
Piégés et maltraités : les expériences des travailleurs migrants au Liban
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Mahi* a été forcée de dormir sur le balcon, même en hiver. Martha* a été victime de harcèlement sexuel, mais personne ne l'a crue. Béatrice doit répondre à un autre nom. Makdes* a subi des violences verbales, physiques et psychologiques. Ce ne sont là que quelques-unes des expériences que des travailleuses migrantes ont racontées aux équipes médicales et de santé mentale de Médecins Sans Frontières (MSF) à Beyrouth, la capitale libanaise.
On estime à 176 500 le nombre de migrants vivant au Liban, dont environ 70 % sont des femmes. La plupart proviennent de pays d'Asie et d'Afrique, principalement d'Éthiopie, du Bangladesh et du Soudan. Près de la moitié des migrants au Liban sont des travailleurs domestiques, ce qui signifie qu'ils vivent chez leurs employeurs, souvent dans des environnements très difficiles.
MSF gère une clinique à Bourj Hammoud, une banlieue nord de Beyrouth qui sert de plateforme pour de nombreuses communautés vulnérables au Liban, notamment les migrants, grâce à ses logements abordables, sa proximité avec les principaux transports en commun et ses espaces communautaires dynamiques, notamment des marchés et des lieux de culte diversifiés. Bien que les services de la clinique soient ouverts à tous, la majorité de nos patients sont issus de communautés migrantes.
Souvent, des personnes ont choisi de quitter leur pays d'origine en quête d'une vie meilleure, mais se retrouvent piégées dans un système qui les exclut des lois protégeant les droits des autres travailleurs.
Ce système peut les priver de leurs choix, de leurs droits, et même de leur voix.
Les travailleurs migrants arrivent au Liban grâce au système de parrainage de la kafala. Dans ce système – que les militants et les organisations de défense des droits humains qualifient, dans ses pires manifestations, d'« esclavage moderne » –, les travailleuses domestiques migrantes sont surmenées et sous-payées, voire pas du tout, et ne bénéficient souvent d'aucune pause ni de jours de congé. Nos équipes ont constaté les graves conséquences de ces conditions sur la santé des travailleurs migrants.
Les histoires que nous entendons dans notre clinique se recoupent de nombreuses façons. Le parrain retire souvent à son employée son autorisation d'exercer ainsi que ses documents légaux. Les travailleurs migrants qui vivent chez leur employeur – presque exclusivement des femmes – sont isolés du monde et se voient parfois refuser le droit de communiquer avec quiconque en dehors du foyer, y compris leur famille restée au pays. Si elles souhaitent partir, les travailleuses domestiques migrantes ne peuvent être mises en relation avec une autre famille ou autorisées à retourner dans leur pays d'origine qu'avec le consentement du parrain.

De nombreuses femmes décident de quitter le domicile où ells sont confinées, mais ce n'est pas toujours possible. Certaines trouvent du soutien au sein des communautés migrantes, mais beaucoup se retrouvent sans abri, sans papiers et ont besoin d'une aide urgente. Si elles choisissent de rentrer dans leur pays, elles n'ont pas forcément les moyens de remplir leurs papiers ni même d'acheter un billet d'avion. Certaines choisissent de rester au Liban malgré les difficultés, car elles n'ont nulle part où aller ou simplement parce qu'elles doivent nourrir leur famille.
Au Liban, l'accès des migrants aux soins de santé est extrêmement limité. La kafala permet à un employeur de refuser aux femmes le droit de se faire soigner. D'autres migrants non soumis à la kafala sont fréquemment refoulés des hôpitaux et des centres de soins primaires, soit parce qu'ils n'ont pas de papiers d'identité, soit simplement parce qu'ils ne sont pas libanais. Certains évitent même tout simplement de se faire soigner à l'hôpital, craignant d'être refoulés, expulsés ou de se voir réclamer de l'argent, ce qui peut aggraver leur état de santé.
À la clinique MSF de Bourj Hammoud, nos équipes répondent aux besoins médicaux des migrants en proposant des consultations de soins primaires, des services de santé sexuelle et reproductive, ainsi que des services de santé mentale, y compris des consultations psychiatriques. Nous prenons également en charge les frais d'hospitalisation pour les cas mettant en jeu le pronostic vital, y compris les urgences psychiatriques.
En 2024, les consultations psychiatriques à la clinique de Bourj Hammoud ont doublé par rapport à l'année précédente », explique Elsa Saikali, superviseure santé mentale chez MSF.
« Cela met en évidence les besoins considérables en matière de santé mentale au sein des communautés migrantes. Les travailleuses migrantes sont souvent déshumanisées, victimes de racisme et de discrimination, et exposées à des violences physiques et sexuelles. Tout cela a de profondes répercussions sur leur bien-être psychologique. »
L'un des défis auxquels sont confrontés les migrants au Liban est la barrière de la langue, qui limite encore davantage leur accès aux soins. Ils sont obligés de signer des documents et de converser en arabe pour survivre, c'est pourquoi les choses se passent différemment à la clinique de MSF.

Nous sommes l'une des rares organisations au Liban à proposer des interprétations aux migrants lors des séances de santé mentale », explique Elsa Saikali.
« La particularité de notre clinique réside dans la présence d'éducateurs en santé communautaire auprès des patients. Ce sont des membres du personnel MSF issus des communautés de migrants qui facilitent le lien avec les patients, instaurent la confiance et veillent à ce qu'ils soient correctement informés de leur état de santé. »
Les communautés de migrants au Liban ont des besoins qui vont au-delà des soins médicaux. Il est difficile de conseiller aux patients de prendre soin de leur santé mentale s'ils sont sans abri ou incapables de se nourrir. C'est là qu'intervient le rôle de nos travailleurs sociaux.
« Mon travail consiste à orienter les patients vers des services qui dépassent les capacités de MSF », explique Hanan Hamadi, assistante sociale MSF à la clinique de Bourj Hammoud. « Les patients qui viennent me voir ont des besoins élémentaires, comme un abri, de la nourriture et une aide financière. Je les oriente vers d'autres organisations proposant ces services. »
La situation socio-économique des migrants s'est aggravée lors de la récente guerre israélienne au Liban. De nombreux migrants ont confié aux équipes MSF avoir été abandonnés par des familles déplacées, les laissant à la rue ou enfermés chez eux dans des zones touchées par la guerre.
Pendant cette période, les responsables des communautés de migrants ont aidé les équipes MSF à atteindre ceux étant les plus nécessiteux dans des abris et des appartements surpeuplés, où nous avons fait don de biens de première nécessité et dispensé des soins médicaux grâce à une clinique mobile.
D'autres programmes d'aide aux migrants au Liban, gérés par des organisations locales et internationales, ont vu leurs effectifs diminuer au fil des ans. Certains ne fonctionnent que pendant une période limitée, ce qui crée un manque de ressources pour les migrants après leur fermeture.
Il devient de plus en plus difficile d'orienter nos patients vers d'autres organisations d'aide aux migrants au Liban », explique Hanan Hamadi. « Cela est dû au manque de financement alloué aux programmes d'aide aux migrants et à la suppression ou à la fermeture d'autres programmes. Ce problème n'est pas récent, il existe depuis un certain temps.»
L'un des principaux défis auxquels sont confrontées les équipes MSF au Liban est l'orientation des patients vers l'hôpital, notamment pour les urgences psychiatriques. Les organisations dont les financements sont limités pourraient cesser de prendre en charge l'hospitalisation des migrants. Si ces organisations réduisent leur soutien à l'hospitalisation, MSF ne pourra pas à elle seule combler le manque, et les besoins de nombreuses personnes resteront insatisfaits.