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Aux Kivus, les civils pris en étau par les combats

Le vendredi 24 mai 2024

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Marie Brun est coordinatrice d’urgence pour Médecins Sans Frontières à Goma, dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Elle revient sur l’intensification des combats depuis le début de l’année entre plusieurs groupes armés, dont le M23, et les forces armées congolaises, ainsi que les conséquences pour les civils contraints une nouvelle fois à subir ces violences.

L'insécurité semble de plus en plus affecter les déplacés dans les Kivus et en particulier autour de Goma. Que se passe-t-il ?

Ces deux dernières années, nous avons assisté à des mouvements réguliers de populations fuyant les combats dans la province du Nord-Kivu et, plus récemment, vers le Sud-Kivu. Ces individus et familles déplacés ont notamment trouvé refuge dans des camps insalubres en périphérie de la ville de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu.

Ces dernières semaines, Goma s’est peu à peu retrouvée encerclée par plusieurs lignes de front, avec entre 600 000 et 1 million de personnes déplacées et deux millions d’habitants entassés sur un territoire restreint. La concentration de porteurs d'armes à l’intérieur et autour des camps densément peuplés et le rapprochement des positions militaires à proximité immédiate des personnes déplacées a entraîné une augmentation généralisée du niveau de violences : les civils sont pris en étau entre les différents groupes armés, blessés ou tués dans des tirs croisés, victimes de la criminalité et plus particulièrement de violences sexuelles.

À Goma, les personnes déplacées se retrouvent aujourd’hui dans une situation similaire à celle qu’ils avaient initialement fuie : ils sont dans l’insécurité la plus totale et n'ont plus aucune échappatoire. Les camps de déplacés doivent être respectés par toutes les parties au conflit et les combats doivent cesser à proximité.

Ce contexte d’insécurité grandissante se superpose à des conditions de vie extrêmement précaires. Les personnes déplacées vivent dans des camps densément peuplés, aux conditions sanitaires déplorables sans accès adéquat à l'hygiène, dans des abris faits de bâches en plastique sur des sols jonchés de pierres volcaniques. L’accès à l’eau potable et à la nourriture est très difficile et aléatoire.

Quel est l’impact de cette violence sur les civils ?

Dans les camps autour de Goma, selon nos observations, les tirs d’artillerie lourde entre belligérants ont causé la mort de 23 personnes et fait 52 blessés depuis février 2024. D’après les Nations unies, au moins 18 civils, en majorité des femmes et des enfants, sont décédés et 32 autres ont été blessés lors de bombardements touchant plusieurs sites de déplacés au cours de la seule matinée du 3 mai.

Depuis le début de l’année, nous avons pu observer des tirs croisés, des explosions de grenades à l’intérieur des camps, de jour comme de nuit. Nous avons recensé 24 incidents impliquant des tirs d’obus à l’intérieur ou autour des camps où nous travaillons et les équipes de MSF ont reçu 101 blessés légers, dont 70% de civils à l’hôpital de Kyeshero, transférés par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) qui prend en charge les patients blessés par arme les plus graves.

Nous nous inquiétons également de retards dans la prise en charge médicale des patients et patientes qui ont peur de se déplacer, d’être attaqués ou encore violés. Dans les camps de Shabindu, Rusayo et Elohim, nous avons traité plus de 1 700 nouveaux cas de violences sexuelles en avril, dont 70% sont

commises sous la contrainte d’une arme. MSF fournit des soins médicaux et psychologiques aux survivants, mais les possibilités d'orientation vers une aide juridique, des abris sûrs et d'autres services de protection sont très limitées. Si la majorité des femmes victimes de violences sexuelles prises en charge par nos équipes rapportent avoir été violées lors de la collecte de bois de chauffage, on observe de plus en plus d’agressions à l’intérieur même des camps. Des cas de viols collectifs ont été également rapportés.

Les combats ont également repris à Kibirizi, ville d’accueil et de transit pour des milliers de personnes déplacées située au carrefour de plusieurs axes stratégiques au Nord-Kivu. En mai, de violents combats ont touché des zones peuplées, en ville ou à proximité des champs, entraînant la destruction des infrastructures et de ressources vitales, ainsi que la fuite des habitants à nouveau déplacés par les combats. Le nombre de cas de violences sexuelles y a également explosé, avec une multiplication par cinq des victimes de violences sexuelles prises en charge dans les structures de santé soutenues par MSF dans la zone de santé de Kibirizi et plus au sud dans celle de Bambo.

En raison de l'intensification des hostilités sur une nouvelle ligne de front depuis février, les échanges de tirs et d’artillerie touchent aussi régulièrement les civils vivant dans la ville de Minova et ses alentours, au Sud-Kivu, où près de 200 000 personnes ont trouvé refuge cette année.

© Hugh Cunningham
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Comment MSF continue-t-elle à travailler dans ce contexte ?

Dans le Nord et le Sud-Kivu, nos équipes travaillent dans un contexte sécuritaire volatile avec des difficultés de déplacement, d'acheminement de l’aide humanitaire et un accès incertain aux centres de santé que nous soutenons. Malgré la nature médicale et humanitaire de notre réponse à cette crise, le personnel de MSF n'a pas été épargné par les actes d'intimidation d'hommes armés.

À plusieurs reprises, MSF a été obligé de suspendre ses activités à cause notamment d’affrontements à proximité des camps de Goma, à Kibirizi, à Bambo et aux alentours de Minova. La route qui mène du Sud-Kivu vers Goma est actuellement bloquée à cause des combats et l’approvisionnement ne peut se faire que par bateau depuis le lac Kivu ou par moto. Les affrontements compliquent aussi l’approvisionnement depuis Goma des zones plus périphériques où les combats font également rage. Dans le territoire de Masisi, où MSF soutient notamment l’hôpital général de Masisi et celui de Mweso, les équipes reçoivent depuis le début de l’année des dizaines de blessés de guerre mais depuis des mois, l’accès par la route est extrêmement difficile et risqué, ce qui continue d’entraver les opérations humanitaires, privant la population d’une aide humanitaire vitale. En tant que MSF, nous rappelons à toutes les parties belligérantes qu'en temps de conflit, elles sont tenues de respecter le droit international humanitaire et toutes les protections accordées aux civils, aux établissements de santé, aux patients et au personnel médical.

© Hugh Cunningham
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Augmentation des violences contre les civils: témoignages des déplacés du site de Shabindu, Nord-Kivu

David Simwerayi, originaire de Masisi, devant sa tente reconstruite après la destruction de son précédent abri par un engin explosif au sein du site des déplacés de Shabindu

La bombe est tombée le 6 avril 2024 vers 18h30. Ce soir-là, je rentrais de l’église et mes enfants jouaient à côté de notre abri. Nous étions tous réunis quand nous avons vu un appareil qui avait la forme d’un avion se rapprocher de nous. C’est à ce moment-là que nous avons compris que ça n’était pas un avion mais une bombe. Mon petit frère qui dormait dans l’abri a été légèrement blessé mais mon beau-frère qui venait nous rendre visite, a été tué de façon horrible. La bombe l’a littéralement coupé en deux. Dans le voisinage, plusieurs personnes ont été blessées. Depuis, nous n’avons reçu aucune assistance à part celle de MSF qui nous a donné des bâches, des fils et des clous pour reconstruire nos abris ".

© Joelle Kayembe/MSF
© Joelle Kayembe/MSF

Marie, 38 ans, veuve et mère de neuf enfants, debout devant la clinique de MSF à Shabindu 

Je suis partie chercher du bois avec une autre femme dans le parc National des Virunga. J'en avait besoin pour pouvoir cuisiner pour mes enfants. Je ne pouvais pas les laisser mourir de faim. Comme mon mari est mort, j’ai donc pris le risque d’aller dans le parc. Sur le chemin du retour, nous avons croisé deux hommes en tenue militaire. Ils nous ont menacées puis ils nous ont prises par force et nous ont violées. De peur d’attraper des maladies ou de tomber enceinte, et comme nous avions été sensibilisées par des relais communautaires, nous sommes venues directement à la clinique où nous avons reçu des soins. Ma voisine saignait après avoir subi l’acte. Ça s’est passé il y a maintenant trois semaines. Quelques fois, je me remémore cet événement qui continue à me traumatiser. Lorsque cela m’arrive, je me rapproche d’autres femmes avec lesquelles j’en parle pour me soulager, c’est comme un groupe de soutien pour moi, car nous chantons, nous parlons et nous partageons nos douleurs ".

Témoignages du Sud Kivu

Mon nom est Marie-Thérèse, j’ai 80 ans. J’ai dû fuir si souvent que j’ai perdu la mémoire des différents déplacements. Ma maison a été incendiée. Mon village détruit. Depuis lors, je me suis mise en quête d’un lieu où vivre en paix avec mes neuf enfants et mes petits-enfants. Durant l’exode, alors que nous étions encore au Nord Kivu, une bombe a explosé à Sake. Quatre de mes enfants sont morts ce jour-là. Le reste de la famille a fui à nouveau jusqu’ici. Nous sommes arrivés au camp de Bugeri en décembre dernier. Très affaiblis par les mauvaises conditions de vie au camp, mes enfants tombaient souvent malade. J’ai décidé de les envoyer en famille d’accueil, où ils peuvent dormir à l’abri de la pluie. Ils viennent me rendre visite quand ils le peuvent. Au camp, nous les déplacés, restons des jours sans manger. Nous n’avons que de l’eau et nous nous endormons affamés. Nous manquons de nourriture mais aussi de médicaments, d’ustensiles, de couvertures, de bâches. Nous voulons tous que la paix revienne et que chacun rentre chez soi."

© Hugh Cunningham
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Je m’appelle Mukeshimana Mbitse, j’ai 60 ans. Je suis arrivée au camp de Bugeri (Sud Kivu) le 5 janvier 2024. Avant, je vivais au village dans le territoire de s Masisi (Nord Kivu) avec mes 9 enfants et mon mari. 

Un jour alors que nous étions au champ, des coups de feu ont retenti. Effrayé, mon mari s’est précipité vers notre maison pour réunir nos enfants et préparer quelques affaires. J’ai également couru vers lui mais lorsque je suis arrivée dans notre maison je l’ai trouvé étendu sur le sol, baignant dans son sang. Il avait suffi d’une balle pour lui ôter la vie. Sans plus réfléchir, pour mettre notre famille à l’abri, j’ai dû prendre la fuite. Nous avons marché jusqu’à la ville de Minova. Là, on nous a parlé d’un camp de déplacés où nous pouvions nous installer. 

Pour que mes enfants aient plus de chances de survivre, j’ai décidé de laisser les 5 plus grands dans des familles d’accueil, répartis dans des villages voisins de Minova. Les 4 plus jeunes vivent avec moi. Ici, nous ne trouvons pas de quoi manger, il nous arrive alors de voler des légumes dans les champs. Lorsque les propriétaires nous surprennent, nous sommes attrapés et maltraités avant d’être relâchés. Nous passons des jours et des nuits sans rien manger. Nous souffrons beaucoup. Je n’ai pas même de quoi construire un abri, lorsqu’il pleut nous sommes battus par la pluie. Nous passons nos nuits à la belle étoile."

 

Témoignage de Luis Montiel, chef de mission MSF en RDC

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