Bangladesh : six ans après l'exode, l'abandon des Rohingyas
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Du provisoire toujours d’actualité
Depuis les années 1970, les Rohingyas, minorité ethnique musulmane, ont été progressivement privés de leurs droits fondamentaux au Myanmar, pays à majorité bouddhiste dont ils sont originaires. Les persécutions dont ils sont victimes culminent en août 2017. En l’espace de quelques semaines, plus de 700 000 hommes, femmes et enfants fuient les violences de masse perpétrées à leur encontre dans l'État de Rakhine dans le nord-ouest du Myanmar. Ils trouvent refuge sur les collines du district de Cox’s Bazar au Bangladesh. La population locale organise l’accueil de ses voisins apatrides, comme elle l’a fait à plusieurs reprises auparavant. Des abris en bambou sont construits sur les flancs de colline défrichés. Les organisations humanitaires affluent du monde entier pour soutenir la réponse bangladaise aux besoins urgents : eau, nourriture, soins médicaux. Le plus grand camp de réfugiés au monde sort de terre. Les images font le tour du monde.
Six ans plus tard, l’urgence et la spontanéité de l’accueil se sont amoindris. Le temporaire dure. Si les camps disposent aujourd’hui de meilleures routes, de davantage de latrines et de points d'eau potable qu’aux premières années de leur existence, les Rohingyas vivent toujours dans des refuges serrés les uns aux autres et surpeuplés, la construction de structures permanentes n’étant pas autorisée.
La promiscuité et la précarité des lieux entraînent des incendies qui détruisent les abris de manière fréquente. La zone étant particulièrement exposée aux catastrophes naturelles, les abris faits de bambou et bâches en plastique se trouvent souvent endommagés et détruits par les vents forts, les pluies diluviennes et les glissements de terrain. S’ajoute à cette situation d’extrême vulnérabilité, une impossibilité d’évacuer les camps pour se réfugier dans des lieux plus sûrs, comme ce fut le cas lors du passage du cyclone “Mocha” en mai 2023. La plupart des hôpitaux de MSF ont eux-mêmes dû fermer durant deux jours, leur structure semi-permanente menaçant de ne pas tenir face à la force des vents.
Une réponse humanitaire sous-financée
Le retour des exilés rohingyas au Myanmar reste pour l’instant à l’état de rêve : il faudrait des garanties de droits, de terres, de citoyenneté, de paix. La vie dans les camps, entourés de clôtures et de barbelés depuis l’épidémie de COVID-19, ressemble à un jour sans fin. Les Rohingyas n’ont ni le droit d’y travailler ni d’en sortir. L’accès aux biens de première nécessité, à la nourriture, à l’eau, aux soins de santé de ces personnes apatrides dépend de l’aide humanitaire internationale. Pourtant, celle-ci est de moins en moins financée par les donateurs internationaux. Depuis deux ans, les fonds de l’appel des Nations Unies, qui coordonnent la réponse humanitaire dans les camps, s’amenuisent : 70% en 2021, 60% en 2022, 30% jusqu’ici en 2023. Au printemps 2023, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a opéré des coupes budgétaires drastiques dont les conséquences sur la santé des réfugiés, sans soutien supplémentaire dans les prochains mois, s’annoncent dramatiques. En mars, les rations alimentaires sont passées de l’équivalent de 12 dollars mensuels par personne à 10, puis, en juin, à seulement 8.
Les équipes de MSF sont témoins des difficultés que traversent les centres de santé gérés par différentes organisations dépendant de ces financements en termes de ressources humaines, d’approvisionnement en médicaments et de suivi des patients. La maintenance régulière des infrastructures d’eau et assainissement est également un défi rendant les conditions d’hygiène et l’accès à l’eau potable difficiles dans plusieurs camps.
Besoins médicaux croissants et mise en tension sur les services de MSF
Ces conditions de vie insalubres compliquent considérablement la situation sanitaire, entraînant divers problèmes de santé. L'année dernière, les cas de dengue ont été multipliés par dix par rapport à l'année précédente, et au début de cette année, les camps ont connu la plus forte augmentation hebdomadaire de cas de choléra depuis l'afflux de 2017. 40 % des personnes vivant dans les camps souffrent de la gale selon les résultats d'une enquête très attendue présentés par la coordination du secteur de la santé en mai. A titre comparatif, l’Organisation mondiale de la santé recommande une administration massive de médicaments lorsque le seuil de 10% est atteint. Alors que l’on observe une négligence croissante des besoins médicaux même les plus pressants, les récentes coupes budgétaires laissent présager une aggravation des cas de malnutrition, notamment chez les enfants, en même temps qu’une incertitude grandissante quant au fonctionnement des structures de santé.
MSF observe de fait une mise en tension croissante de ses services ces deux dernières années. Les équipes traitent les effets de conditions de vie difficiles depuis la création des camps de Cox’s Bazar : maladies infectieuses, infections respiratoires, intestinales et cutanées. Mais au fil des années, les équipes ont aussi vu émerger un besoin grandissant de prise en charge de maladies de longue durée –liées notamment à un manque chronique d’accès aux soins par les Rohingyas depuis des décennies au Myanmar– telles que le diabète, l’hypertension ou l’hépatite C.
Le nombre de patients se présentant au service ambulatoire de « l’hôpital sur la colline », construit par MSF au milieu des camps en 2017, a augmenté de 50% au cours de l’année 2022. Cette situation est concomitante à la fermeture de centres de santé environnants cette dernière année et à l’épidémie rampante de gale dans les camps. Dans cet hôpital ainsi que celui pour Mère et Enfant de Goyalmara, le nombre d’admissions pédiatriques a connu une augmentation inhabituellement élevée de janvier à juin 2023 par rapport à la même période l’année dernière. En juillet, alors que le pic annuel des besoins médicaux ne fait d’habitude que commencer, en 2023 les admissions dans les hôpitaux pédiatriques ont déjà atteint leur pleine capacité.
Les mécanismes d’adaptation de MSF ne suffiront pas sans une mobilisation urgente
MSF n’est pas directement affectée par la crise de financements des bailleurs internationaux, l’organisation gère ses activités médicales sur fonds propres. Cependant, la capacité des services à absorber une demande de soins toujours plus forte atteint ses limites. Le nombre croissant de consultations exerce inévitablement une pression sur les ressources humaines, la gestion des lits des hôpitaux et l’approvisionnement des médicaments.
Pour faire face à cette situation, les équipes MSF ont dû adopter deux nouvelles approches, qui comportent chacune leurs limites. Dans le cas de certaines maladies, comme les maladies non transmissibles et la gale, les besoins sont tels que nos installations ne peuvent pas accueillir tous les patients qui viennent dans nos cliniques. Les équipes MSF se voient désormais obligées d’effectuer un triage plus strict en fonction du niveau de sévérité des pathologies ou en fonction de l’origine géographique des patients. L’organisation doit ainsi référer les cas moins urgents vers d’autres centres de santé, qui eux sont sous-financés, sous-équipés et en sous-effectif.
En ce qui concerne la pédiatrie, et en prévision de la saison de pic des besoins de prise en charge, de nouveaux lits temporaires seront installés pour pouvoir accueillir plus de patients dans la maternité de Goyalmara. Depuis l’an dernier, MSF doit aussi transférer de plus en plus de patients pédiatriques en consultations internes à « l’hôpital sur la colline », qui ne prend normalement pas en charge ce type de patients. Ceci nécessite la mise en place de huit lits supplémentaires et pèse inévitablement sur la prise en charge d’autres patients dans les services de consultations internes de l’hôpital sans être une solution suffisante sur le long-terme.
Tant que les Rohingyas seront confinés dans des camps et piégés dans un cycle de dépendance à l’aide humanitaire, il est impératif que les donateurs internationaux augmentent considérablement leurs contributions financières pour leur apporter un soutien adéquat et prévenir d’autres conséquences irréversibles sur leur santé physique et mentale.