Santé mentale, Lesbos
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Lesbos: La lutte pour la guérison dans des conditions de vie déplorables

Le jeudi 10 octobre 2024

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L'équipe MSF sur l'île de Lesbos, en Grèce, a mené plus de 1 500 consultations de santé mentale entre janvier et août 2024. Nos psychologues rapportent que la plupart des patients souffrent de stress post-traumatique, de dépression et de stress aigu. Les symptômes sont, entre autres, des troubles du sommeil, des flashbacks, une fatigue chronique, le désespoir, la dépersonnalisation et l'impuissance. 

Les conditions de vie indignes dans le Centre de contrôle d'accès fermé (CCAC), qui accueille environ 1 200 personnes, aggravées par la sécurisation croissante et la restriction des mouvements des résidents, ont un impact dévastateur sur leur état de santé physique et mental. Cela s'ajoute aux souffrances endurées au cours de leur voyage.

Voici des clichés pris par des patients de MSF à l'intérieur du CCAC, qui donnent un aperçu de leurs luttes quotidiennes et mettent en lumière les conditions de vie indignes auxquelles ils sont confrontés, en leur donnant la possibilité de raconter leur propre réalité.

Santé mentale, Lesbos
Santé mentale, Lesbos ©MSF
Santé mentale, Lesbos. ©MSF
Santé mentale, Lesbos. le 15 août 2024. ©MSF

Témoignage de l’équipe de travailleurs sociaux et de santé mentale de MSF : 

Pour les personnes vulnérables, comme celles en quête de sécurité qui arrivent sur Lesbos et vivent dans le Centre fermé d’accès contrôlé, le 10 octobre, Journée mondiale de la santé mentale, est l'occasion de reconnaître les difficultés auxquelles elles sont confrontées en raison de leurs mauvaises conditions de vie et de l'impact de ces conditions sur leur bien-être mental. Nous souhaitons également profiter de cette occasion pour souligner l'importance du soutien de la communauté et de ce qu'il peut faire pour favoriser la résilience et aider au rétablissement. 

Les conditions de vie auxquelles nos patients sont confrontés sont souvent terribles et pèsent lourdement sur leur santé mentale. Nombre des personnes que nous aidons portent non seulement les cicatrices de leur voyage ou de leur expérience dans leur pays d'origine, mais aussi le poids de l'incertitude quant à leur avenir. Les personnes se sentent privées de leur liberté de choisir ou de contrôler leurs choix. Chaque décision est prise pour eux - de la nourriture qu'ils mangent à l'heure à laquelle ils peuvent se doucher en fonction de l'eau disponible. L'accès limité aux produits de première nécessité - l'eau, la nourriture, les soins de santé et les vêtements, par exemple - crée un état d'insécurité permanent.

Par ailleurs, les conditions de vie elles-mêmes peuvent rappeler des traumatismes passés et déclencher des souvenirs et des sentiments pénibles. 

Avez-vous déjà pensé que le simple bruit de vents forts et de vagues violentes pouvait évoquer le souvenir d'un voyage traumatisant dans une petite embarcation à travers la mer Égée pour une personne qui a cherché la sécurité à Lesbos ? Aujourd'hui, vivant dans une tente au bord de la mer, nos patients revivent ce cauchemar chaque nuit.

En outre, l'incertitude entourant la procédure d'asile ajoute au fardeau psychologique de la personne. Le manque de clarté concernant leur demande peut accroître l'anxiété et la peur. Les procédures accélérées ou les longs processus bureaucratiques sont aggravés par les barrières linguistiques et les différences culturelles, qui compliquent l'accès aux services et empêchent de comprendre l'aide disponible. Il est alors plus difficile pour une personne de défendre ses besoins.

En tant que psychologues et travailleurs sociaux à Lesbos, nous nous efforçons de créer un environnement sûr et favorable, où les patients peuvent partager leur histoire. Les gens viennent nous voir avec des sentiments de stress, de peur, de perte et de désespoir. Il est décourageant de voir à quel point toutes les expériences passées et présentes nuisent à leur bien-être, entraînant souvent un syndrome de stress post-traumatique, une dépression, de l'anxiété et une psychose. 

Nous essayons d'établir une relation de confiance avec nos patients, en comprenant que pour beaucoup d'entre eux, partager leur histoire est effrayant et difficile. Il faut également consacrer du temps à chaque personne individuellement, ce qui n'est souvent pas possible car les personnes peuvent être soudainement transférées du camp vers le continent. Pourtant, chaque interaction avec eux nous donne un nouvel aperçu de la résilience de l'esprit humain. Elle nous expose également aux dures réalités de la vie dans le camp.

Que dire à une jeune mère qui, après avoir passé du temps sans abri et seule, dormant dans un parc en Turquie alors qu'elle était enceinte, s'est retrouvée dans un camp surpeuplé où elle n'a aucune idée de son avenir et de celui de son bébé ?

Ces expériences soulignent le besoin urgent d'un soutien global en matière de santé mentale. Les conditions de vie auxquelles de nombreuses personnes sont confrontées ne sont pas seulement des défis physiques, ce sont des crises de santé mentale qui ne demandent qu'à se manifester. Il est essentiel que nous plaidions en faveur de l'amélioration des conditions de vie et de l'accès aux ressources de santé mentale pour les personnes qui ont atteint Lesbos. 

Nous devons créer un espace où la santé mentale est une priorité, où la guérison est possible et où la dignité de chaque individu est respectée. Continuons à travailler ensemble pour que le bien-être mental soit reconnu comme un aspect fondamental de la santé - en particulier pour ceux qui ont enduré l'inimaginable.

Témoignage de Wilma van den Boogaard, chercheuse de l’Unité de recherche opérationnelle au Luxembourg (LuxOR)

En 2018, MSF a publié une étude qualitative1 qui a examiné comment, et par quels facteurs, la santé mentale des migrants sur l'île de Lesbos a été affectée par l'accord UE/Turquie qui s’est traduit par le fait que les migrants se sont retrouvés bloqués dans le camp de Moria, tristement célèbre mais « ouvert ». Les principaux résultats, répartis en trois thèmes, sont les suivants 

1) la « violence institutionnelle », exprimée par des conditions de vie inhumaines, le manque d'informations permettant de prendre des décisions pour le futur, l'humiliation et la dépersonnalisation, qui ont conduit à :

2) un « stress traumatique continu » (STC), exprimé par le fait d'être dans un état d'urgence permanent en l'absence de mesures de protection, et :

3) une « prestation de services de santé mentale » totalement inadéquate, les perceptions de la santé mentale étant très différentes parmi les migrants, les délais de rendez-vous longs et les soins psychiatriques insuffisants.

Aujourd’hui, en 2024, les migrants sont désormais dans des centres de détention fermés, et aucun des trois thèmes mentionnés précédemment n'a changé, au contraire, ils ont empiré ! 

(1) Eleftherakos, C., van den Boogaard, W., Barry, D. et al. "I prefer dying fast than dying slowly", how institutional abuse worsens the mental health of stranded Syrian, Afghan and Congolese migrants on Lesbos island following the implementation of EU-Turkey deal. Confl Health 12, 38 (2018). https://doi.org/10.1186/s13031-018-0172-y 

 

Santé mentale, Lesbos. le 15 août 2024. ©MSF
Santé mentale, Lesbos. le 15 août 2024. ©MSF
Santé mentale, Lesbos. le 15 août 2024. ©MSF
Santé mentale, Lesbos. le 15 août 2024. ©MSF

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