Beatriz* (à l'extrême gauche), sage-femme stagiaire, discute avec des collègues au centre de santé de Chingussura, à Beira. MSF soutient le personnel du ministère de la Santé dans la prestation de services d'avortement et de maternité sécuritaires. Beira, Mozambique, mai 2023. *Le nom a été modifié pour protéger la vie privée © MIORA RAJAONARY
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Briser les barrières à l'avortement médicalisé au Mozambique

Le mercredi 24 janvier 2024

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À Beira, une ville située sur la côte centrale du Mozambique, Médecins Sans Frontières (MSF) relie les communautés difficiles d'accès à des soins d'avortement sûrs et à d'autres services de santé sexuelle et reproductive. Le Mozambique possède l'une des législations les plus libérales d'Afrique en matière d'avortement, autorisant l'avortement sur demande pendant les 12 premières semaines de grossesse et jusqu'à 24 semaines dans des circonstances limitées, notamment en cas d'anomalie du fœtus.

Bien que l'avortement soit légal depuis 2014, de nombreuses personnes se heurtent encore à des obstacles pour accéder à ces soins, notamment la stigmatisation, la désinformation et la corruption, comme le fait de faire payer des services qui devraient être gratuits. 

MSF travaille à Beira depuis près de dix ans. Nous menons plusieurs programmes en partenariat avec les communautés locales et le personnel du ministère mozambicain de la Santé dans la ville afin de surmonter ces obstacles, de fournir des informations précises sur la santé et d'améliorer l'accès à des soins d'avortement sûrs. 

Notre priorité est d'atteindre les communautés qui sont souvent négligées par le système de santé ou qui évitent de se faire soigner par peur de la stigmatisation ou de la discrimination, notamment les travailleurs du sexe, les adolescents, les personnes transgenres et les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes.

Des acteurs travaillant avec l'équipe de sensibilisation de MSF jouent un sketch sur les services d'avortement médicalisé afin de sensibiliser les habitants d'un quartier défavorisé où nous organisons des cliniques mobiles. Mozambique, 18 mai 2023. © MIORA RAJAONARY/MSF

La collaboration avec les communautés permet d'éliminer les obstacles aux soins

L'approche de MSF est centrée sur la communauté et dirigée par des pairs, dans le but de créer des environnements sûrs et de confiance où tout le monde se sent à l'aise pour accéder aux soins de santé dont il a besoin. Nous fournissons des soins directs et une éducation à la santé par le biais de cliniques mobiles et communautaires dans des lieux où les patients se sentent à l'aise pour se faire soigner.

Il y a trois ans, Glória* est tombée enceinte. Trop effrayée pour aller à l'hôpital en raison des rumeurs qu'elle avait entendues sur le coût élevé des soins et la nécessité d'être accompagnée d'un témoin, elle s'est fait avorter elle-même, chez elle :

« J'ai traversé cette épreuve toute seule. C'était terrible », a déclaré Glória. Elle a eu peur pour sa vie et a décidé d'affronter ses craintes et de demander des soins post-avortement au centre de santé. Contrairement à ce qu'elle avait entendu, l'équipe du centre de santé a aidé Glória à avorter en toute sécurité. 

Suite à cette expérience rassurante, Glória s'efforce maintenant de lutter contre les mythes qui l'ont empêchée de demander un avortement sans risque. « J'ai déjà commencé à le faire avec mes amies. Si elles veulent [se faire avorter], je leur dis d'aller au centre de santé et ils [vous aideront] », a-t-elle déclaré.

 

Maria*, 25 ans, est une étudiante universitaire qui a bénéficié d'un avortement médicalisé au centre de santé Munhava à Beira. Mozambique, 18 mai 2023.  © MIORA RAJAONARY/MSF

Diminution de la stigmatisation

Les équipes de MSF forment et encadrent des éducateurs pairs qui fournissent des informations fiables, des conseils et un soutien à leurs communautés sur les avortements médicalisés et d'autres questions de santé, notamment concernant le VIH et les maladies sexuellement transmissibles. MSF soutient également 11 établissements du ministère de la Santé à Beira pour décentraliser les soins d'avortement médicalisé dans la ville, afin de les rapprocher des communautés.

Le personnel de ces cliniques procède désormais à environ 700 avortements sécurisés par trimestre. De janvier 2022 à juin 2023, la fourniture de soins d'avortement sécurisé a augmenté de 41 %, et les soins post-avortement ont diminué de 73 %. Bien que les soins post-avortement comprennent les avortements spontanés (connus sous le nom de fausses couches) ainsi que les avortements dangereux, nous pensons que la diminution est probablement due au fait que moins de femmes ont recours à des méthodes dangereuses pour mettre fin à leur grossesse maintenant que les soins d'avortement sûrs sont plus facilement accessibles.

L'approche décentralisée repose sur trois piliers : le don de médicaments et de contraceptifs pour l'avortement, la formation du personnel à la fourniture de soins d'avortement sûrs et un programme de mentorat visant à améliorer la qualité des soins. 

L'objectif principal du programme de mentorat est de doter les travailleurs de la santé des compétences nécessaires pour servir de manière appropriée les personnes appartenant à des groupes marginalisés, en particulier les travailleurs du sexe, afin de faire des établissements de santé des lieux exempts de préjugés, où tout le monde se sent en sécurité pour demander des soins.

Emily est une travailleuse du sexe qui vit à Beira avec son mari et le plus jeune de ses trois enfants. Elle est actuellement la seule à subvenir aux besoins de sa famille. Elle vient à la clinique communautaire de MSF à Beira depuis 2018. En décembre 2022, Emily est tombée enceinte et s'est rendue à la clinique pour un avortement sécurisé après avoir reçu des informations et du soutien de la part d'une collègue travailleuse du sexe.

Nous nous encourageons mutuellement à nous rendre à la clinique », explique-t-elle. « Nous sommes amies, et aucune ne se moque de l'autre... parce que nous vivons tellement de choses différentes au cours de notre travail. »

Certains membres du personnel de santé hésitent à pratiquer des avortements médicamenteux au-delà de 12 semaines, bien qu'ils soient légaux au Mozambique jusqu'à 16 semaines dans les cas de violence sexuelle. MSF tente de résoudre ce genre de problèmes par le biais de son programme de mentorat avec le personnel du ministère de la Santé dans les cliniques que nous soutenons à Beira. Plusieurs groupes de pression locaux demandent également que la limite de 16 semaines soit étendue à toutes les personnes cherchant un avortement médicalisé, car limiter l'accès à ce service au deuxième trimestre met gravement en danger la vie des femmes qui n'ont pas pu accéder à des services d'avortement plus tôt au cours de leur grossesse.

Soins d'avortement sûrs à Beira de janvier 2022 à juin 2023 :

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Augmentation du nombre d'avortements sûrs.

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Diminution des soins post-avortement.

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Nombre d'avortements sécurisés par trimestre dans les structures soutenues par MSF

« Nous avons évité des décès »

Isaura est une infirmière qui travaille pour le ministère de la Santé au centre de santé Fantasia à Beira. Elle a été formée par MSF et fournit des soins d'avortement sans risque depuis près de trois ans.

Je me sens à l’aise [de fournir ces soins] », dit Isaura. « Avant, nous avions beaucoup d'avortements incomplets, beaucoup d'avortements non sécurisés - elles prenaient des pilules [non sécurisées], elles s’inséraient des bâtonnets. Depuis que nous pratiquons l'avortement médicalisé, nous n'avons plus beaucoup de problèmes d'avortements non médicalisés dans la communauté. Nous avons évité des décès»

Le nombre d'avortements pratiqués par la clinique fluctue, mais Isaura précise qu'il peut aller jusqu'à 60 en un mois. La plupart des personnes qui viennent se faire soigner ont entre 15 et 30 ans, mais certaines femmes plus âgées cherchent également à se faire avorter dans de bonnes conditions. Isaura et son équipe proposent également des conseils aux personnes pour discuter de leurs questions ou de leurs inquiétudes, ainsi que des services de planification familiale.

Des femmes marchent dans un quartier défavorisé de Beira. En 2014, le pays a adopté des lois sur l'avortement afin de réduire le nombre élevé de décès maternels causés par des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses. Mozambique, 18 mai 2023.  © MIORA RAJAONARY/MSF

Lutter contre les mythes et la désinformation sur l'avortement

Les idées fausses sur l'avortement et la contraception sont courantes à Beira. Par exemple, de nombreuses personnes pensent que le fait de commencer à utiliser une méthode contraceptive maintenant pourrait signifier qu'elles ne pourront plus tomber enceintes à l'avenir. Il s'agit également d'un mythe répandu sur les conséquences d'un avortement médicalisé.

MSF a également entendu des femmes déclarer avoir été facturées par des prestataires de soins de santé pour des soins d'avortement sûrs - un service qui devrait être gratuit.

« Je ne savais pas ce qu'était l'avortement - c'était la première fois », a déclaré Maria José*. 

Quand je suis arrivée [à la clinique], ils ne se sont pas occupés de moi correctement. Ils m'ont traitée de façon agressive et m'ont demandé de l'argent - je leur ai versé 500 meticais [environ 8 dollars américains - alors que la plupart des gens vivent avec moins de 2,15 dollars américains par jour] ». Il est important que les gens sachent qu'ils ne devraient pas être facturés pour ce service, afin qu'ils n'aient pas recours à des méthodes dangereuses par désespoir.

MSF utilise divers outils pour lutter contre les mythes et diffuser des informations sanitaires exactes sur les soins d'avortement sûrs auprès de la communauté. Nous faisons de la publicité et organisons des discussions sur les médias sociaux et à la radio, nous mettons à disposition une ligne d'assistance téléphonique que les gens peuvent appeler pour obtenir des informations supplémentaires et nous nous associons à des troupes de théâtre locales qui jouent des sketches sur les soins de santé sexuelle et reproductive.

Beatriz* est sage-femme stagiaire au centre de santé de Chingussura à Beira. En 2022, elle a décidé d'avorter pour pouvoir terminer ses études cette année. Son mari et sa famille ont soutenu sa décision. Elle a entendu des rumeurs dans la communauté selon lesquelles il n'est pas possible de tomber enceinte après un avortement médicalisé. « C'est un mythe », a déclaré Beatriz. Pour preuve, maintenant que ses études sont presque terminées, Beatriz a hâte d'avoir un enfant. « Je suis maintenant enceinte de sept mois », nous confie-t-elle d’ailleurs.

MSF anime également des ateliers, connus sous le nom d'Exploration des valeurs et des attitudes vis-à-vis de l'avortement (EVA), dans son centre communautaire et dans les établissements du ministère de la Santé. L'atelier vise à remettre en question les croyances et les pratiques néfastes liées à l'avortement et à faire comprendre la nécessité d'accéder à des soins d'avortement sûrs.

Paula, infirmière du ministère de la santé au centre de santé de Munhava, a d'abord été confrontée à ses propres sentiments concernant la fourniture de soins d'avortement sûrs. Elle était stigmatisée par ses collègues pour le service qu'elle fournissait et se sentait déconnectée de son travail.

Après que MSF a organisé un atelier EVA dans le centre de santé de Munhava, les critiques que Paula recevait de ses collègues ont cessé. 

Après la formation EVA, tout le monde a compris l'importance de l'avortement », dit-elle. « À partir de ce moment-là, tout s'est déroulé dans la sérénité. »

« Personne ne devrait avoir honte de se faire avorter »

Maria a subi un avortement médicalisé dans un centre de santé soutenu par MSF à Beira en mai 2023. Par la suite, elle a parlé de la nécessité de lutter contre la stigmatisation qui entoure l'avortement au sein de la communauté.

Parfois, les gens ont peur d'aller au centre médical [en pensant] qu'ils seront critiqués parce qu'ils se sont fait avorter », a-t-elle déclaré. « Nous devons leur dire que personne ne doit avoir honte de se faire avorter. Au Mozambique, la loi défend le droit à l'avortement. Je ne pense pas qu'il faille avoir honte de le faire ».

*Les noms ont été modifiés.

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