Youssef Al-Khishawi, un agent MSF chargé de l'eau et de l'assainissement, aide des enfants à transporter de l'eau jusqu'à leur tente dans le quartier de Tal Al-Sultan, dans la ville de Rafah, au sud de Gaza, le 27 janvier 2024. © MSF
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Acheminer des fournitures vitales à Gaza : une tâche impossible

Le vendredi 3 mai 2024

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Cet Op-eda été écrit par Mari Carmen Viñoles, responsable des programmes d'urgence de Médecins Sans Frontières.

Un concentrateur d'oxygène est un appareil médical qui filtre l'azote présent dans l'air et fournit de l'oxygène purifié aux patients. Pour les enfants malnutris souffrant d'anémie sévère, les blessés ayant perdu beaucoup de sang et les nouveau-nés ayant des difficultés respiratoires, cet appareil peut faire la différence entre la vie et la mort.

Mais bien qu'il soit essentiel à la survie de nos patients, nous ne savons pas si et quand un concentrateur d'oxygène parviendra à un hôpital de Gaza.

Les autorités israéliennes, qui exercent un contrôle total sur les points d'entrée et de sortie de Gaza, ont refusé à plusieurs reprises les demandes de MSF d'apporter du matériel biomédical tel qu'un concentrateur d'oxygène ; lorsqu'une demande a été approuvée, les interminables procédures d'inspection à la frontière ont abouti au même résultat au cours des six mois qui se sont écoulés depuis le début de la guerre.

Sans ce simple appareil, nos équipes médicales à Gaza sont contraintes de voir leurs patients mourir de causes tout à fait évitables.

Voyons comment fonctionne le processus d'acheminement de l'aide à Gaza. À leur arrivée à l'aéroport égyptien d'Al-Arish, les fournitures humanitaires sont chargées dans des camions et acheminées vers les entrepôts du Croissant-Rouge égyptien, où elles sont inspectées par les autorités égyptiennes. Après inspection, elles sont rechargées sur des camions et conduites au poste frontière de Rafah. Cette première étape dure de cinq à dix jours.

À Rafah, tous les camions sont scannés, puis conduits jusqu'à un poste de contrôle israélien situé à une cinquantaine de kilomètres au sud, à Nitzana, où les fournitures sont déballées, chargées sur des palettes spéciales pour passer dans le scanner, et scannées à nouveau.  Le convoi retourne ensuite à Rafah, où les fournitures approuvées par les autorités israéliennes sont déchargées des camions égyptiens sur des camions palestiniens pour entrer dans la bande de Gaza. Cette étape peut prendre des semaines.

Il s'écoule en moyenne quatre à cinq semaines entre le moment où une cargaison arrive sur le territoire égyptien et celui où elle entre à Gaza. Si un seul article d'une cargaison est rejeté à Nitzana, la cargaison entière est rejetée et renvoyée à Rafah, où le long processus recommence.

Début novembre 2023, nous avons demandé à Israël d'introduire des réfrigérateurs et des congélateurs à Gaza. Ces appareils sont indispensables pour conserver les médicaments et les vaccins qui nécessitent des températures basses, comme l'insuline pour le diabète, l'ocytocine pour réduire les hémorragies post-partum et le suxaméthonium, utilisé en anesthésie pour induire une paralysie musculaire. Ce n'est qu'en avril, soit cinq mois plus tard, que la demande a été approuvée. Si tout se passe bien, les réfrigérateurs et les congélateurs arriveront à Gaza ce mois-ci.

Ce ne sont pas les seuls articles essentiels en attente. Nous attendons toujours l'autorisation d'apporter des générateurs, des bouteilles d'oxygène, des échographes, des défibrillateurs externes, des solutions intraveineuses de chlorure de sodium, indispensables pour réhydrater les patients et diluer les médicaments... 

La liste est aussi longue qu'alarmante.

Nous n'avons reçu aucune réponse d'Israël à une demande faite il y a plusieurs mois pour l'envoi d'équipement essentiel à énergie solaire, y compris des systèmes électriques pour les installations médicales, des pompes à eau et des systèmes de désalinisation de l'eau. Les systèmes de télécommunications par satellite et les véhicules de MSF - essentiels pour assurer la sécurité de nos équipes et leur permettre de se rendre là où elles sont nécessaires - ont également été refusés, restreints ou sérieusement retardés. 

Les autorités israéliennes ont déclaré sur X le 3 mars : "Il n'y a pas de limite à la quantité d'aide humanitaire qui peut entrer dans la bande de Gaza". Cette déclaration est en contradiction flagrante avec la réalité. Le 26 janvier, puis le 28 mars, la Cour internationale de justice a demandé à Israël de prendre "toutes les mesures nécessaires et efficaces" pour garantir la fourniture sans entrave des "services de base et de l'aide humanitaire dont on a un besoin urgent, tels que l'eau, l'électricité, le carburant et les fournitures médicales".

Il n'y a pas de clarté ni de cohérence dans ce qui est autorisé à Gaza. Parfois, les organisations humanitaires peuvent introduire certains articles, parfois non. Parfois, une cargaison entière est rejetée à cause d'un seul article, mais les raisons ne nous sont pas communiquées, ce qui rend impossible l'adaptation des futures cargaisons en conséquence.

Jusqu'à présent, MSF a réussi à faire entrer à Gaza six cargaisons de 120 mètres cubes de fournitures essentielles, transportées dans 53 camions. Nous aimerions en acheminer beaucoup plus, mais nous en avons été empêchés par le processus labyrinthique imposé par les autorités israéliennes. 

Avant la guerre actuelle, on estime que 500 camions de fournitures entraient chaque jour dans la bande de Gaza ; en février 2024, ce chiffre était tombé à moins de 100 camions par jour. 

La pénurie criante de produits de première nécessité dans la bande de Gaza est aggravée par le fait que seuls deux points de passage sont ouverts : Rafah et Kerem Shalom, tous deux situés au sud de la bande de Gaza. Peu de camions entrant dans le sud sont en mesure de passer par les nombreux points de contrôle situés plus au nord, en raison de l'insécurité ou de l'absence d'autorisation de la part des autorités israéliennes. Par conséquent, très peu d'aide et de produits de base parviennent au nord de Gaza. Sans accès à la zone, nous ne pouvons que deviner la crise humanitaire qui s'y déroule. Les largages aériens et les couloirs maritimes, bien qu'ayant fait l'objet d'une large publicité, ont jusqu'à présent été peu nombreux et ne remplacent pas les voies terrestres. 

En empêchant l'aide d'atteindre Gaza, on détruit son système de santé, qui ne peut pas répondre aux besoins de la population. 

C'est toute la population de Gaza qui en paie le prix, non seulement les dizaines de milliers de blessés de guerre, mais aussi tous ceux qui ont d'autres besoins médicaux : malades chroniques, femmes enceintes souffrant de complications, enfants tombant malades à cause de maladies infectieuses liées aux conditions déplorables dans lesquelles ils sont contraints de vivre.

Sans accès aux soins médicaux, des milliers de vies ont été perdues et continueront de l'être. Ce sont les "meurtres silencieux" de Gaza, le résultat d'une privation délibérée.

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