Casa del Migrante (Maison du Migrant) dans la ville de Reynosa, État de Tamaulipas, au nord du Mexique.
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« Les caravanes de migrants ne sont que la pointe de l’iceberg dans un océan de désespoir »

Le mercredi 18 décembre 2024

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Après avoir traversé l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale et même l’Atlantique, des centaines de milliers de migrants, dont la plupart se dirigent vers les États-Unis, tombent dans les limbes au Mexique, coincés entre la violence de multiples acteurs armés, des stratégies de refoulement par l’usure et un puzzle bureaucratique complexe pour demander l’asile.

Témoignages de Daniel Bruce et Ricardo Santiago, coordinateurs de Médecins Sans Frontières (MSF) dans le sud du Mexique

 

À Tapachula, une foule de migrants se rassemble peu après leur arrivée au Mexique. Jusqu’à récemment, beaucoup arrivaient dans cette ville frontalière avec le Guatemala après avoir traversé le fleuve Suchiate à proximité en bouée pneumatique, mais ces derniers temps, on ne les voit plus beaucoup ici. Les routes migratoires au Mexique – pays d’origine, de transit, de destination et de retour – changent constamment, mais le flux constant de centaines de milliers de personnes ne diminue pas.

Ce flux, de plus en plus constitué de femmes seules ou accompagnées d'enfants, provient de pays d'Amérique centrale comme le Guatemala, le Honduras et le Salvador ; du sud du continent, notamment du Venezuela ; et dans une moindre mesure, de Colombie et d'Équateur. On y trouve aussi des migrants d'Haïti et même d'outre-Atlantique : du Sénégal, du Pakistan, de Chine et de nombreux autres pays.

À Tapachula, de nombreux migrants entament des démarches administratives avant de poursuivre leur périple à travers le vaste territoire mexicain vers les États-Unis. C’est là que se forment de nombreuses caravanes de migrants, dont la fréquence et la taille ont augmenté ces derniers mois, même si la plupart finissent par se dissoudre par la coercition et la tromperie avant même d’atteindre Mexico, selon les témoignages. Les migrants marchent ensemble pour tenter de réduire leur exposition à la violence des multiples acteurs armés qui opèrent sur un trajet allant jusqu’à 3 000 kilomètres entre les frontières sud et nord du Mexique.

De nombreuses formes de violences tout au long du parcours

Les violences auxquelles sont confrontés les migrants vont de la torture aux violences sexuelles, en passant par les enlèvements, les vols, les menaces, la privation d’eau et de nourriture, les brûlures et l’extorsion, et ont de graves conséquences sur la santé physique et mentale des migrants, parfois irréversibles. De nombreuses personnes portent déjà un lourd baggage après avoir fui leur propre pays en raison des conflits, de la violence et de l’exclusion, et subissent ensuite ces nouvelles attaques à certains endroits du corridor migratoire latino-américain, comme la dangereuse jungle du Darién au Panama.

Camp « El Bordo » dans la ville de Matamoros, dans l’État de Tamaulipas, au nord du Mexique, juste à la frontière avec les États-Unis délimitée par le Río Bravo.

L’augmentation récente du nombre de caravanes de migrants dans le sud du Mexique a conduit MSF à redoubler d’efforts pour venir en aide aux migrants. Entre fin septembre et début décembre, nous avons assisté 12 caravanes – composées de quelque 10 000 personnes – dans les États du Chiapas, de Oaxaca et de Veracruz, et fourni plus de 1 900 consultations médicales.

Parmi les personnes soignées, on trouve des patients souffrant de maladies respiratoires aiguës, de maladies musculo-squelettiques, de maladies cutanées et gastro-intestinales, causées par les conditions auxquelles ils sont confrontés, notamment la consommation d'eau insalubre, les longues marches et les températures élevées. On a également constaté des cas de maladies chroniques telles que l'hypertension, l'asthme et le diabète. Malgré la fragilité avec laquelle les migrants accomplissent leur voyage, les forces de sécurité bloquent parfois l'accès à des aires de repos adaptées. C'est ce qui s'est produit en novembre à La Venta, où des centaines de personnes ont été obligées de s'arrêter au bord d'une route périphérique, exposées à de potentiels accidents de voiture.

Ces caravanes de migrants ne sont que la pointe visible de l’iceberg dans un océan de désespoir. Elles représentent une petite fraction des plus de 925 000 personnes qui se trouvaient en situation migratoire irrégulière entre janvier et août 2024, selon les données de l’Institut national des migrations. Il s’agit d’une augmentation de 131 % par rapport à la même période l’année dernière, ce qui est un signe que l’aggravation de la crise humanitaire à laquelle sont confrontés les migrants au Mexique va bien au-delà de la récente augmentation des caravanes.

Pour MSF, il est très difficile d’atteindre certaines personnes en déplacement, car beaucoup d’entre elles choisissent des itinéraires moins fréquentés, plus susceptibles d’être victimes des réseaux de traite. Nous savons que beaucoup n’ont pas accès aux services de base et que, dans certains cas, elles ont besoin de soins médicaux et psychologiques urgents.

Le camp d'El Bordo, dans la ville de Matamoros, au nord du Mexique, abrite à peine une douzaine de tentes, mais des milliers de personnes y ont vécu autrefois en attendant de pouvoir traverser la frontière vers les États-Unis.

En plus des caravanes, entre août et novembre, nos équipes ont réalisé près de 8 900 consultations médicales dans des cliniques fixes, des points de soins ou des abris improvisés dans divers endroits du sud du Mexique, sensibilisé 17 195 personnes aux problèmes de santé et distribué 25 000 kits de secours. Au cours de ces interventions, nous avons apporté un soutien psychologique à 1 083 patients souffrant d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique ou aigu, et soigné 37 survivants de violences extrêmes et 120 victimes de violences sexuelles. En dehors des caravanes, nous trouvons généralement un plus grand nombre de patients en situation de grande vulnérabilité, et le temps que nous pouvons leur consacrer est plus long.

Le casse-tête bureaucratique pour obtenir l'asile

Les migrants se sentent étouffés et désespérés en raison d'un processus de demande d'asile extrêmement complexe et long, qui n'est pas exempt de changements arbitraires et soudains, tant au Mexique qu'à travers le système CBP One des États-Unis, ainsi que de stratégies d'attrition des autorités mexicaines qui incluent des retours forcés - généralement en bus - des zones du nord et du centre du pays vers des villes du sud comme Oluta, Villahermosa ou Tuxtla.

Ces stratégies non seulement ne parviennent pas à stopper la migration, malgré l’accent mis sur la maîtrise des flux, mais laissent également les migrants sans protection et exposés à la violence du crime organisé et d’autres acteurs armés

Nous exhortons les autorités du Mexique, des États-Unis et des pays situés le long du corridor migratoire latino-américain à assurer des voies de migration sûres et à renforcer les services de base disponibles, notamment les soins de santé et les espaces où les personnes peuvent se reposer dans la dignité.

Une équipe d'éducateurs communautaires de MSF dans la ville de Suchiate informe les migrants nouvellement arrivés sur les services médicaux et autres que MSF offre dans l'État du Chiapas, au sud du Mexique, et dans le reste du Mexique.

Au terme d’une année 2024 désastreuse, violente et inhumaine pour les personnes en déplacement, nous espérons qu’en 2025, les nouveaux gouvernements du Mexique, des États-Unis et d’autres pays de la région respecteront le droit d’asile et les droits de l’homme et reconnaîtront qu’il existe une crise humanitaire majeure qui ne disparaîtra pas. Seule cette reconnaissance permettra d’améliorer les conditions médicales et humanitaires des personnes qui fuient vers l’inconnu, laissant tout derrière elles en quête de bien-être et de sécurité.

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