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« Amour de ma vie, qui aurait pu imaginer ce que le monde nous réservait ? »

Le mardi 26 novembre 2024

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Le parcours d’une femme de 85 ans à travers la guerre au Liban

« Au début, j’ai commencé à crier et à prier Dieu, pensant que notre fils Ali, qui vit avec nous avec sa femme et ses cinq enfants, était blessé », raconte Sekna Fakih, les larmes aux yeux. « J’ai pensé que la frappe nous avait touchés et qu’il était blessé parce que je l’ai entendu crier. » Plus tard, elle a réalisé qu’Ali les appelait pour qu’ils montent dans la voiture et s’enfuient.

A 85 ans, Sekna se souvient du moment où elle a dû fuir sa maison à Aita Al Jabal, un village du sud du Liban. Elle avait reçu des forces israéliennes l’ordre d’évacuation. Ces ordres arrivent parfois 15 minutes seulement avant le début des attaques, obligeant des familles entières à quitter leur maison sans savoir comment rejoindre un endroit sûr.

C’était au début de l'intensification de la guerre, avec la multiplication des bombardements israéliens à travers le Liban en septembre 2024. Alors que les fenêtres se brisent et que les décombres tombent, les gens n'ont d'autre choix que d'abandonner tout ce qu'ils connaissent. Sekna est partie avec son mari, qui a des problèmes de mobilité en raison de multiples problèmes de santé. Ensemble, ils se sont lancés dans un voyage éprouvant de 14 heures vers le nord jusqu'au Akkar, un voyage qui ne prend normalement que quatre heures mais qu’il est désormais difficile d’accomplir en raison du grand nombre de personnes fuyant vers le nord en quête de sécurité.

Depuis le début des attaques transfrontalières entre le Hezbollah et Israël le 8 octobre 2023, les frappes aériennes israéliennes se sont intensifiées, s’étendant à travers le pays dans des zones densément peuplées, tuant plus de 3 500 personnes et en blessant 15 000 autres. La majorité de ces attaques ont eu lieu au cours des dernières semaines1.

Le conflit a également déplacé plus de 896 000 personnes2, principalement du Sud-Liban, du sud de Beyrouth ainsi que du gouvernorat de Baalbek-Hermel, selon l'Organisation internationale pour les migrations.

Conditions de vie désastreuses, manque d'eau, de chauffage, d'assainissement

La plupart des personnes déplacées se sont rendues vers d’autres gouvernorats, 66 % d’entre elles cherchant refuge dans des régions comme le Mont Liban, situé dans la partie centrale du pays, le Akkar au nord et le nord de Beyrouth3.

Certaines personnes ont pu être hébergées chez des amis ou des membres de leur famille, d’autres ont loué des maisons. Mais beaucoup sont contraintes de se réfugier dans des abris surpeuplés, déjà au-delà de leurs capacités, et qui manquent souvent de services de base tels que l’eau potable, le chauffage et l’assainissement.

« J’ai la chance de vivre dans une maison, mais beaucoup d’autres vivent dans des refuges, comme mes filles et leurs familles qui sont dispersées à travers le pays », explique Sekna. « C’est uniquement grâce au fils de mon beau-frère, qui nous aide à payer cette maison en location, que nous avons pu trouver un abri. » Elle explique que ce dernier voulait aider son oncle, sachant que son état de santé rendrait très difficile son séjour dans un abri.

Malgré le toit au-dessus de sa tête, Sekna lutte contre le froid comme tant d’autres. 

« Nous n’avons pas les moyens de nous chauffer ; nous nous contentons d’empiler des couvertures. »

Besoins énormes, attaques contre les structures médicales

À l’approche de l’hiver, le manque de préparation adéquate dans de nombreux abris surpeuplés rend les gens vulnérables aux maladies évitables. Les 22 équipes médicales mobiles de MSF actuellement réparties dans tout le pays constatent déjà des cas d’infections cutanées et de maladies respiratoires, en particulier chez les enfants et les personnes âgées.

« Sans accès à l’eau potable, à des installations sanitaires adéquates et au chauffage, la santé des gens est encore plus menacée », explique Itta Helland-Hansen, coordinatrice adjointe des urgences de Médecins Sans Frontières (MSF) au Liban. 

« Le système de santé libanais est déjà surchargé et cela ne fait qu’accroître la pression. »

Les frappes aériennes israéliennes massives ont également rendu encore plus difficile l’accès aux soins médicaux et entravé leur délivrance. Depuis la mi-septembre 2024, le Système de surveillance des attaques contre les établissements de santé de l’OMS a recensé 137 attaques contre des établissements de santé, avec 226 professionnels de santé tués et 199 blessés dans l’exercice de leurs fonctions depuis le 8 octobre 20234.

Sekna est profondément inquiète pour son gendre, qui travaille bénévolement à la Croix-Rouge libanaise.

« Que Dieu le protège », dit-elle. « Il a refusé de partir. Il a insisté pour rester et accomplir son devoir, mais je m’inquiète pour lui tous les jours. Il y a quelques semaines à peine, un hôpital près de chez lui à Tebnine, au sud du Liban, a été touché. Je ne peux pas m’empêcher de penser à lui. »

En raison des violences, des dégâts sur les routes et des risques sécuritaires, MSF n’est pas en mesure d’atteindre les personnes dans certaines zones touchées au Liban. MSF a été obligée de fermer sa clinique dans le camp palestinien de Burj el Barajneh, dans la banlieue sud de Beyrouth, et de suspendre temporairement ses activités à Baalbek-Hermel, en relocalisant le matériel médical depuis le nord-est. Les personnes vulnérables dans ces zones, en particulier celles qui recevaient auparavant des soins dans notre clinique, ont désormais plus de difficultés à accéder aux soins essentiels.

Effondrement économique, pression sur les soins de santé et guerre

Le bilan du conflit en cours est aggravé par des années de difficultés. Le Liban a traversé l’une des pires crises économiques du monde, laissant plus de 80 % de la population dans la pauvreté. L’effondrement financier du pays a anéanti les économies, provoqué un chômage généralisé et fait grimper le coût de la vie en flèche.

Au Liban, les gens sont poussés à bout. Pour beaucoup, même ceux qui reçoivent une certaine solidarité de la part de leurs proches ou de leur communauté ou peuvent compter sur leurs économies, ce soutien n’est pas durable et finira par s’épuiser. D’autres, en particulier les réfugiés palestiniens et syriens, les travailleurs migrants et les personnes déplacées hors des abris établis sans services de base ni soutien, sont dans une situation encore pire, car leur situation déjà vulnérable est exacerbée par la peur constante pour leur vie.

« Les acteurs internationaux doivent intensifier leurs efforts pour mettre un terme à la violence et empêcher de nouvelles souffrances et pertes humaines dans la région », déclare M. Itta. 

« La situation humanitaire au Liban est déjà désastreuse et risque de se prolonger. Elle pourrait empirer si aucune mesure urgente n’est prise. Les personnes qui tiennent bon atteindront leur point de rupture – la situation n’est pas tenable et la situation humanitaire va empirer. Pour ceux qui sont déjà vulnérables, nous ne verrons que davantage de menaces pour leur santé et davantage de pertes humaines. »

Sekna évoque la vie qu’elle a construite avec son mari, Abu Ali, et les souvenirs qu’ils ont créés ensemble.

« Même si c’était modeste, avec quelques oliviers, c’était ma vie et mes souvenirs », dit-elle.

Le sud du Liban, d’où viennent Sekna et Abu Ali, est connu pour ses riches oliveraies, qui produisent l’une des meilleures huiles d’olive du pays. De génération en génération, la récolte des olives demande beaucoup de main-d’oeuvre, et fournit à de nombreuses familles leur principale source de revenus.

L’effondrement économique avait déjà plongé Sekna et d’autres Libanais dans l’incertitude. Tout ce qu’elle avait construit avec son mari lui avait été enlevé. Mais aujourd’hui, avec cette nouvelle guerre, ce sentiment d’incertitude s’est transformé en une perte profonde. Les souvenirs qu’elle chérissait semblent s’effacer dans le chaos du déplacement et de la destruction. Pour des gens comme Sekna, qui ont vécu les nombreuses crises du Liban, c’est comme si la guerre avait anéanti non seulement leur foyer, mais aussi leur sens de l’existence et leur raison d’être.

« Cet homme que vous voyez ici était le plus bel homme de la ville. Il travaillait à l’hôpital et on pensait qu’il en était le directeur à cause de son élégance. » Sa voix s’adoucit et elle soupire, semblant regretter le passé. 

« Oh, amour de ma vie, qui aurait pu imaginer ce que le monde nous réservait ? »

Réponse de MSF à la crise humanitaire au Liban

En réponse à l’escalade du conflit et aux bombardements israéliens intenses au Liban, MSF a déployé 22 équipes médicales mobiles dans différentes régions du pays. Ces équipes fournissent des premiers secours psychologiques, des consultations médicales générales, des médicaments et un soutien en santé mentale. MSF distribue également des articles essentiels tels que des couvertures, des matelas et des kits d’hygiène, et fournit de l’eau par camion aux écoles et aux abris où se sont rassemblées les personnes déplacées. De plus, nous offrons des repas chauds et de l’eau potable à des centaines de familles déplacées. MSF a également fait don de carburant et de kits de traumatologie à plusieurs hôpitaux, prépositionné 1 922 kg de fournitures médicales et formé plus de 400 professionnels de santé aux soins de traumatologie et à la gestion des blessés en masse à travers le pays. Depuis le 11 novembre 2024, nos équipes médicales ont également commencé à fournir un soutien pratique direct à l’hôpital de Baabda (gouvernorat de Beyrouth) dans sa salle d’urgence et un de ses blocs opératoires, ainsi qu’à l’hôpital turc (gouvernorat du Sud) dans son bloc opératoire, sa salle d’urgence et son service d’hospitalisation.

Pour plus d'informations: Page Liban Guerre Proche-Orient

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