menace des tirs d'obus et des bombardements, de nombreuses personnes déplacées ont des difficultés à se loger. Après un premier séjour dans des centres d'hébergement temporaire fournis par le gouvernement, la plupart des personnes louent un logement privé. Cependant, le prix des logements a considérablement augmenté en raison de la forte demande, et l'arrivée de nouveaux déplacés en provenance de la zone frontalière a fait grimper les loyers encore plus haut. De nombreuses personnes ont du mal à assumer les coûts quotidiens du loyer, des factures et de la nourriture.
Les personnes les plus vulnérables sont les personnes âgées et celles souffrant de maladies chroniques ou encore les personnes handicapées. La mère d'Anatoly, âgée de 70 ans, a des cathéters de drainage dans l'estomac à la suite d'une opération chirurgicale lourde et a besoin d'un suivi médical poussé et de médicaments. Il y a plusieurs années, la mère et le fils ont dû vendre leur maison dans la région de Kharkiv pour pouvoir payer l'opération. Anatoly s'occupe de sa mère, l'aide à maintenir les cathéters dans son estomac en bon état, consacre au moins une heure par jour à s'occuper d'elle et veille attentivement à ses besoins médicaux.
Anatoly lui-même a un problème de santé qui l'empêche de trouver un travail manuel pour gagner un peu d'argent, ce qui est la façon dont beaucoup d'autres personnes déplacées survivent dans la région. Il a subi deux crises cardiaques et une intervention chirurgicale dans le passé. Il a maintenant trouvé un moyen de gagner sa vie en chantant dans des chorales d'église, ce qui lui laisse le temps de s'occuper de sa mère.
Elena* n'a pas cette chance. Séparée de son mari bien-aimé, elle a amené ses enfants de Donetsk à Belgorod. Les hostilités ont eu de graves répercussions sur la santé mentale et le bien-être de sa famille. La mort de son fils aîné a transformé leur vie en « avant et après » et a ajouté une tragédie à la situation dans laquelle la famille s'est retrouvée. Pour Elena, la foi et l'écriture créative sont un soutien majeur qui l'aide à surmonter son immense chagrin.
Mon fils était cardiologue. À l'époque du Covid-19, il travaillait dans la zone d'accès restreint d'un hôpital... Le jour de sa mort, il est allé soutenir l'aide humanitaire. Il s'y rendait toujours pour aider. Jusque-là, il n'y avait pas de danger... », raconte Elena. « Cela devient un peu plus facile pour moi lorsque je commence à écrire. Il y a des moments où je me sens vraiment mal... »
En raison de leur situation, les besoins des personnes déplacées en matière de soins médicaux et de soutien à la santé mentale à Belgorod sont considérables, mais elles sont souvent incapables d'accéder à ces services de santé essentiels. De nombreuses personnes déplacées espèrent rentrer chez elles dans un avenir proche, ce qui peut compliquer leur statut juridique et l’accès aux services et aux soins à Belgorod.
À Belgorod, MSF aide l'organisation bénévole locale Path to the Future à fournir des consultations médicales et des soins de santé mentale gratuits et à couvrir les coûts des prescriptions médicales et des fournitures médicales. MSF fournit également des articles de première nécessité tels que de la nourriture, des sous-vêtements, des produits de soins personnels et des articles ménagers de base, qui sont distribués par les bénévoles de l'organisation locale. Ensemble, depuis octobre 2022, MSF et Path to the Future ont fourni une assistance médicale à plus de 2 800 personnes déplacées et une aide humanitaire à plus de 9 600 personnes.
Parallèlement, les personnes déplacées de la région de Belgorod s'organisent pour s'entraider, en rejoignant les organisations de bénévoles existantes ou en créant leurs propres centres d'aide.
« Nous avons d'abord aidé des réfugiés ukrainiens, puis nous nous sommes retrouvés dans la même situation », explique Svetlana, 50 ans, qui travaille comme bénévole pour une organisation locale de Belgorod qui aide les personnes déplacées par les combats, en particulier celles qui résident dans la région de Belgorod ou qui y transitent.
Svetlana a quitté Shebekino pour s'installer à Belgorod, une région qui subit des tirs d'obus et des bombardements continus depuis plus d'un an. À Shebekino, elle tenait une pharmacie.
C'était en novembre 2022. En plein jour, ils ont bombardé une école et notre pharmacie avec des tirs de mortier. Trois personnes ont été tuées à cause de ce bombardement. Un homme a été tué sous notre porche, un deuxième a été tué dans une pharmacie et une femme est morte pendant que les médecins arrivaient. Il s'agissait de personnes âgées. C'était à 17 heures, à l'heure où les gens rentrent du travail et se déplacent dans la ville. Ce jour-là, la caissière de la pharmacie a emmené son fils au travail et nous avons dû lui couvrir les yeux avec nos mains, lorsque le corps a été déplacé de la pharmacie, pour qu'il ne le voie pas ».
Svetlana affirme que ce qu'elle a vécu l'a rendue plus sincère envers elle-même et qu'elle a maintenant beaucoup plus de force pour aider les autres.
Oksana*, originaire de la région de Kharkiv et fondatrice d'un groupe d'entraide, comprendrait mieux que quiconque la volontaire Svetlana. Oksana a passé quatre mois avec sa famille dans le sous-sol en raison des hostilités et n'a pas eu d'autre choix que de s'installer dans la région car elle était enceinte de neuf mois.
L'accouchement a été compliqué. Psychologiquement, c'était très dur - vous êtes très stressée parce que vous allez vers l'inconnu et que vous êtes enceinte. Vous accouchez - et vous n'avez rien pour le bébé, parce que tout a été laissé à la maison. Vous n'avez même pas de landau pour un nouveau-né. Mais il y a des gens gentils et solidaires partout ! Il y a des bénévoles ici et là. Je comprends maintenant que vous ne pouvez pas traverser cette épreuve seule. Il se trouve que je suis moi-même devenue bénévole et que j'ai commencé à aider les autres. »
Après avoir fui sa maison, Oksana s'est installée avec sa famille et son nouveau-né à Shebekino, où elle a commencé à aider d'autres personnes déplacées qui se trouvaient dans la même situation. Oksana a établi des contacts avec des donateurs et a organisé un entrepôt où les personnes déplacées pouvaient obtenir des articles de première nécessité, tels que des couvertures, des oreillers et de la vaisselle. Cependant, en raison de l'intensification des tirs d'obus et des bombardements à Shebekino en mai-juin 2023, Oksana a dû à nouveau déménager avec sa famille. Aujourd'hui, elle réside près de Belgorod et continue d'aider d'autres personnes déplacées.
Nous sommes tous des êtres humains. La situation est évidemment difficile pour tout le monde. Nous essayons simplement de survivre en nous accrochant les uns aux autres. Sans l'aide des autres, il serait impossible de s'en sortir. »
*Les noms ont été modifiés.