Des survivantes participent à une session de sensibilisation et de discussion sur les violences faites aux femmes animée par la psychologue de MSF dans la salle de clinique de Geo Barents.
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Récits de femmes en mer : Témoignages de survivantes fuyant à travers la Méditerranée centrale

On Tuesday, March 7, 2023

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À la minute où je me serais retrouvée seule, ils m’auraient violée » - Adanya, 34 ans, originaire du Cameroun.

En Libye, je dormais sous les camions et les bus car je n'avais pas d'argent » - Afia, 24 ans, du Ghana.

Je sais que si je dis à ma mère que je suis en Libye, elle pleurera tous les jours » - Ibrahim, 28 ans, originaire du Nigeria.

Ils m'ont dit que si j'avais des relations sexuelles avec eux, ils pourraient m'emmener [de l'autre côté de la mer] sans avoir à payer » - Linda, 19 ans, de Guinée Conakry.

Les expériences relatées par ces quatre survivantes sont tristement communes parmi les femmes et les hommes secourus par le Geo Barents, le navire de sauvetage de Médecins Sans Frontières en Méditerranée centrale.

Toute personne qui traverse la mer pour échapper à une situation dangereuse ou pour trouver une vie meilleure se trouve dans une position vulnérable, mais les femmes sont confrontées au fardeau supplémentaire de la discrimination fondée sur le sexe et, trop souvent, de la violence qui s’y ajoute, tout au long de leur parcours. Les femmes ne représentent qu'une faible proportion - environ 5 % - des personnes qui effectuent le dangereux voyage de la Libye à l'Italie.

À bord du Geo Barents, les survivantes révèlent régulièrement que des pratiques telles que le mariage forcé ou les mutilations génitales (les concernant elles-mêmes ou leurs filles) font partie des raisons pour lesquelles elles ont été forcées de quitter leur foyer. Les équipes médicales de MSF rapportent que les femmes sont proportionnellement plus susceptibles de souffrir de brûlures de carburant pendant la traversée de la Méditerranée, car elles ont tendance à être placées au milieu du bateau, là où l'on pense qu'elles sont le plus en sécurité. De nombreuses femmes secourues rapportent également avoir subi diverses formes de violence, y compris des violences psychologiques et sexuelles et la prostitution forcée.

« Immense et inconsolable tristesse »

Parmi ces femmes figure Decrichelle, qui a fui un mariage forcé avec un mari violent. Elle et son bébé ont quitté leur pays d'origine, le Nigeria, pour rejoindre l'Algérie en passant par le Niger. Lorsqu'elles sont arrivées dans le désert, la fille de Decrichelle est tombée malade et elle n'a rien pu faire pour la soigner car elle n'avait pas accès aux soins ou aux médicaments. La fillette est décédée et Decrichelle a dû la laisser derrière elle avant de poursuivre le voyage vers l'Algérie : une « immense et inconsolable tristesse » pour elle.

« Les femmes, n’acceptez plus la violence!» Decrichelle, Camerounaise, 32 ans  Decrichelle montre le papier plastifié sur lequel elle a noté les numéros de téléphone des personnes qu'elle connaît. C'est la seule chose qu'elle a emportée avec elle lorsqu'elle a traversé la mer.
Decrichelle et d'autres survivants se réveillent le matin du débarquement en Italie, alors que les autorités italiennes assignent le port de Salerne, près de Naples. Une femme tresse les cheveux de son amie, avec qui elle a fait le voyage depuis la Libye.

Decrichelle a tenté une fois de traverser la mer, mais elle a été arrêtée et envoyée en prison, d’où elle a immédiatement été libérée, pour être emmenée en taxi dans une maison close. Des amis camerounais l'ont aidée à s'échapper. Pendant six mois, elle a vécu dans les campos (les bâtiments abandonnés ou les grands espaces extérieurs près de la mer où les trafiquants rassemblent les migrants) avant de rassembler l'argent nécessaire pour payer une nouvelle traversée. « Je veux être dans un endroit où je peux vivre comme une personne normale de mon âge. Je veux pouvoir dormir la nuit », confie-t-elle. « Je voulais être ici avec mon enfant. Cela me fait mal de penser que je suis en sécurité et que je l'ai laissée dans le désert ».

Au-delà des difficultés auxquelles les femmes sont confrontées sur les routes migratoires et en Libye, les équipes MSF à bord du Geo Barents sont souvent témoins des liens forts qui se développent entre les survivantes sur le pont des femmes. Les femmes se rassemblent pour s'entraider dans les tâches quotidiennes et la garde des enfants.

« Je veux dire aux femmes : ce n'est pas de votre faute. Vous êtes exactement la même personne qu'avant. Vous êtes même plus fortes », déclare Lucia, coordinatrice adjointe du projet à bord du Geo Barents, qui a elle-même été victime d'un viol. « Je pense qu'il est très émouvant de voir ces femmes, qui ont échappé à ce que j'ai vécu pendant une heure de ma vie, et qui dans leur lutte, leur force et leur espoir, [n'arrêtent pas] ce combat », ajoute-t-elle.

Lucia, coordinatrice adjointe du projet, pose pour un portrait à bord du Geo Barents le 10 janvier 2023. Lucia (à droite), coordinatrice adjointe du projet, accueille les survivants à bord du navire de sauvetage Geo Barents, en compagnie du médiateur culturel Riad (au milieu) et de l'officier de liaison humanitaire Sébastien (à gauche).
Lucia, se trouve parmi les survivants sur le "pont-abri". Chaque matin, l'équipe fournit des informations clés aux survivants et distribue la nourriture pour la journée.

« Elle est ma source d'inspiration... J'espère la revoir à nouveau ».

Par ailleurs, lorsqu'on interroge les survivants masculins sur les personnes qu'ils ont laissées derrière eux ou sur les raisons de leur voyage, c'est toujours une femme qui est mentionnée dans leurs récits. Ahmed, 28 ans, est né au Soudan de parents érythréens qui se sont installés au Soudan pour fuir la guerre. Ayant vécu toute sa vie en tant que réfugié, Ahmed ne s'est jamais senti à sa place au Soudan. Il souhaitait partir, mais en tant que personne sans papiers, incapable de retourner en Érythrée par crainte de la conscription militaire et d'un régime dictatorial oppressif, il a décidé de se rendre en Libye et de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe.

La mère d'Ahmed a été la seule à le soutenir lorsqu'il a décidé de se convertir du christianisme à l'islam, malgré le harcèlement des autres membres de sa famille. « La conversion à l'islam m'a affecté, a affecté mes amitiés...Au début, je gardais le secret, jusqu'à ce que ma famille l'apprenne, puis le harcèlement a commencé. Mais ma mère m'a acceptée. Elle m'a dit : ‘‘Tout ce qui te met à l'aise, fais-le" ».  Ahmed explique que c'est en partie grâce à sa mère qu'il a pu faire le voyage du Soudan à la Libye en passant par l'Égypte. « Elle joue un rôle très important dans ma vie. Elle m'a toujours soutenu et motivé, me souhaitant le meilleur. Elle est ma source d'inspiration... J'espère la revoir à nouveau ».

Ahmed est photographié avec d'autres survivants sur le pont quelques jours avant le débarquement du navire le 10 janvier 2023.Si toi, la vie, tu as choisi de me défier, je suis le guerrier prêt à se battre pour atteindre ses objectifs." Note d'Ahmed, un Erythréen né au Soudan, secouru sur Geo Barents - janvier 2023.
Ahmed pose pour un portrait à bord du Geo Barents le 10 janvier 2023.Ahmed, un Erythréen né au Soudan, fait la fête avec un autre survivant sur le Geo Barents après avoir été secouru le 6 janvier 2023.

Nejma, médiatrice culturelle à bord du Geo Barents, explique son lien avec des survivants comme Decrichelle et Ahmed : « Je suis africaine et moyen-orientale. Je suis une mère. Je suis une femme. Il y a tellement de choses qui nous unissent. Peut-être aussi le fait que j'ai dû fuir. C'est un élément important. Je pense que cela m'aide à comprendre où sont les gens au moment où nous les trouvons ; c'est une compréhension que les livres ne pourraient jamais m'enseigner. »

En tant que réfugiée elle-même, Nejma partage ce qui l'a aidée à aller de l'avant dans les endroits qu'elle a fuis. « Les survivants doivent garder la force...une fois qu'ils débarquent en Europe, ce n'est pas la fin du voyage », prévient-elle. « Il s'agit d'un défi différent : ne pas abandonner ce qu'ils sont, ne jamais oublier qui ils sont, d'où ils viennent. Il faut être très fier de ses origines. Car vous ne saurez pas où aller si vous ne savez pas d'où vous venez. Et je veux que mes frères et sœurs d'Afrique et du Moyen-Orient, ou de n'importe où, se souviennent de qui ils sont. Il sera ainsi plus facile d'aller de l'avant. »

Nejma, médiatrice culturelle de MSF, s'entretient avec des survivants lors d'une mission de sauvetage le 7 janvier 2023. Nejma, met un point d'honneur à passer du temps avec les survivants pour répondre à leurs questions et leur apporter les conseils, le soutien et les encouragements dont ils ont besoin
En tant que médiatrice culturelle, Nejma identifie les besoins des survivants et les aide à accéder aux soins, au soutien et à l'information auprès de l'équipe MSF.  La médiatrice culturelle Nejma aide un survivant à s'asseoir lors d'une opération de sauvetage, le 6 janvier 2023.

Les photographes

Les témoignages des femmes à bord du Geo Barents ont été recueillis lors des rotations du navire en mer. Les portraits et les témoignages ont été rassemblés par deux femmes photographes, dans le but d'amplifier les voix des femmes, tout en respectant les sensibilités culturelles :

Mahka Eslami est une photographe iranienne née à Paris où elle a vécu jusqu'à l'âge de sept ans avant que ses parents ne retournent à Téhéran. Pendant ses études d'ingénieur en Iran, elle a travaillé comme journaliste pour le Chelcheragh. De retour en France, elle termine ses études d'ingénieur avant de s'orienter vers la photographie documentaire et l'écriture transmédia pour devenir photographe indépendante. Son travail a été publié par Le Monde, Libération, Society, Néon et Les Inrockuptibles.

Nyancho NwaNri est une artiste et documentariste de Lagos, au Nigeria, dont le travail s'articule autour de l'histoire, de la culture et des traditions spirituelles africaines, ainsi que des questions sociales et environnementales. Ses travaux documentaires ont été publiés dans de nombreuses publications, dont le New York Times, The Guardian, Aljazeera, Reuters, Quartz et Geographical Magazine.

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