Des enfants transportent des marchandises dans une rue plutôt vide de l'ancien souk de Tripoli. Liban, novembre 2020.
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Les crises entremêlées augmentent les besoins et détériorent l'accès aux soins

Le mardi 19 janvier 2021

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Ces crises qui s’accumulent ont exacerbé la vulnérabilité de la population et précipité des milliers de personnes dans la pauvreté. Tout cela vient s’ajouter au fait que le Liban accueille le plus grand nombre de réfugiés par habitant au monde.

« Cette situation a accentué les besoins de la population. La pression socio-économique surtout rend le coût des produits de base, dont la nourriture, de plus en plus difficile à assumer pour beaucoup », explique le Dr Caline Rehayem, coordinatrice médicale adjointe MSF au Liban.  

« Les frais médicaux sont également devenus prohibitifs pour les personnes les plus vulnérables. Ce contexte est de nature à compliquer l'accès aux soins et dégrader l'état de santé de la population, et nos équipes sur le terrain ont dèjà commencé à observer des signes de détérioration. »

Un enfant dans le campement informel de Rif Al Sham à Arsal. Vallée de la Bekaa. Liban. Décembre 2020.

Au cours de l'année écoulée, les équipes travaillant dans les cliniques MSF ont constaté une augmentation de la vulnérabilité parmi les patients qui sont nombreux  à faire état de difficultés financières liées à la situation économique du pays.

Pour certains, cela impacte notamment leur capacité à suivre correctement leur traitement. Les conséquences sur le bien-être psychologique des personnes sont également visibles et constituent une préoccupation majeure pour MSF.

Aggravation de la pauvreté

Plus de la moitié de la population libanaise est confrontée à la pauvreté selon l'ONU, soit près de deux fois plus que l'année dernière. En ce qui concerne les réfugiés syriens vivant dans le pays, on estime que 89% d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté extrême, c’est-à-dire qu’ils vivent avec moins de 10 000 Livre libanaise par jour par personne, ce qui équivaut à 5,4 euros.

Un nombre croissant de Libanais ont frappé aux portes des cliniques MSF au cours de l'année dernière, incapables de continuer à couvrir leurs frais médicaux. Dans la clinique MSF à Hermel, dans la partie nord de la vallée de la Bekaa, le nombre de patients libanais atteints de maladies chroniques qui ont sollicité nos services a plus que doublé entre 2019 et 2020.

À Arsal, une autre ville de la vallée de la Bekaa, le nombre de consultations pédiatriques pour les jeunes patients libanais au sein de la clinique MSF a également connu une augmentation de 100 % en l'espace d'un an.

Deux femmes échangent au milieu d'un campement informel, fait d'abris de fortune, dans le gouvernorat d'Akkar, près de la frontière syrienne. Liban, décembre 2020.

Le système de santé libanais, fortement privatisé, était déjà un obstacle important pour les personnes les plus vulnérables dans le pays, qui luttaient pour accéder à des soins à un prix abordable.

Le taux annuel d’inflation, qui a atteint plus de 133% en novembre 2020, a touché à la fois la population libanaise et les réfugiés, et a eu un impact direct sur leur capacité à accéder aux soins de santé.

« Il y a deux mois, mon mari a perdu son travail. Nous avons toujours été pauvres, mais au moins, avant, on s’en sortait », explique Fatima, une Libanaise âgée de 58 ans qui vit à Hermel et souffre de graves complications dues au diabète.

« Nous mangeons surtout des lentilles, du boulgour et des pommes de terre, beaucoup de pommes de terre. Ce n'est pas un très bon régime pour mon état de santé, mais c'est tout ce que nous pouvons nous permettre. Sans MSF, pour mes traitements, je devrais compter sur la charité des gens. »

Fatima est assise devant la maison de ses beaux-parents, où elle vit avec son mari et sa fille unique, à Hermel, dans le nord de la vallée de la Bekaa. Liban, décembre 2020.

Les patients atteints de diabète doivent suivre un régime équilibré pour aider à contrôler leur taux de sucre dans le sang et réduire les risques de développer des complications. Cependant, dans les cliniques MSF à travers le pays, les patients qui expriment des difficultés pour accéder à des produits alimentaires de base comme la viande, le poulet ou encore certains légumes, sont devenus une réalité quotidienne. 

Ahmed est un réfugié syrien qui vit dans un campement informel dans la périphérie d’Arsal. Il y a quatre mois, sa plus jeune fille, Zeinab, a été diagnostiquée avec de l’anémie.

« Elle avait l'air très malade. Elle était très pâle et ne mangeait quasiment rien. Le médecin nous a prescrit un supplément de fer et nous a conseillé de lui donner plus de légumes et de haricots, car nous ne pouvons plus nous permettre de manger de la viande. Tous les prix ont au minimum quadruplé et cela ne fait qu'empirer », dit-il.

Une crise après l'autre

La pandémie de Covid-19 qui a frappé le pays au printemps, suivie par la terrible explosion du port de Beyrouth en août 2020, n'ont fait qu'aggraver la situation désastreuse du Liban.

Le fragile système de santé publique, qui était déjà confronté à des pénuries régulières de médicaments et matériels médicaux en raison de la crise financière, a été davantage mis à mal.

L'explosion du mois d'août, qui a fait des milliers de blessés et des centaines de milliers de personnes déplacées, a également détruit des infrastructures, dont plusieurs hôpitaux. L'entrepôt central du ministère de la Santé, où étaient stockées toutes les fournitures médicales nationales, a également sérieusement été endommagé.

Un sondage[1] mené par les équipes MSF sur un échantillon aléatoire de 253 patients atteints de maladies non-transmissibles, vus dans le cadre de notre réponse d’urgence suite à l'explosion de Beyrouth, a montré que 29% d'entre eux avaient déjà interrompu ou rationné leur traitement avant l'explosion. Près de la moitié de ces patients ont mentionné des difficultés financières comme en étant la principale raison, tandis que 11 % ont déclaré que c'était dû à la pénurie de médicaments.

Mariam, 49 ans, a huit enfants. Elle vit avec son fils cadet et deux autres femmes dans un quartier défavorisé d'Abdeh, une ville située dans le nord du pays, dans le gouvernorat d'Akkar. Liban, novembre 2020.

« Quand je me rends au centre de santé, ils me disent souvent qu'il n'y a pas de médicaments disponibles. Les pharmacies aussi sont réulièrement à court de médicaments », explique Mariam, Libanaise et mère de huit enfants, qui vit à Abdeh, dans le nord du Liban. Mariam souffre de plusieurs maladies chroniques, notamment du diabète et des problèmes cardiovasculaires. Son plus jeune fils est asthmatique.

« Je suis anxieuse quand je pense à ce qui arriverait si je ne pouvais plus travailler. Comment pourrais-je me procurer tous les médicaments ? Il faudrait que je choisisse entre les médicaments pour mon fils et mes propres traitements. »

Depuis l'explosion, le système de santé publique lutte également face au nombre croissant de cas Covid-19 dans le pays, qui est passé de moins de 200 cas par jour avant l'explosion à une moyenne de 1 500 par jour en décembre 2020. Ainsi à ce jour, plus de 199 000 cas ont été enregistrés.

Samaher, une réfugiée syrienne âgée de 40 ans, dans le camp informel d'Akkar, dans le nord du Liban, où elle vit avec son mari et ses quatre enfants. Liban, décembre 2020.

Pour aider le système de santé publique débordé à faire face à la pandémie, MSF a intensifié sa réponse au Covid-19 au Liban à partir d'août 2020. Nous avons temporairement transformé notre hôpital à Bar Elias, dans la vallée de la Bekaa, en une structure pour les patients atteints du Covid-19, avec une capacité de 20 lits, dont 5 lits pour les soins intensifs.

L’unité de soins intensifs a été entièrement occupée depuis la dernière semaine de septembre 2020. MSF soutient aussi un centre d'isolement à Sibline, dans le sud du pays. En outre, les équipes de MSF participent à des activités de dépistage, de promotion de la santé et de formation en lien avec le Covid-19 dans différents endroits du pays.

Les mesures de confinement, bien que nécessaires, ont contribué à aggraver les difficultés économiques de la population.

« Mon mari avait l’habitude de travailler en tant que journalier dans l'agriculture ou la construction. Mais avec la situation économique et maintenant le coronavirus, c'est devenu plus difficile. Il ne travaille que deux ou trois jours par semaine, et des fois il n'y a rien pendant une quinzaine de jours. Lorsqu'il ne trouve pas de travail, nous devons emprunter de l'argent aux voisins pour pouvoir acheter de la nourriture », raconte Samaher, une réfugiée syrienne de 40 ans, qui vit dans un campement informel dans le gouvernorat d’Akkar, à proximité de la frontière syrienne.

Une population à bout

Pour beaucoup de gens au Liban, qu'ils soient libanais, réfugiés ou travailleurs migrants, la crise économique actuelle, associée à la détérioration des conditions de vie, vient s'ajouter à des événements traumatisants et expériences stressantes qu'ils ont dû affronter précédemment, comme le conflit ou le déplacement.

Ces facteurs de stress permanents ont contribué à perturber le bien-être psychologique de la population. De nombreux patients qui font appel aux services de santé mentale de MSF présentent des symptômes liés à une détresse émotionnelle, de la dépression, de l'anxiété et du désespoir.

« Je me sens déprimé et tellement inutile. La situation économique au Liban est désastreuse. J'espère seulement que nous ne finirons pas à la rue », dit Tawfik, un réfugié palestinien qui vit dans le camp de Chatila, à Beyrouth et dont la famille dépend entièrement des organisations onusiennes et humanitaires pour survivre.

« Nous sommes si fatigués… », ajoute sa femme Hanadi, sans pouvoir retenir ses larmes.

Tawfik est assis dans sa chambre, dans le camp de Chatila, dans le sud de Beyrouth. Liban, décembre 2020.

Cela fait écho à ce que ressent Fatima à Hermel, plus au nord du pays.

« Je pleure beaucoup et je me sens coupable pour ma fille qui doit assumer des responsabilités qu’elle ne devrait pas avoir à son âge. Rien de ce à quoi je pense ne me réconforte », dit-elle. « La crise économique a été le coup de grâce. Tout ce que je voudrais, c'est pouvoir vivre décemment. »

Coup après coup, les mécanismes d'adaptation des gens s’affaiblissent et garder la tête hors de l'eau devient de plus en plus difficile pour beaucoup.

« Nous essayons d'aider autant que possible dans un contexte aussi complexe et nous sommes déterminés à continuer à le faire », déclare le Dr Caline Rehayem. « Mais nos capacités sont également limitées et nous ne pouvons pas répondre à tous les besoins. C’est désolant de constater que la population devient toujours plus vulnérable et que de plus en plus de personnes ont besoin d'un soutien médical. »

[1] Une enquête téléphonique réalisée du 9 au 22 septembre 2020.

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