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Entre expulsions et fermetures de frontières : quel avenir pour les migrations en Amérique latine ?
Par Víctor Escobar, responsable des opérations de Médecins Sans Frontières (MSF) en Amérique latine.
Photos par Bernat Parera, photographe pour Reuters.
L'administration américaine a lancé une vague de décisions politiques qui modifient le paysage migratoire en Amérique latine : de la militarisation de la frontière avec le Mexique à la suspension temporaire des admissions de réfugiés aux États-Unis, en passant par l'accélération des expulsions de migrants sans papiers, ces dernières ont un effet domino sur les politiques d'immigration d'autres pays de la région. De nombreuses personnes, pour qui il n'existe aucune voie de retour dans leur pays, se retrouvent désormais bloquées au Mexique et ailleurs. Sans voies légales et sûres, les migrants et les demandeurs d'asile en Amérique latine sont exposés à des risques accrus.
Chez Médecins Sans Frontières (MSF), nous soutenons les personnes migrantes en Amérique latine depuis plus de dix ans, notamment au Mexique, un pays dont la frontière nord avec les États-Unis constitue la dernière étape d'un long et dangereux périple. Nous menons également des projets au Guatemala, au Honduras, au Panama et en Colombie.
Atteindre ces personnes en perpétuel déplacement n'est pas chose aisée. Elles se déplacent dans des directions différentes sur une vaste zone géographique, et leurs itinéraires changent constamment en raison des nouvelles mesures gouvernementales ou du contrôle exercé par les groupes criminels sur les points de transit des migrants. Cela nous oblige à réévaluer constamment la situation et à faire preuve de flexibilité pour apporter une assistance partout où ces personnes se trouvent, par le biais de cliniques fixes ou mobiles.
Travailler avec les migrants en Amérique latine est également complexe, car ils ont souvent subi des épisodes de violence sévères et récurrents, voire extrêmes. Leur voyage est semé d'embûches, de la jungle sauvage et violente du Darién au crime organisé au Mexique, en passant par les gangs en Amérique centrale et la corruption des forces de l'ordre. Chez MSF, nous prodiguons des soins pour diverses raisons, des blessures musculaires dues à la marche au sein de caravanes de migrants à la thérapie réparatrice pour un patient atteint d'une maladie chronique. De nombreux patients présentent également des blessures invisibles qui s'ouvrent soudainement ; ils portent en eux le traumatisme psychologique des enlèvements, des menaces, de la torture, de l'extorsion et des violences sexuelles.
Pour mettre les choses en perspective : entre janvier 2024 et février 2025, nos équipes ont pris en charge près de 3 000 victimes et survivants de violences sexuelles, soit une personne toutes les trois heures. Elles ont également assuré plus de 20 000 consultations individuelles en santé mentale, dont beaucoup pour motif de violence. La violence peut être si extrême que certains de nos patients ont complètement perdu leur autonomie et leurs capacités fonctionnelles. Et nous ne devons pas oublier que beaucoup de ces personnes ont fui leurs foyers, poussées par des facteurs tels que la crise au Venezuela, le conflit en Colombie, la violence en Équateur ou un manque général d’opportunités et d’exclusion, qui continuent d’exister.
À cela s'ajoutent les barrières administratives, la persécution et la stigmatisation dont sont victimes des millions de personnes en raison d'une politique menée par l'administration américaine et reproduite par plusieurs gouvernements de la région. Cette politique bloque les principales voies d'obtention de l'asile, tente de révoquer l'asile de ceux qui l'ont obtenu et criminalise ceux qui le demandent. Tout cela se produit dans un contexte de réduction drastique et mondiale du financement de l'aide humanitaire.
Bien qu'il n'y ait pas eu jusqu'à présent en 2025 d'augmentation significative des expulsions des États-Unis vers les pays de la région, le discours déshumanisant diffusé et les conditions dans lesquelles certaines personnes ont été expulsées vers d'autres pays - compromettant manifestement les obligations des gouvernements de respecter les conventions internationales et les normes relatives aux droits de l'homme -, sont atroces et constituent un recul pour la protection des personnes vulnérables.
Bien que le transit du sud vers le nord du continent ait considérablement diminué, et que certaines personnes fassent même marche arrière, MSF constate que de nombreux patients pris en charge font face à une crise de santé mentale, et à des pensées suicidaires pour certains d’entre eux. La suppression de facto du droit d'asile et la suspension d'autres programmes par les États-Unis ont provoqué stress, désespoir et panique. Elles ont laissé des milliers de personnes transitant par les pays d'Amérique latine dans un vide juridique et humanitaire, les rendant invisibles, les forçant à emprunter des itinéraires encore plus dangereux et les laissant à la merci des réseaux criminels.
Il ne s’agit pas seulement des États-Unis. Sous la pression, l'influence ou par complicité, différents gouvernements d'Amérique latine mettent aussi en œuvre des politiques et des mesures anti-immigration plus prononcées qui freinent les mouvements de migrants et forcent leur retour.
Nous insistons sur la nécessité de ne pas criminaliser la migration et de respecter les droits humains des personnes en transit. Nous appelons à une protection intégrale des personnes migrantes dans les lieux d'origine, de transit, de destination et de retour, ainsi qu'au renforcement des services de base, notamment les soins médicaux.
Nous sommes confrontés à un effondrement moral et à un non-respect des conventions qui nous guident pour protéger les personnes en quête d'asile. Il est urgent de mettre un terme à cette vague de haine et à cette crise de solidarité.